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Saint-Denis : "Le flic m’a dit : ’tu vas prendre trente ans’..."

par Alexandre Fache

Publie le mercredi 25 novembre 2015 par Alexandre Fache - Open-Publishing
3 commentaires

Assailli, blessé, gardé à vue, placé en rétention... Nordine Touil, 31 ans, sans-papier marocain qui habitait au dessus de l’appartement visé par le Raid mercredi dernier à Saint-Denis, raconte, depuis le centre de rétention de Vincennes où il a été placé, sa semaine de « cauchemar ».

Nordine Touil, marocain de 31 ans, vit en France depuis douze ans. Il a une petite fille de sept ans, française comme sa mère, dont il est séparé. Jusqu’à mercredi dernier, il habitait avec deux amis, marocains eux aussi, dans l’immeuble de la rue du Corbillon, à Saint-Denis, où le Raid est intervenu pour déloger Abdelhamid Abaaoud et ses acolytes. Joint hier à l’intérieur du centre de rétention administrative de Vincennes, il raconte l’assaut des forces de police, le déluge de feu, cette balle qui l’atteint au bras gauche, l’arrestation musclée, la garde à vue à Levallois et, pour solde de tout compte administratif, l’obligation de quitter le territoire notifiée par la police. « Tu vas prendre 30 ans, pas parce que t’es terroriste, mais parce que t’es con », lui aurait même lancé un policier vendredi dernier, à quelques heures de la fin de la garde à vue. Choqué et inquiet, il se confie.

L’assaut à Saint-Denis

« C’était un cauchemar. Il était quatre heures du matin, on était en train de dormir. On a entendu un grand boum. Je suis sorti de mon lit pour voir ce qui se passait, je suis allé à la fenêtre, et c’est là qu’on m’a tiré dessus. J’ai été touché au bras gauche. Ensuite, les policiers ont cassé la porte et sont rentrés dans mon appartement ; ils ont crié : "Déshabillez vous ! Déshabillez vous !" Ils nous ont embarqués, à poil, en nous mettant des tartes, des claques, des coups de matraque. On est resté comme ça deux heures, dans le froid, au bas de l’immeuble. Evidemment, on n’a rien pu prendre, aucune affaire, aucun papier, pas d’argent. Tous les documents que j’avais et qui prouvaient ma présence en France depuis douze ans, ils sont restés là-bas, dans l’appartement. Je ne sais pas s’il en reste grand chose. Ensuite, ils nous ont donné des pantalons trop grands, des chaussures trop serrées. Quelle vie de chien...! »

La garde à vue à Levallois

"Ensuite, les policiers m’ont emmené à l’hôpital pour soigner mon bras. J’ai été opéré pendant plusieurs heures, je ne sais plus combien exactement. Le mercredi midi, je suis sorti de l’hôpital et ils m’ont emmené au commissariat de Levallois (sans doute au siège de la sous-direction antiterroriste, situé dans cette ville des Hauts-de-Seine - NDLR). Avec mes amis, on a été transféré avec des bandeaux sur les yeux. Ils nous les mettaient aussi quand on passait de la cellule à la salle d’interrogatoire. On nous a dit qu’on avait le droit de voir un médecin et d’avoir un avocat. J’ai demandé les deux, ils ont amené le médecin, mais pas l’avocat. Là-bas, ils ne nous ont pas frappés, mais ils nous ont posé tellement de questions, c’était terrible. "Est-ce que vous êtes musulman ? Est-ce que vous faites la prière ?" J’ai dit ’oui, je suis musulman, mais pas pratiquant’. "Est-ce que vous connaissez Daech ?" Oui, parce que je regarde la télévision, et qu’ils en parlent souvent à la télé. "Est-ce que vous savez ce qu’est le Takfir (l’anathème jeté par certains extrémistes islamistes contre ceux présentés comme de ’mauvais musulmans’ - NDLR) ?" J’ai dit non, que je ne connaissais rien à tout ça. Ils m’ont demandé qui venait chez moi, qui je connaissais, où j’étais le 13 novembre, si j’allais en Belgique... J’ai dit oui, une fois, en 2008. Plein de questions que j’ai oubliées... Au bout de deux jours, ils ont fini par nous amener un avocat. Mais il nous a à peine parlé, ne nous a rien expliqué. Je dirai qu’au bout de 24 heures, ils avaient compris qu’on n’avait rien à voir avec les terroristes. Mais ils nous ont quand même gardé presque quatre jours ! Résultat, je dors mal, je me réveille au milieu de la nuit, je fais des cauchemars."

