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Appel Calais : les bulldozers ne font pas une politique !
Publie le lundi 22 février 2016 par Open-PublishingUne fois de plus, l’unique réponse qu’envisagent les pouvoirs publics face à la situation dans le Calaisis, c’est l’évacuation d’un camp de réfugiés, et leur dispersion. On feint de s’attaquer aux causes réelles du problème ; mais en réalité, en s’en prenant aux victimes condamnées à se disperser dans la peur, cette politique ne fait que le déplacer et l’aggraver. Cette « solution » n’en est pas une.
Aux huit organisations qui ont adressé une lettre ouverte à Bernard Cazeneuve pour lui demander de surseoir à l’évacuation programmée d’une grande partie de la « jungle » de Calais, le ministre de l’Intérieur vient d’adresser une réponse qui est une fin de non-recevoir : il justifie sa décision à coups de propos incantatoires sur le respect des droits fondamentaux des migrants et le bien-fondé de politiques qui ne varient pas depuis des années, malgré leur échec évident ; et il rappelle aux associations leur « partenariat » avec l’État comme pour les impliquer dans la politique qu’elles contestent. Dans la foulée, la préfecture du Pas-de-Calais vient de publier un arrêté ordonnant aux occupants de la zone sud du bidonville, dite « la Lande », de quitter les lieux mardi 23 février au plus tard.
Les bulldozers ne peuvent pas tenir lieu de politique. Cela n’implique évidemment pas de nous accommoder d’une « jungle » dont le nom dit tout. Personne ne saurait accepter le maintien en l’état du bidonville de Calais, pas plus que du camp de Grande-Synthe, ni d’aucun autre. Personne ne peut se satisfaire de voir des réfugiés contraints de survivre dans de tels lieux.
Depuis des années, nous ne cessons d’ailleurs de dénoncer l’indignité de ces conditions de vie, comme l’a fait également Jacques Toubon, le Défenseur des droits, l’été dernier. Plus récemment, le tribunal administratif de Lille a même condamné l’État à procéder en urgence à des améliorations, décision confirmée par le Conseil d’État.
Pour autant, il n’est pas question non plus de cautionner l’évacuation annoncée, non seulement parce qu’elle est inhumaine, mais aussi parce qu’elle ne résoudra rien. Chasser les habitants d’une large partie du bidonville, y faire passer des bulldozers et détruire tout ce qui, dans la précarité et avec les moyens du bord, a été construit au fil des mois : à quoi bon ?
Les migrants qui se trouvent dans le Calaisis veulent souvent rejoindre des proches en Grande-Bretagne. D’autres seraient en droit de demander l’asile en France mais ils ne le savent pas toujours, ou bien ils se méfient de l’accueil qui leur serait réservé. D’autres encore attendent une réponse à leur demande. Parmi eux, il y a beaucoup d’enfants... Or pour plusieurs catégories de migrants, il existe des solutions inscrites dans les textes, avec des dispositifs, des acteurs, des fonds alloués à cet effet. Elles auraient pu être mises en œuvre depuis longtemps déjà.
Au lieu de s’y atteler, les pouvoirs publics ont préféré procéder à des « démantèlements » successifs. En 2015, ils ont contraint les migrants ainsi délogés à s’installer dans une zone « aménagée » pour eux. Bref, ils ont déjà défait ce qui se faisait, forçant ceux qu’ils chassaient à vivre dans une précarité plus grande encore.
Aujourd’hui, la partie principale du bidonville d’État de Calais est constituée de tentes et d’abris sommaires, bâtis par les réfugiés avec des bénévoles de différentes associations. Dans ces quelques kilomètres carrés sont nés peu à peu des cafés ou des restaurants de fortune, de minuscules épiceries, des lieux de culte de différentes religions, de toutes petites écoles, un théâtre sous chapiteau, une cabane d’aide juridique, plusieurs endroits dévolus à des soins, etc. Autant d’espaces de vie sociale, partagés par les réfugiés des différentes nationalités présentes dans le bidonville.
