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Le Traité ne défend pas l’écologie ! (A expliquer cela aux Verts)

Publie le mercredi 18 mai 2005 par Open-Publishing

Traité établissant une constitution pour l’Europe - Ecologie

I. Contexte

En introduction, pour préciser les conséquences humaines des atteintes à l’environnement, rappelons quelques données :

- dans le monde, d’après les estimations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les pollutions de l’eau et de l’air provoquent, chaque année, respectivement 5 millions et 3 millions de décès ;

- en Europe, un peu plus de 100 000 décès, chaque année, sont imputables à la pollution de l’air et la dégradation de l’environnement est globalement responsable du décès de 100 000 jeunes, âgés de 0 à 18 ans, par an, ce qui représente plus du tiers des décès observés pour cette classe d’âge [1].

II. Analyse de la constitution européenne

Concernant l’écologie, les parties I « Dispositions fondamentales de la constitution » et II « La charte des droits fondamentaux de l’Union » font référence explicitement au développement durable et à un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement.
L’écologie est également abordée dans la partie III « Les politiques et le fonctionnement de l’union », en particulier dans la section 5 - Environnement du chapitre III du titre III, mais aussi indirectement dans les sections 4 - Agriculture et pêche et 10 - Energie.

La section 5 mentionne les objectifs suivants :

a) la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement ;

b) la protection de la santé des personnes ;

c) l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles ;

d) la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement.
Jusqu’à présent, tout va bien. Mais, cela commence à se gâter sérieusement par la suite. La phrase suivante est quelque peu étrange : « La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union. » Cela commence à ressembler quand même à :
« Un niveau de protection élevée de l’environnement, oui, mais ... » La dernière partie de la phrase limite de fait, même de façon imprécise, la validité de l’objectif exprimé. Il est tout à fait possible d’interpréter la phrase par : « Une région pourrait arguer d’une situation particulière
pour ne pas chercher à viser un niveau de protection de l’environnement élevé. »

Et ce n’est pas fini, la phrase suivante indique : « Elle [la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement] est fondée ... sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur. » Cette phrase est très subtile.
En effet, le principe du pollueur-payeur, un principe certes intéressant, pose problème car il n’empêche nullement la pollution à partir du moment où le pollueur peut payer sans problème. Ces deux principes sont une incitation implicite à polluer à partir du moment que l’on peut payer ou apporter des corrections, aussi incomplètes soient-elles [il convient de remarquer que la phrase de la constitution européenne ne précise pas qu’il faut apporter une correction aussi complète que possible], aux atteintes à l’environnement.

Mais, le pire arrive. Au détour de quelques paragraphes, on peut noter que :
- « Dans l’élaboration de sa politique dans le domaine de l’environnement, l’Union tient compte ... des avantages et des charges qui peuvent résulter de l’action ou de l’absence d’action ... »

- « ... lorsqu’une mesure fondée ... implique des coûts jugés disproportionnés pour les pouvoirs publics d’un Etat membre, cette mesure prévoit sous forme appropriée : a) des dérogations temporaires, ... »

La première partie rappelle curieusement la méthode dite « coûts-bénéfices », déjà mise en oeuvre avec ferveur par l’industrie. Ne vous inquiétez pas, avec ce texte, l’industrie ne se privera pas de continuer de l’appliquer. Le principe est le suivant. On évalue les charges, le coût d’une mesure de protection de l’environnement. Bien entendu, on charge la barque au maximum pour surestimer le coût. Ensuite, on évalue les bénéfices résultant de la mesure. Et là, on fait l’inverse, on minimise le plus possible. Résultat : par un tour de passe-passe, le coût devient supérieur aux bénéfices. On justifie ainsi l’absence d’action. Le tour est joué et c’est gagnant pratiquement à tous les coups.
La deuxième partie laisse la porte grand ouverte à des demandes abusives de dérogations. De plus, qu’entend-t-on par dérogation temporaire ? Dérogation pendant un mois, mille ans ?

III. Exemple illustratif

Pour illustrer nos propos, permettez-nous de vous raconter l’histoire suivante, réelle et actuelle, sous la forme d’un pièce de théâtre [2] et [3].

