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C’est l’histoire d’un petit berger tunisien décapité par des terroristes (video)

Publie le lundi 23 novembre 2015 par Open-Publishing
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Quelques heures avant les attentats parisiens de vendredi, des terroristes ont assassiné un adolescent dans les montagnes tunisiennes. La famille et la population dénoncent la lente réaction des autorités.

Samedi 14 novembre, au lendemain des attentats de Paris, le président Beji Caid Essebsi était reçu à l’Elysée par François Hollande. Des Tunisiens n’ont pas compris. Pas son élan de solidarité, mais le fait qu’il ait oublié le jeune berger assassiné dans son pays.

Vendredi, quelques heures avant le carnage en France, Mabrouk Soltani, 16 ans, a été décapité par des terroristes au mont Mghila (gouvernorat de Sidi Bouzid, centre du pays). Dans une zone extrêmement pauvre et livrée à elle-même, d’un point de vue économique, mais aussi sécuritaire.

Mohamed, 20 ans, frère de la victime, a été interviewé par des journalistes locaux. Sur le plateau d’une émission, il raconte l’horreur et surtout, la solitude de la famille après le drame :

« C’est la première fois dans l’histoire [de la Tunisie, ndlr] qu’une tête passe la nuit dans un frigo et que le corps qui va avec passe la nuit dans la montagne. »

Dans la vidéo ci-dessous.

Selon les témoignages des proches recueillis par les médias locaux, Mabrouk et son cousin de 14 ans ont croisé des terroristes dans les montagnes, où la population a l’habitude de se rendre avec ses bêtes et pour chercher de l’eau.

Là-bas, les deux gamins ont été accusés d’être des indicateurs des forces de sécurité. Ils ont été ligotés et Mabrouk, décapité. A son cousin, les terroristes ont demandé d’emporter la tête à sa famille.
Le corps, récupéré par des proches

Elle a passé la nuit dans un frigo. Le lendemain, la famille et les habitants sont allés chercher le corps. Ils l’ont retrouvé à côté de chiens que dressait Mabrouk. Ils l’ont ramené, puis enterré.

Tous disent la même chose : l’armée et les forces de sécurité n’ont donné aucun coup de main pour les recherches et se sont manifestées trop tard. Les réactions officielles ont aussi trop tardé, martèlent-ils.

A l’enterrement du jeune berger, des politiques, dont le ministre de l’Intérieur, ont fait le déplacement. Des habitants l’ont conspué.
Révolution de jasmin

C’est la Tunisie profonde, de là où est partie la révolution. La Tunisie trop profonde aux yeux du gouvernement, où des populations sont éparpillées ici et là, dans des zones où il n’y a quasiment rien.

Le village et la famille de Mabrouk Soltani A partir de 1’25’’, sa mère raconte (en arabe) les journées de son fils à la maison et dans la montagne avec son ami

Nassim, le cousin de la victime, a aussi témoigné à la télévision. Près du mont Mghila et des environs la ville de Jelma – où Mabrouk Soltani vivait avec sa mère –, pas de routes, pas d’eau courante et une école très lointaine où l’écrasante majorité des jeunes, faute de moyens, ne fait pas long feu.
« Sommes-nous des êtres humains ? »

Il raconte que Mabrouk avait déjà croisé la route de terroristes cet été. Ces derniers l’avaient prévenu : ils savent tout sur lui et si, dans la nuit, les forces de sécurité débarquaient dans les montagnes, il payerait. Apeuré, il n’avait rien dit sur le coup.

Nassim explique que les terroristes, quand ils ne les effraient pas, draguent les jeunes du coin, dans un contexte qui leur est favorable. Pas de boulot et zéro perspective. Un fort sentiment d’abandon aussi, qui date déjà d’avant la révolution : mis à part administrativement, beaucoup d’habitants des zones très reculées se demandent s’ils sont vraiment tunisiens.

Dans une vidéo qui circule sur Facebook, un membre de la famille enrage, faisant le parallèle avec la tentative d’assassinat dont a été victime un homme politique tunisien. Avec la mobilisation immédiate qui a suivi, dans son cas :

« Lui, c’est un être humain et nous, nous ne sommes pas des êtres humains ? »

Les médias en apprentissage

Après l’assassinat de Mabrouk Soltani, le directeur général de la télévision nationale a été limogé. La chaîne officielle a diffusé les images de sa tête coupée.

Dans un excellent article, nos confrères d’Inkyfada analysaient les difficultés des médias tunisiens après la révolution, notamment en matière de terrorisme.

Le passage du musèlement total à l’ouverture. De la communication officielle à l’information pure. Quand il s’agit de terrorisme, des journalistes dérapent. Privilégient la mise en scène, parfois sans prendre de précautions. La course au scoop, forcément et comme partout ailleurs, et l’apprentissage qui commence.
Mea-culpa du Premier ministre

Jusque récemment, les terroristes s’en prenaient aux forces de sécurité et aux politiques, et non pas à la population civile tunisienne – du moins pas directement. La donne change. Il y a quelques semaines, un imam, berger lui aussi, a été tué par balles dans les montagnes de la région de Kasserine (Nord-Ouest). Les djihadistes de Okbaa Ibn Nafaa (affilié à Al Qaeda) ont revendiqué cet assassinat, menaçant du même sort tous ceux qui collaboreraient avec les autorités.

François Hollande et Béji Caïd Essebsi, le 14 novembre 2015 à l’Elysée - STEPHANE DE SAKUTIN/AFP

La Tunisie paye un lourd tribut en matière de djihadisme. Premier exportateur de combattants au Moyen-Orient et cible de choix pour Al Qaeda et les cellules dormantes de l’Etat islamique autoproclamé. Ces dernières ont revendiqué les attaques du Bardo (24 morts) en mars et celles de Sousse (39 morts) en juin, lesquelles visaient des touristes étrangers.

Lundi, Habib Essid, le Premier ministre, s’est exprimé à propos de Mabrouk Soltani. Il a fait un mea-culpa sur la lenteur des réactions officielles, assurant que le gouvernement ne laissera pas tomber la famille. Il le répète aussi : il n’était pas un indicateur des forces de sécurité, qui ont commencé dimanche à ratisser les environs. Bilan pour le moment : un terroriste présumé abattu, plusieurs blessés et un militaire tué.

« Tristes pour la France »

Toujours pas de revendication officielle. Alors qu’il avait été désigné dans un premier temps responsable par des médias tunisiens, le groupe Okbaa Ibn Nafaa, qui occupe les montagnes tunisiennes, a publié un communiqué pour dire qu’il n’avait rien à voir dans la mort de Mabrouk Soltani.

Une philosophe française est allée rendre visite aux proches du défunt. Sur Facebook, elle raconte la solitude de la famille et le message qu’elle lui a adressé :

« Nous sommes tristes pour la France. On voulait te le dire. »

http://rue89.nouvelobs.com/2015/11/17/cest-lhistoire-dun-petit-berger-tunisien-decapite-terroristes-262153

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