Qu’est-ce qui justifie de raser tout cela ? Le ministre veut convaincre que c’est pour le bien des occupants. En réalité, c’est une politique de dissuasion : rendre la vie invivable aux réfugiés. À ceux qu’ils ont hier installés dans cette zone, les pouvoirs publics enjoignent depuis des semaines d’occuper des conteneurs - sortes d’Algecos - ou sinon d’être dispersés loin de Calais, dans des CAO (centres d’accueil et d’orientation), baptisés « lieux de répit ».
Or c’est une alternative impossible.
Le ministre vante les mérites des conteneurs, qui sous sa plume semblent des bungalows pour vacanciers. Le fait est qu’il s’agit de cabanes de chantier, avec dans chacune des lits superposés pour douze personnes, où l’on ne peut qu’être debout ou couché ; toute installation de mobilier y est interdite, toute intimité impossible...
Concernant les CAO, le ministre se félicite de ce qu’ils permettraient aux migrants, grâce à « un accompagnement associatif de qualité » et à « un suivi particulier » des personnes, de déposer des demandes d’asile dans de bonnes conditions, ce qui n’était pas le cas dans le bidonville. « Au dernier recensement », écrit-il, « 80 % des migrants encore présents en CAO étaient engagés dans une démarche d’asile »... Il oublie de parler de ceux qui, mis en hôtel, sont privés de tout accompagnement et risquent une prochaine expulsion du territoire. Il oublie aussi de préciser que les CAO ont été conçus comme des solutions à très court terme ; après leur fermeture, qu’adviendra-t-il des personnes qui y auront été envoyées ?
Conteneurs, CAO ; expulsion, dispersion ; ces réponses ne feront qu’aggraver le sort des migrants sans régler pour autant le problème auquel est confrontée la région du Calaisis, pas plus qu’en son temps la fermeture du camp de Sangatte. Et dans un an, on nous rejouera la même scène. Car c’est avant tout l’inaction des pouvoirs publics, mais aussi leur action, qui, en créant des conditions de vie impossibles, rend la situation ingérable. L’État veut nous faire croire qu’il prend le parti des habitants contre les réfugiés ; en réalité, il monte les premiers contre les seconds en abandonnant les uns et les autres.
Il faut cesser de chasser de jungle en bidonville toute la misère du monde, persécution qui ne fait qu’exaspérer le ressentiment des « riverains ». Non, le malheur des migrants ne fera pas le bonheur des Français, pas plus à Calais qu’ailleurs. En réalité, laisser se dégrader la situation est plus pénible pour les populations du Calaisis, et plus coûteux aussi pour les pouvoirs publics, que s’employer à l’améliorer. L’humanité la plus élémentaire nous interdit ces destructions à répétition ; mais notre intérêt bien compris aussi.
Ce pays peut-il se satisfaire de devenir le champion du non-accueil, alors que les réfugiés y sont moins nombreux qu’ailleurs ? Ce que d’autres pays font déjà, la France doit pouvoir le faire. La Grande-Bretagne, qui porte une lourde responsabilité dans cette situation, doit elle aussi revoir sa position à cette frontière. Il faut en finir avec l’improvisation perpétuelle ; il est temps de penser dans la durée. Et si l’État ne fait pas son travail, nous allons y travailler nous-mêmes – avec les associations sur le terrain, avec les habitants du Calaisis et avec les réfugiés.
Les jours prochains, nous irons à Calais pour le clamer haut et fort : nous ne sommes pas condamnés à choisir entre la « jungle » et sa destruction. Nous refusons de réduire la France à des barbelés et des bulldozers. Nous tiendrons une conférence de presse. Nous voulons faire entendre un autre discours que celui des pouvoirs publics qui occupent les médias. Détruire, dit la Préfète ? Avec, sans ou contre l’État si nécessaire, il faudra pourtant bien construire un avenir.
Une fois de plus, nous, organisations signataires et personnes solidaires, demandons :
- que soit annulé l’arrêté d’expulsion pris le 19 février ;
- en urgence : une prise en charge individuelle respectueuse des droits fondamentaux des personnes actuellement présentes à Calais ;
- une discussion du règlement Dublin III et des Accords du Touquet ;
- plus largement, que la France s’engage enfin, en particulier en faisant la promotion de cet axe au sein de l’Union européenne, pour une véritable politique d’accueil des personnes migrantes.
