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Libertés individuelles bafouées à la pelle, on en parle ?

par Julien Lefebvre

Publie le mercredi 29 juillet 2015 par Julien Lefebvre - Open-Publishing
3 commentaires

Quelques articles par-ci par-là, une poignée de commentaires indignés sur le Web... insuffisant. Il y aurait pourtant lieu de s’attarder un peu plus sur le contenu de la récente étude réalisée par Viavoice et publiée par La Revue civique. Une étude qui démontre deux choses : d’une part, que nos libertés individuelles sont en régression constante, d’autre part, que cet état de fait, loin de se heurter à l’indifférence des Français, les émeut au plus haut point, et préfigure des lendemains qui déchantent.

Si pour André Glucksmann, c’est « l’idée du despotisme qui nous donne l’idée de la démocratie », peut-être conviendrait-il d’ajouter qu’à son tour l’idée de la démocratie souffle à certains celle du despotisme. Un despotisme feutré, une somme de petits interdits et d’obligations plus comparables à du poil à gratter qu’à des chaînes de prison, mais quand même, c’est inquiétant. S’il était interdit d’interdire en 68, c’est aujourd’hui la norme. Il ne se passe plus une semaine sans que de nouvelles mesures répressives ne soient adoptées, visant à nous faire modifier nos comportements pour complaire à l’Etat. A ce titre, la ribambelle de nouvelles lois concernant la sécurité routière, entrées en vigueur au premier juillet 2015, est édifiante.

Interdiction de fumer en voiture avec des mineurs, de manger au volant, d’écouter la musique trop fort, du kit mains libres, de fouiller dans sa boite à gants en roulant, de porter des écouteurs ou un casque audio en conduisant, de se maquiller même à l’arrêt dans les bouchons, etc. Il pleut des lois intrusives. Un acharnement qui ne passe pas inaperçu, puisque les Français considèrent, à 35 %, les lois restrictives concernant la sécurité routière comme les plus agaçantes, selon Viavoice. Un énervement suivi de près par celui se rapportant au chapitre de la consommation, qu’ils sont 29 % à placer en tête des domaines où les règles à tout crin imposées par l’Etat sont les moins légitimes. Et il y a de quoi.

Le volet prévention de la loi de Santé portée par Marisol Touraine, ministre ad hoc, est à lui seul un recueil d’interdictions abusives se rapportant à la consommation, sous prétexte de nous protéger contre nous-mêmes. On y trouve ainsi l’interdiction des fontaines à boissons sucrées dans les lieux publics, l’interdiction de la publicité pour les appareils de bronzage et de leur utilisation avant 18 ans, l’interdiction des logos sur les paquets de cigarettes, l’interdiction de distribuer aux mineurs des gadgets incitant à boire … Autant d’interdictions qui, si elles semblent toutes partir d’une bonne intention, dépossèdent les individus de leur libre arbitre et de leur autorité à décider de ce qui est bon ou non pour eux (ou leurs enfants), pour les remettre entre les mains de l’Etat.

Ce besoin du législateur de décider de ce qui est bon ou non pour nous, en plus de constituer en soi une forme d’insulte à notre sens des responsabilités, s’avère dangereux. Déjà, parce que les Français en ont marre, estimant à 73 % que les interdits sont trop nombreux. Une exaspération qui pourrait bien finir par se traduire par des réactions « antisociales ». 85 % des Français considèrent que la perte de libertés individuelles incite à travailler au noir, 55 % d’entre eux pensent que cet excès de privations peut pousser à adopter des comportements dangereux (drogue, alcool…).

En plus, parce que cette volonté de l’Etat de légiférer pour un oui ou pour un non rend ces interdictions inopérantes, voire contreproductives. Montesquieu disait que les lois inutiles affaiblissaient les lois nécessaires. C’est à peu près ça. L’exemple du paquet de cigarettes neutre en fournit une belle illustration.

La loi de Santé Touraine prévoit en effet la mise en circulation, en 2016, de paquets de cigarettes où ne figureront plus les signes distinctifs des marques (logos, couleurs…). S’il semble louable de vouloir inciter à arrêter de fumer, cette mesure risque bien de produire l’effet inverse. En ôtant aux marques la possibilité de se distinguer les unes des autres par leur attrait marketing, on les pousse à le faire autrement, par le seul biais qu’il leur reste : la baisse des prix. Or on conviendra qu’il y a peu de chances qu’une baisse du prix du paquet de tabac, fut-il neutre, conduise à une réduction du nombre de fumeurs… En fait, tout ce que devrait entraîner le paquet de cigarettes neutre c’est, comme en Australie où il est en vigueur, une augmentation du nombre de clients pour le marché parallèle, notamment en facilitant la contrefaçon.

La constance avec laquelle l’Etat s’immisce dans la vie privée des citoyens ne rassure pas. L’excès de mesures coercitives visant à mettre en coupe réglée le quotidien de chacun doit nous alerter sur les limites à imposer à celui que Nietzsche qualifiait de « monstre froid », dont les tentacules cherchent à se déployer toujours plus loin, au cœur de nos foyers. La société française, très jacobine, préfère manifestement l’interdiction à la prévention, pourtant considérée comme une meilleure réponse par 68 % des Français.

Pour mettre tout le monde d’accord, peut-être l’Etat aurait-il intérêt à miser davantage sur les « nudges » (coups de pouce), ces mesures qui incitent mais n’obligent pas, qui invitent à, sans forcer à (citons par exemple le cas Linky, compteur communicant qui encouragera chacun à réaliser des économies et à se tourner vers les énergies renouvelables, sans contraindre). Si l’on est toujours ici en présence d’une forme de paternalisme, au moins celui-ci ne confisque-t-il pas aux citoyens le pouvoir de choisir. Un pouvoir essentiel, au fondement de la notion de démocratie. Un truisme qu’il faut malheureusement répéter en cette période sombre.

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