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Quand la police militaire brésilienne tue comme au temps de la dictature

par Rufus

Publie le jeudi 28 avril 2016 par Rufus - Open-Publishing
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Brésil : Une Police Militaire meurtrière.

Le document ci-dessous témoigne de l’extraordinaire dégradation des conditions de survie de la population pauvre au Brésil, sous le règne de la terreur policière. Que de tels évènements puissent avoir lieu ouvertement prouve qu’il n’est même pas nécessaire d’implanter une dictature.
Adressez vos protestations à l’Ambassade du Brésil en France, 34, Cours Albert 1° 78008 PARIS et diffusez largement ce témoignage dans vos réseaux
A tous mes amis qui s’inquiètent de l’évolution du Brésil, à ceux et celles qui condamnent les crimes racistes, sexistes et homophobes et en particulier à tous ceux qui ont connu Roseli, qui se bat courageusement contre le crime policier odieux dont sa petite soeur a été victime. Voici le témoignage qu’elle a écrit en français pour que vous sachiez et que d’autres sachent ce qui est arrivé.
Témoignage de sur l’agression fatale de ma soeur Luana par la Police Militaire, à Ribeirão Preto, São Paulo, Brésil, le 8 avril 2016.
Depuis mon retour d’un long séjour d’études en France il y a quelques mois, j’habite avec ma famille dans la ville de Ribeirão Preto dans l’Etat de São Paulo, dans le quartier pauvre qui s’appelle Jardim Paiva II. Le vendredi 8 avril, ma sœur Luana Barbosa dos Reis Santos, 34 ans, est partie de la maison, en moto, de chez ma mère (ou elle habitait et où j’habite aussi) avec son fils Luan (14 ans) pour l’emmener en ville à son cours d’informatique.

Lorsqu’ils sont arrivés quelques maisons plus bas, à côté de l’école et devant le café du coin, ma sœur s’est arrêtée pour parler à des amis. Là, la (ou les ?) voiture de la police militaire qui passait s’est arrêtée à côté d’elle et à cet instant mon neveu a eu peur et a commencé à courir.