22 février 2016
Organisations et personnalités signataires :
OrganisationsAct & HelpActes Et CitésAction des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT)ActionFroid-Calais (Paris)Action TunisienneAssociation Démocratique des Tunisiens en France (ADTF)Alternatives EuropéennesAlternative libertaireAssociation nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé)Association des Marocains en France (AMF)Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF)Auberge des migrants (Calais)Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE)Barcelona Accion SolidariaBoston2calais (Massachussetts, USA)Bridge2 (Grande-Bretagne)Calais ActionCare4CalaisCentre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (Cedetim)La CimadeLa Cimade régionale Nord PicardieComité médical pour les exilés (Comede)Collectif de sans-papiers CSP 75Collectif de soutien de l’EHESS aux sans papiers et aux migrant-esCollectif de Soutien aux Familles Roms de St DenisCollectif pour l’avenir des foyers (Copaf)Collectif R, Lausanne (Suisse)Conseil d’urgence citoyenneDay-mer, Turkish and Kurdish Communtiy Centre, London (Grande-Bretagne)Droits devantDroits d’urgenceECNou, « Eux c’est Nous » (Pas-de-Calais)École Laïque du Chemin des Dunes (Calais)Emmaüs BoulogneEmmaüs DunkerqueEmmaüs FranceEmmaüs EuropeEmmaüs InternationalFédération des Associations de Solidarité avec Tou-te-s les Immigré-e-s (Fasti)Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH)Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS)Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives (FTCR)Fédération Syndicale Unitaire (FSU)La Ferme des Ânes, Brouckerque (Pas-de-Calais)FIDL, le syndicat lycéenFlandre Terre SolidaireFondation Frantz FanonForum des organisations de solidarité internationale issues des migrations (Forim)France Amérique Latine (FAL)France LibertésFront uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP 59/62)Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s (Gisti)Initiatives pour un autre monde (Ipam)Islam et laïcitéItinérance CherbourgJesuit refugee service (JRS) FranceLigue de l’enseignementLigue des droits de l’Homme (LDH)Marche des femmes pour la dignité (Mafed)Association Marilyn et Marie-Myriam (Si les Femmes Comptaient)Médecins sans Frontières (MSF)Mouvement Burkinabe des Droits de l’Homme et des Peuples (Comité Régional Aquitaine et section de France)Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP)MRAP - Comité du Littoral DunkerquoisNeuilly Emmaüs avenirObservatoire citoyen du CRA de PalaiseauObservatoire de l’enfermement des étrangers (OEE)Organisation pour une Citoyenneté Universelle (OCU)Revue InciseRevue PratiquesRefugee Foundation EV (Allemagne)Réseau Éducation sans frontières (RESF)Réseau Euromed France (REF)Réseau Immigration Développement Démocratie (IDD)Réseau Reprenons l’initiative contre les politiques de racialisationLe Réveil voyageur (Calais)Secours Populaire, comité de Vendin-OblinghemSolidarineSolidarité LaïqueSyndicat des avocats de France (SAF)Syndicat de la magistrature (SM)Syndicat de la médecine générale (SMG)Tenons et mortaisesTerre d’errance -Norrent-Fontes (Pas-de-Calais)Terre d’errance -Steenvoorde (Pas-de-Calais)Union syndicale SolidairesUtopia 56PersonnalitésLaurence Abeille, députée du Val de MarneMichel Agier, anthropologue, directeur d’études à l’EHESSCarlos Agudelo, chercheur associé, URMIS (Unité de Recherche Migrations et Société)Philippe Aigrain, essayiste et poèteKaren Akoka, maître de conférence en science politique, Université Paris Ouest NanterreEric Alliez, professeur, Paris 8Emmanuel Alloa, maître de conférences en philosophie, Université Sankt Gallen (Suisse)Charles Alunni, enseignant-chercheur, École normale supérieure de ParisAnne-Claude Ambroise-Rendu, professeure d’Histoire, Université de LimogesClaire Angelini, cinéaste et artisteIsabelle Attard, députée citoyenne du Calvados, Groupe EcologisteJean-Christophe Attias, directeur d’études à l’EPHE (Sorbonne), chaire de pensée juive médiévaleLaurent Aucher, sociologueDaniele