Acte I : un beau matin de 2001, la commission européenne découvre, sans doute avec stupeur, que 99 % des produits chimiques commercialisés, en volume, n’ont pas fait l’objet d’essais et d’une évaluation des risques pour la santé humaine. Elle propose un projet de réglementation des produits chimiques, dénommé REACH (Répertorier, Evaluer, Autoriser les produits CHImiques).
Il convient effectivement de souligner qu’un catalogue invraisemblable d’études scientifiques met en évidence les effets des produits chimiques sur la santé humaine. Plus de 100 000 produits chimiques sont commercialisés dans le monde. Un certain nombre de scandales ont éclaté, dont celui, peut être le plus emblématique, de l’amiante. L’utilisation de l’amiante va provoquer,
uniquement en France, le décès de 100000 personnes dans les prochaines décennies [4].
L’industrie de l’amiante parlait de gestion contrôlée de l’amiante ! Il est proclamé partout que le temps, où l’industrie chimique faisait n’importe quoi, est désormais révolu. On allait voir ce que l’on allait voir.

Justement, nous allons voir la suite. Acte II : la puissante industrie chimique ne tarda pas à réagir. Elle chiffra, de manière exagérée, le coût des mesures à plusieurs milliards d’euros, coût jugé disproportionné. Elle ne mentionna pas, sans doute un simple oubli malheureux, l’existence d’une méthode d’analyse cent fois moins coûteuse, basée sur le principe de puces à ADN. Même en se plaçant sur son terrain de prédilection, celui des coûts, elle oublia de préciser les coûts résultant de la contamination de l’air, de l’eau et des produits alimentaires par les produits chimiques, à la charge, bien entendu, de la collectivité.
Elle affirma haut et fort que ce coût allait porter atteinte à la compétitivité des entreprises chimiques européennes et fausser la concurrence, notamment vis-à-vis des entreprises américaines.

Et, bien entendu, toujours la même rengaine, ce coût conduira, finalement et inexorablement, à la suppression d’emplois, argument présenté comme imparable et incontestable. En substance, le discours est à peu prêt le suivant : « Braves gens, nous aimerions bien appliquer cette nouvelle réglementation. Mais, cela conduira à supprimer vos emplois et nous ne pouvons pas vous faire
cela. Regardez comme nous sommes bons avec vous. »

Dans l’acte III, trois personnages bien connus entrent en scène : Messieurs Chirac, Blair et Schröder. En 2003, ces trois Messieurs ont pris leur plus belle plume pour écrire conjointement au président de la commission européenne pour soutenir l’industrie chimique : « Nous devons veiller à ne pas imposer de charges [le terme est souligné car il est identique à celui mentionné
dans la constitution européenne] inutiles à l’industrie. ... Nous devons veiller à ce que ces propositions ne portent pas atteintes aux intérêts légitimes des entreprises de l’Union sur le marché mondial. ... Nous vous serions reconnaissants ... de contribuer ainsi à faire de la nouvelle
réglementation du régime applicable aux produits chimiques un modèle de nos efforts pour renforcer la compétitivité industrielle de l’Union européenne. »
C’est d’une limpidité stupéfiante : « Vous êtes prié s’il vous plaît de laisser l’industrie chimique continuer à faire de bonnes affaires, notamment pour satisfaire les intérêts légitimes de ses actionnaires, qui exigent un retour sur investissement avec une rentabilité de 15 % par an ! »

Acte final : sous la pression de l’industrie chimique, soutenue par des serviteurs aussi zélés que Messieurs Chirac, Blair et Schröder, une version considérablement édulcorée du projet REACH sera présentée au printemps 2005 au parlement européen.

En conclusion, au nom de la libre concurrence (citée 29 fois dans les 4 parties de la constitution européenne, pour le cas où le lecteur n’aurait pas bien compris ce qui est vraiment important), de la compétitivité de l’économie européenne (objectif affiché à de nombreuses reprises dans la
constitution européenne), de charges considérées comme insupportables et inutiles et d’un coût jugé disproportionné, une réglementation, visant la protection de la santé humaine, est quasiment mis au placard.

IV. Conclusion

Il apparaît que le contenu de la constitution européenne, de manière subtile, ne peut que renforcer les pratiques désastreuses, certes déjà existantes, visant à servir en priorité les intérêts des multinationales, de leurs actionnaires et des détenteurs de capitaux au mépris de la vie humaine, et surtout offre un cadre institutionnel et légal pour les « légitimer ».

Vu sur le site du Parti Humaniste


[1Organisation Mondiale de la Santé, bureau Europe, « Résumés des documents de référence », quatrième conférence ministérielle sur l’environnement et la santé, EUR/04/5046267/14, mai 2004

[2Samuel Epstein, « Le Système REACH », L’écologiste, n° 13, p. 47-51, septembre 2004

[3Samuel Epstein, « Les lobbies industriels contre la santé », L’écologiste, n° 13, p. 63-68,septembre 2004

[4François Malye, « Amiante : 100 000 morts à venir », Le Cherche Midi, 2004