La rétention à Vincennes

"Le vendredi soir, un flic est venu me voir pour me dire : ’Toi, t’es dans la merde. Tes potes, ils vont sortir, mais toi, tu vas rester ici, tu vas prendre 30 ans. Pas parce que t’es un terroriste, mais parce que t’es con.’ C’était pour me faire peur. Mais ça a marché ! Toute la nuit, j’ai pas arrêté de penser à ça. Trente ans... Alors que je n’ai rien fait. Le samedi, la garde à vue était terminée, et ils nous ont dit qu’on devait quitter le territoire. On a été amené au centre de rétention de Vincennes. Là, les choses se sont un peu calmé. On a pu voir une association, qui va nous mettre en relation avec un avocat. Et on doit voir le juge jeudi, c’est lui qui doit décider si on doit rester ici ou si on est libéré.

Au moment où je vous parle, j’ai mal à mon bras, j’ai trop mal. Ils ont changé le médicament, je crois. Ma main est gonflée ’grave’ ! J’ai pas encore réalisé ce qui m’arrive. Je suis encore sous le choc. J’ai maigri. Je faisais 80 kilos, j’en fais plus que 66. Vous vous rendez compte, j’ai perdu 14 kilos en une semaine ! Et si je parle aujourd’hui, c’est parce que je veux que tout le monde sache que je n’ai rien à voir avec les terroristes et que je suis une victime."

http://www.humanite.fr/saint-denis-le-flic-ma-dit-tu-vas-prendre-trente-ans-590602

Messages

  • Ce récit fait peur... Peur de voir que l’ennemi est au coeur du système ; que les apparences priment sur la réalité ; que les fantasmes dirigent l’action des personnes désignées par le vote du peuple, et payées par les impôts du peuple, se retournent contre le peuple ; que le sans-papiers qui travaille dur pour la collectivité soit si mal remercié ; que le bon et le faible soit écrasé par l’ordre sécuritaire qui se révèle un piètre mensonge, une illusion... Quand les guerres et la course à l’argent accaparent les dirigeants, ceux-ci aussiôt trahissent le peuple qui, bien naïvement leur avait fait confiance.

  • ce n’est que le début ..bon courage , j’espère que les français vont se réveiller et refuser ces dérives policières ..

    • Je sais que l’espoir fait vivre, mais dans le cas que tu cites y en a pas beaucoup...

      ...D’espoir !

      Tant que ça n’arrivera pas à ceux que tu nommes "les Français" personne ne se bougera.

      Et encore je ne suis pas sûr. On arrivera à faire croire au "autres" que ceux qui subissent ne sont pas dignes d’être Français, donc pas susceptibles d’être plaints.

      En 39 ils ont fait ça avec les Communistes suite au Pacte Germano-Soviétique et ça a marché comme sur des roulettes : "Communistes = Pas Français".

      Ils ne se sont réveillés que lorsque leurs enfants ou leurs maris ont été appelés en Allemagne pour le STO ou "La, (soi-disant), Relève". Alors ils les ont envoyés à la campagne dans les maquis pour les planquer.

      En France des "résistants actifs" de la première heure il n’y en a pas eu cinquante mille sur toute la population.

      Et aujourd’hui ça serait pire.

      G.L.