Auroi, députée EELV du Puy de DômeChryssanthi Avlami, historienne, Université Panteion des sciences politiques et sociales, AthènesEduardo Ayres Tomaz, doctorant, philosophie politiqueEtienne Balibar, professeur émérite, Université de Paris-Ouest NanterreGéraldine Barron, doctorante en histoire, Paris DiderotJulien Bayou, porte parole national EELVEsther Benbassa, directrice d’études à l’EPHE (Sorbonne), sénatrice du Val-de-MarneGisèle Berkman, professeur de lettresBruno Bernardi, philosopheArno Bertina, écrivainSophie Bessis, historienneEmmanuel Blanchard, président de MigreuropNedjma Bouakra, productrice pour la radio France CultureFlorence Bouillon, anthropologueMathieu Bouvier, artiste chercheurGérard Bras, philosophe, président de l’Université populaire des Hauts-de-SeineRodolphe Burger, artisteClaude Calame, directeur d’études, EHESSNicole Caligaris, écrivainLaurent Cantet, cinéasteCécile Canut, professeure des universités, Université 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de la magistratureNathalie Garraud, metteur en scène, compagnie du ZieuCatherine Gégout, ancienne Conseillère de ParisFrançois Gemenne, chercheur en science politique, Science Po, Université de LiègeClaudia Girola, maitre de conférence de sociologie et anthropologieAnne Gleonec, CEFRES, PraguePilar Gonzalez Bernaldo, professeur d’Histoire et Civilisation de l’Amérique latine, Université Paris DiderotCamille Gourdeau, doctorante en sociologie, Paris DiderotLuce Goutelle, artisteCyrille Granget, enseignante-chercheuse en sciences du langage à l’Université de NantesNinon Grangé, mcf-hdr, philosophie, Paris 8Nacira Guénif, professeure Université Paris 8Serge Guichard, membre du réseau Reprenons l’initiativeVirginie Guiraudon, directrice de recherche CNRS, Sciences Po ParisJean Waddimir Gustinvil, docteur en philosophie, enseignant-chercheur à l’ENS de l’Université d’État d’HaïtiEric Hazan, éditeurStephanie Hennette Vauchez, professeure de droit public, Université Paris-Ouest 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Migrinter, CNRSDiane Roman, professeure de droit, Université François-Rabelais, ToursJoël Roman, président de Islam et laïcitéSandrine Rousseau, porte parole d’EELV, LilleClaire Saas, enseignante-chercheuseMarie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, professeur, INALCO, CESSMAJane Sautière, écrivaineAndré Scala, enseignant de philosophiePaul Schor, americaniste, professeur à l’Université Paris-DiderotJohanna Siméant, Université Paris 1 Panthéon SorbonneLaurence Sinopoli, Université Paris X NanterreSerge Slama, maitre de conférences en droit public, Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense, CREDOFHeidi Sleiman, Calais/Dunkirk Volunteer, Boston, MA (USA)Elsa Stamatopoulou, Director, Columbia University, New-YorkLaurent de Sutter, professeur de droitFederico Tarragoni, maître de conférences en sociologie, Université Paris 7-Denis DiderotÉtienne Tassin, philosophe, professeur à l’université Paris DiderotAlbena Tcholakova, sociologueJean-Paul Thibeau, artiste coordinateur des Protocoles Méta (Marseille)Sophie Thonon-Wesfreid, présidente déléguée de France Amérique LatineMarine Tondelier, membre de la direction d’EELV, élue d’opposition à Hénin-BeaumontAndré Tosel, professeur émérite de Philosophie, Université de NiceLoïc Touzé, artiste chorégrapheMaryse Tripier, sociologueMadeleine Valette-Fondo, professeure de littérature honoraire, Université Marne-la-ValléeEleni Varikas, professeure éméritePatrick Vauday, Université Paris 8Patrice Vermeren, directeur du département philosophie, Université Paris 8Pauline Vermeren, post-doctorante en philosophie, université Paris DiderotChristiane Vollaire, philosopheSophie Wahnich, directrice de rechercheCatherine Wihtol de Wenden, militante de la LDH, directrice de recherche CNRSLaurence Zaderatzky, membre du Conseil National du Parti Communiste Français et de la commission Libertés/migrationsJean-Pierre Zirotti, professeur émérite, sociologue, Université Nice Sophia-Antipolis