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Notre-Dame des Landes : le droit permet-il l’organisation d’un référendum local ?

par Le blog d’Arnaud Gossement

Publie le vendredi 12 février 2016 par Le blog d’Arnaud Gossement - Open-Publishing
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12 févr. 2016
Par Arnaud Gossement

Le Président de la République a annoncé l’organisation d’un « référendum local » sur l’avenir du projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes. En l’état actuel du droit et de la jurisprudence, l’organisation de ce référendum paraît très incertain.

Lors d’un entretien télévisé organisé ce 11 février 2016, le Président de la République a indiqué : « Il y a un blocage, il y a des élus qui sont totalement mobilisés pour que cet aéroport se fasse et d’autres mobilisés pour que cet aéroport ne se fasse pas. D’ici le mois d’octobre, je demande au gouvernement d’organiser un référendum local  ». Avant d’ajouter : «  Si c’est oui et que la population veut cet aéroport alors tout le monde devra accepter cette décision. Si c’est non, le gouvernement en tirera les conséquences. »

La question de droit est donc de savoir si un référendum local peut être organisé pour permettre à la population de trancher l’avenir du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes. A notre sens, le droit actuel ne le permet pas.

Le référendum local

En premier lieu, un référendum local ne peut être organisé, non par le Gouvernement, mais par une collectivité territoriale et uniquement sur un dossier relevant de sa compétence et de non de celle de l’Etat ou d’une autre collectivité territoriale (article 72-1 de la Constitution). A supposer qu’une collectivité territoriale – une commune ou un département ou une région - accepte de procéder à l’organisation d’un tel référendum, elle ne pourra le faire à propos d’une affaire qui ne ressort pas de ses attributions (voir Cour administrative d’appel de Versailles, 23 octobre 2008, n°08VE01555). Pour mémoire, l’objet du référendum local est actuellement défini à l’article LO1112-1 du code général des collectivités territoriales : « L’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale peut soumettre à référendum local tout projet de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de cette collectivité. » Une collectivité territoriale ne peut donc pas soumettre à référendum un projet de délibération qui ne relève pas de sa compétence. Par ailleurs, l’article LO1112-2 du même code précise : « L’exécutif d’une collectivité territoriale peut seul proposer à l’assemblée délibérante de cette collectivité de soumettre à référendum local tout projet d’acte relevant des attributions qu’il exerce au nom de la collectivité, à l’exception des projets d’acte individuel. » Le lien entre la compétence de l’exécutif de la collectivité territoriale organisatrice et le projet de délibération qui sera soumis à référendum doit être certain. Or, la création du projet de construction de l’aéroport de Notre Dame des Landes relève de la compétence, non d’une collectivité territoriale mais de l’Etat. C’est en effet l’Etat et non l’exécutif d’une collectivité territoriale qui a, notamment, signé et publié le décret du 9 février 2008 déclarant d’utilité publique les travaux nécessaires à la réalisation du projet d’aéroport pour le Grand Ouest - Notre-Dame-des-Landes. A notre sens, la décision par laquelle l’exécutif d’une collectivité territoriale soumettrait un projet de délibération à référendum local serait illégale car ne portant pas sur l’exercice d’une compétence locale mais sur l’exercice d’une compétence de l’Etat.

En deuxième lieu, le référendum local n’a pas pour but l’expression d’un simple avis mais l’adoption d’une décision. Les électeurs seront en effet appelés à voter sur un « projet de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de cette collectivité ». Or, un référendum local ne peut aboutir à l’adoption d’une décision d’une collectivité territoriale qui viendrait directement contredire une décision relevant de la compétence de l’Etat, c’est-à-dire de son Gouvernement. Un référendum local ne peut, en quelque sorte, « abroger » une déclaration d’utilité publique ou une autorisation administrative prise par l’Etat.

La consultation des électeurs

La tenue d’un référendum local, tel qu’organisé aux articles LO1112-1 et suivants du code général des collectivités territoriales est donc improbable. Il convient alors de savoir si une « consultation des électeurs » dont le régime juridique est défini aux articles L.1112-15 du code général des collectivités territoriales serait envisageable.

En premier lieu, il serait de nouveau nécessaire que la procédure de consultation des électeurs soit organisée sur un dossier relevant de la compétence de la collectivité territoriale organisatrice. L’initiative de la consultation peut appartenir aux électeurs eux-mêmes, comme en dispose l’article L.1112-16 du code général des collectivités territoriales.

En deuxième lieu, la consultation des électeurs ne peut être – en principe - organisée que sur un objet relevant de la compétence de la collectivité territoriale organisatrice (Voir Cour administrative d’appel de Bordeaux, 28 février 2006, n°03BX00781). Et il n’est donc pas certain qu’une collectivité territoriale puisse soumettre à consultation des électeurs un projet de délibération sur un objet relevant de la compétence de l’Etat.

Il existe un précédent intéressant. Par une délibération du 30 juin 2005, le conseil général du Gers présidée par Philippe Martin avait décidé de mettre en oeuvre une consultation locale sur les organismes génétiquement modifiés. Or cette délibération a été annulée, à la demande de l’Etat, par la Cour administrative d’appel de Bordeaux, aux termes d’un arrêt n°05BX02259 du 15 mai 2007. La Cour a en effet jugé que cette consultation portait sur un projet de décision ne relevant pas de la compétence du département mais du pouvoir de décision de l’Etat. Il est exact que par arrêt n°308514 du 30 décembre 2009, le Conseil d’Etat a admis le droit pour le département d’émettre, par délibération prise au titre de l’article 3211-1 du code général des collectivités territoriales, un vœu sur un objet qui, tout en relevant de la compétence de l’Etat, présente un « intérêt départemental ». Mais, en l’état du droit et de la jurisprudence, cette solution ne peut être étendue de telle sorte qu’une collectivité territoriale puisse aller plus loin que le vote d’un vœu, en soumettant à consultation des électeurs un projet de délibération sur un objet qui, sans être étranger à un intérêt local, relève de la compétence de l’Etat.