Les policiers sont venus vers ma sœur et lui ont ordonné violemment de mettre les mains sur la nuque et de se positionner avec les jambes ouvertes contre le mur de l’école. Ma sœur a répondu qu’elle était une femme, qu’ils n’avaient pas le droit de la fouiller en tant qu’hommes. D’après des voisins témoins de la scène, à ce moment les policiers lui ont donné un coup de pied sur la jambe et des coups au niveau de la taille pour qu’elle se mette dans la position demandée. Alors ma sœur a basculé sous leurs coups. Quand elle s’est relevée, probablement de manière impulsive, elle a donné un coup sur la bouche de l’un d’eux qui a saigné de la lèvre.
A partir de là, les voisins témoignent que les policiers ont commencé à la battre à coups de pieds, à coups de bâtons sur la tête et sur tout le corps, ainsi qu’à la frapper sur le ventre avec son casque de moto… Et, comme elle criait « au secours » et à appelait à l’aide, les voisins ont commencé à courir vers eux pour leur demander d’arrêter, ce à quoi ils ont répondu en tirant au revolver.
Ma mère et moi étions dans la maison quand nous avons entendu des cris et trois coups de feu. A ce moment-là nous sommes sorties en courant dans la rue et des gens couraient partout. Ma mère et moi, nous avons vu ma sœur par terre à genoux, sans T-shirt, menottée par derrière et avec 2 policiers qui la saisissaient de chaque coté. Entre nous et ma sœur il y avait plusieurs autres policiers, mais l’un deux qui était carrément devant et qui avait la bouche qui saignait a hurlé avec une telle haine et avec son gros pistolet vers ma tête et vers la tête de ma mère : « rentrez sinon vous allez mourir, rentrez sinon je vais vous tirer dessus ! » Nous avons eu le courage de répondre « s’il vous plaît monsieur c’est ma sœur », « S’il vous plaît, c’est ma fille », mais il a répété « rentrez sinon je tire ! ».
Au total je pense avoir vu cinq voitures de police et beaucoup de policiers. J’ai eu le sentiment d’être dans un scénario de guerre où on tire sur la population et on doit tous fuir la mort sans savoir pourquoi. Tout le monde courait et criait et il y avait des enfants aussi. Je tremblais de terreur avec ma mère et je voyais déjà le moment où on allait être obligées de prendre par terre le corps ensanglanté de ma sœur morte.
Nous sommes parties désespérées chez nous et j’ai appelé mes deux autres sœurs en leur demandant de venir à notre aide. Elles m’ont dit qu’elles allaient appeler les médias pour qu’ils viennent. D’un coup on a entendu encore deux tirs et ma sœur qui criait « mère, mère ! », d’un coup il y a eu la voisine qui criait et tapait à la porte en disant que c’était ma sœur qui criait et que les policiers allaient la tuer.
Quand nous sommes sorties une deuxième fois de la maison, les policiers sont venus et nous ont demandé de rentrer et cette fois ci ils sont entrés avec nous et c’est là que j’ai vu que trois policiers escortaient mon neveu (le fils de Luana), à la maison. Nous sommes tous rentrés, cinq policiers, ma mère, mon neveu et moi. Et en dehors de la maison ils ont laissé trois autres policiers qui montaient la garde devant le portail d’entrée pour empêcher les voisins de rentrer. J’ai vu deux voisins qui sont venus demander ce que se passait, en leur disant qu’ils se souciaient de nous et voulaient savoir si nous allions bien. Les policiers leur ont dit qu’il s’agissait d’une procédure normale et qu’il fallait qu’ils rentrent chez eux. A ce moment là j’ai vu, par la vitre teintée, ma sœur Luana qui se trouvait à l’intérieur de l’une des deux voitures de la police garées sur le trottoir, de manière à bloquer l’accès de la maison aux voisins.
Les policiers qui sont entrés dans la maison avec nous (sans mandat officiel, mais j’avais tellement peur que je n’ai pas osé leur demander) portaient leurs armes à la main. Ils ont commencé à fouiller la chambre de ma sœur en demandant où elle dormait, quelles étaient ses affaires, si elle était toxicomane, si elle avait déjà été en prison, s’il y avait une autre moto à la maison et si elle avait une autre résidence. Ma mère leur a répondu qu’elle habitait aussi chez sa compagne de l’autre côté de la rue et après avoir fouillé ce qu’ils voulaient sans rien trouver, ils sont partis chez la compagne de ma sœur.
Pendant toute l’action chez ma mère, les policiers ne nous ont pas dit ce qu’ils cherchaient. Lorsque j’ai posé la question ils ont dit que ma sœur avait agressé un policier. Quand je leur ai demandé pourquoi ils retenaient mon neveu comme s’il avait fait quelque chose de mal, ils ont répondu qu’il était le fils de celle qui a l’agressé un policier..
Après qu’ils eurent terminé de fouiller le domicile de la compagne de ma sœur (mère de trois enfants, qui les élève seule avec l’argent de son travail) une fois de plus sans mandat officiel et sans rien trouver, les policiers sont repartis à plusieurs voitures au commissariat central de la ville, amenant ma sœur avec eux.