En troisième lieu, à supposer qu’une consultation locale des électeurs soit organisée sur un projet de délibération relatif à l’avenir de Notre-Dame des Landes, le résultat de cette consultation ne constituerait pas une décision mais un avis exprimé par oui ou non : « Les électeurs font connaître par oui ou par non s’ils approuvent le projet de délibération ou d’acte qui leur est présenté. Après avoir pris connaissance du résultat de la consultation, l’autorité compétente de la collectivité territoriale arrête sa décision sur l’affaire qui en a fait l’objet. » (article L.1112-20 CGCT). Il convient de souligner que la décision revient donc à la collectivité territoriale organisatrice. Or, au cas présent aucune collectivité territoriale ne peut, même à la suite d’une consultation, revenir sur des autorisations délivrées par l’Etat. Ce qui rend l’organisation même de la consultation aléatoire. Supposons cependant que la consultation se tienne, la collectivité territoriale devrait alors renvoyer le soin à l’Etat de décider des suites à donner. Ce qui pose alors la question de savoir si l’Etat peut revenir sur des décisions, d’autoriser mais aussi de contracter, devenues définitives, notamment lorsque les recours ont été rejetés par les juridictions administratives saisies à leur encontre. Avant toute organisation d’une consultation des électeurs il est important que ceux-ci sachent si leur vote peut réellement être suivi d’effet par l’Etat et dans quelles conditions.

L’organisation d’un référendum local sur le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes n’apparaît pas envisageable et celle d’une consultation locale des électeurs serait contraire, non seulement à la jurisprudence précitée de la Cour administrative d’appel de Bordeaux mais aussi à la position passée de l’Etat. Il est donc sans doute nécessaire de procéder à la création de l’outil juridique qui permettrait de ne consulter que certains électeurs sur un sujet d’envergure en réalité nationale, en en étudiant au préalable la constitutionnalité.

Le projet de consultation locale des électeurs à l’initiative de l’Etat

Cette analyse est confirmée par le rapport de la Commission spécialisée du Conseil national de la transition écologique sur la démocratisation du dialogue environnemental présidée par Alain Richard, remis à la Ministre de l’écologie, le 3 juin 2015. Le rapport précise :

« Les projets les plus nombreux et les plus substantiels en impact environnemental ne sont pas conclus par la décision finale d’une collectivité territoriale (comme dans le cas d’un équipement public ou d’un plan d’urbanisme). Ce sont des opérations d’infrastructure, de développement économique ou d’installation technique soumises à la décision finale de l’État. La loi aujourd’hui ne permet pas la consultation des électeurs dans ces cas. Et les règles constitutionnelles excluent qu’une telle consultation prenne le caractère d’une décision (les seuls cas de recours au « référendum » au sens strict, terme qui signifie que la décision finale est prise par le vote, sont énumérés limitativement par la Constitution). Dans le champ qui intéresse la participation du public en matière environnementale, c’est donc un vote à caractère consultatif qui est envisageable, calqué sur le modèle applicable pour les décisions de collectivités. Il ne porterait pas le nom de référendum, mais celui de « consultation des électeurs » (rapport page 33 - nous soulignons).

A la suite de ce rapport et après avoir été autorisé à le faire par le législateur, le Gouvernement a élaboré un projet d’ordonnance qui prévoit la création d’une consultation locale des électeurs à l’initiative de l’Etat. Toutefois, cette procédure ne peut pas être organisée pour consulter les électeurs sur Notre-Dame des Landes. Le texte précise en effet : « Les électeurs d’une aire territoriale déterminée peuvent être consultés sur la ou les décisions que l’Etat envisage de prendre sur une demande relevant de sa compétence. Sont exclus les projets d’intérêt national. » L’aéroport de Notre-Dame des Landes étant un projet d’intérêt national qui a déjà été autorisé, il ne peut faire l’objet de cette procédure, à supposer que celle-ci soit définitivement créée.

En l’état actuel du droit et de la complexité du chantier législatif à engager pour créer la procédure de référendum ou de consultation qui pourrait être organisée à propos de l’aéroport de Notre-Dame des Landes, il semble difficile qu’il puisse aboutir avant le mois d’octobre.

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Messages

  • Suffrage universel et triomphe du ressentiment. Bien joué. Le gouvernement sait très bien que même si les électeurs n’ont rien à fiche de l’aéroport et savent qu’ils n’en profiteront en rien, ils voteront pour rien que par haine de tout ce qui pourrait ressembler à une mise en cause de la fatalité à laquelle ils s’identifient. C’est le même peuple qui vote à quatre vingt pour cent pour des idéologies réactionnaires. Cela dit, ça n’empêchera pas qu’il y ait de la casse quand la zone sera évacuée, mais ça aussi, tout le monde sait très bien que désormais quelques morts ça passe. Quelques marches de protestation et on passera à la suite.

  • PAS MAL TECHNIQUEMENT MAIS !

    LE JURIDISME EST UN EGAREMENT SAVANT DE LA RAISON, FONDAMENTALEMENT LA LOI INCLINE MAIS N’OBLIGE PAS, EN TOUT CAS PAS LA RAISON EN TANT QU’ARBITRE SUPREME, QUAND UNE LOI EST CONNE, DEPUIS TOUJOURS DANS LES SIECLES DES SIECLES ON S’ASSOIT LE CUL DESSUS.