Deux voisins nous ont conduits en voiture, moi, mon beau-frère et la petite amie de ma sœur, au commissariat. Là-bas, ma sœur était allongée sur un siège, mais ils lui ordonnaient de rester assise. Elle était déjà presque inconsciente, sans chaussures, sans T-shirt (c’est nous qui lui avons apporté le polo qu’elle porte sur les photos et vidéos), elle s’était uriné et vomi dessus et n’arrivait plus à se tenir debout. Afin de pouvoir regarder elle devait lever la tête et tenter d’ouvrir l’œil gauche car l’œil droit était presque en train de sortir de son orbite tellement il était meurtri, gonflé et rouge. Les policiers qui étaient venus dans mon quartier étaient tous là, faisant bloc. Celui qui nous avait menacées ma mère et moi avec une arme était là aussi avec un pansement sur la bouche. Ma sœur était extrêmement abattue et malgré cela ils ont conditionné sa sortie du commissariat au fait de signer la plainte de deux policiers qui l’ont accusée de « lesão corporal e desacato a autoridade » (lésion corporelle et non-respect de l’autorité). Bien que refusant de signer, elle a été forcée de le faire, sans même être dans l’état de lire la plainte. J’ai voulu lui lire et ils ont dit que ce n’était pas nécessaire car ils la lui avaient déjà lue et qu’il fallait signer vite. Pour que ma sœur puisse signer, moi-même et mon beau frère nous l’avons prise chacun d’un côté pour la tenir debout et lui tenir la main. C’est comme ça qu’elle a signé avec l’écriture d’une enfant qui ne correspond pas du tout à sa vraie signature sur sa pièce d’identité.
Après qu’elle ait signé j’ai demandé à un policier ce que ma sœur avait fait et il a dit : « Elle a voulu jouer au macho donc nous avons été obligé de la calmer. On a été trois pour la calmer, mais on l’a juste calmée parce que si on voulait vraiment la casser, un seul de nous suffisait pour faire le travail. »
Dans le commissariat, un enquêteur de la Police Civile m’a demandé si j’étais la sœur de Luana et m’a emmenée dans une pièce séparée pour dire qu’il avait demandé que ma sœur fasse un « exame de corpo e delito » (l’examen médical qui atteste une agression) à l’Institut Médicolégal, parce qu’il y avait des preuves corporelles évidentes que ma sœur avait été agressée par les policiers. Il m’a demandé ce qui s’était passé dans mon quartier et j’ai commencé à lui raconter. Il a voulu appeler le chef du commissariat pour que je dépose une plainte, mais avec tous les monstres qui se trouvaient à côté et qui ne quittaient pas le commissariat pour nous intimider, j’ai eu peur et je lui ai dit que je n’allais rien dire sans un avocat car j’avais trop peur de leurs représailles plus tard dans le quartier.
Les monstres sont partis du commissariat juste au moment où nous sommes parties en taxi et la peur qu’ils nous suivent était telle qui nous avons emmené ma sœur chez l’une de mes sœurs mariées qui habite très loin. En effet, il y a déjà eu des cas où les policiers sont allés tuer des gens à l’hôpital la nuit. Ce jour là, il fallait absolument que ma sœur soit conduite pour faire l’examen « de corpo e delito », qui atteste des agressions, mais l’institut responsable pour cela est fermé à partir de 18h le vendredi jusqu’au lundi matin.
C’est comme ça que ma sœur est partie du commissariat avec deux grandes bosses sur le crâne, vomissant, sans pouvoir marcher, ni parler correctement car ses phrases finissaient dans une langue incompréhensible (déjà les symptômes du traumatisme crânien).
Luana est décédée à l’hôpital le mercredi le 13 avril d’un poly traumatisme crânien.
Roseli Barbosa dos Reis, Ribeirão Preto, 19 avril 2016
PS : Je ne sais pas quoi dire en ce moment j’ai l’impression de m’être vidée de mes sentiments et en même temps d’avoir envie de pleurer toute ma vie de tristesse. Mais pour ne plus que ça me fasse mal je dois parler et dénoncer ce qui est arrivé à ma sœur. Je raconte l’histoire telle que j’ai su et que j’ai vu. Le fait que ma sœur ait réagi contre ses agresseurs ne peut pas justifier le fait qu’elle ait été battue à sa mort par des policiers qui à priori sont payés pour nous protéger. Si ma sœur a répondu à la violence avec de la violence, alors elle devrait être vivante pour pouvoir répondre devant la justice de ce « crime » de « lésion corporelle et manque de respect à une autorité ». Les coups de casque de moto sur son ventre alors qu’elle était déjà immobilisée à terre m’ont été révélés plus tard par des voisins témoins de la scène. Cela explique les nombreux hématomes sur son abdomen qui ont fait penser dans un premier temps aux médecins gynécologiques qu’elle avait été agressée sexuellement avec un objet. L’avocat affirme quant à lui que cela constitue un acte de torture suivi de mort. Au vu de la violence de son interpellation, sa réaction d’autodéfense était compréhensible. Alors que la police et certains médias tentent de justifier le crime policier par le coup qu’elle a porté au policier, beaucoup pensent ici que sa seule erreur a été de répondre à leur violence tout en sachant que la police militaire tue sans aucun problème.
LUANA est inhumée dans le cimetière où a été retrouvée la tombe de leur père, syndicaliste assassiné par la police au moment de la dictature et qui avait jusque là été porté disparu.

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