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Loi Travail : Hollande veut aller au bout... mais au bout de quoi ?

par Laurence Dequay

Publie le vendredi 1er juillet 2016 par Laurence Dequay - Open-Publishing
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Le chef de l’Etat comme Manuel Valls veulent passer outre l’opposition de nombreux syndicats et de la majorité des Français pour faire adopter la loi Travail et son très contesté article 2. Aller jusqu’au bout donc. Or, en l’état, le projet de loi Travail est un peu comme le Brexit : on ne sait pas trop à quoi s’attendre puisque seul un tiers des établissements en activité dans l’Hexagone comptent des délégués syndicaux susceptibles de négocier.

« La loi sera votée et promulguée dans les délais prévus. Je souhaite qu’une majorité puisse être trouvée. A défaut il sera de nouveau recouru à l’article 49-3. » En deux phrases dans son interview au Echos le 30 juin, François Hollande a lié son avenir présidentiel à celui de la loi El Khomri. Qu’importe alors que la CGT, Force Ouvrière, Solidaires, la CGC, la FSU, l’UNEF, la Fidel, l’UNL, la FIDL, pour partie l’UNSA… et la majorité des Français, critiquent l’article 2 de cette réforme qui, en l’état, permettra aux partenaires sociaux de négocier, dans les entreprises, des accords majoritaires sur le temps de travail ( et donc indirectement leur rémunération horaire ) en dérogation aux conventions de branche ; des accords de compétitivité dits « offensifs » et des référendums à l’initiative de toute organisation recueillant au moins 30% des voix. Le chef de l’Etat comme Manuel Valls passent outre, veulent aller jusqu’au bout. Mais jusqu’au bout de quoi ?
La loi travail c’est un peu comme le Brexit…

Car en l’état, le projet de loi Travail c’est un peu comme le Brexit : on ne sait pas trop à quoi s’attendre puisque seul un tiers des établissements en activité dans l’Hexagone comptent des délégués syndicaux susceptibles de négocier. Et 10% signent effectivement des accords. « Il aurait fallu commencer par faire émerger des nouvelles formes de gouvernance du salariat », martèle Thomas Breda, chercheur au CNRS.

A croissance faible, les accords régressifs pourraient l’emporter, dans les grands groupes notamment où les usines sont gérées comme des centres de coût. « Et on se demande pourquoi le Président et le gouvernement cherchent à diminuer le pouvoir d’achat des salariés ? » s’interroge Jean-Claude Mailly, après son entrevue tendue à Matignon. En revanche, si la demande accélère, cette pression sera moins forte. De fait, dans sa note d’impact, Myriam El Khomri se garde bien de chiffrer les créations d’emplois attendues. Et Pierre Gattaz le Président du Medef claironne : « Cette loi, monument de complexité, illisible pour les PME, ne servira absolument à rien pour l’emploi. »

La CGT qui a mobilisé puissamment contre la loi travail, s’alarme. « Lorsque nous avons évoqué devant le Premier ministre le risque de dumping social généralisé, via les donneurs d’ordre qui pourront exiger des baisses de prix en demandant à leurs fournisseurs de moins payer leurs heures supplémentaires ( comme ce fût le cas au lancement du CICE, ndlr) , Manuel Valls nous a répondu qu’il assumait, déplore Philippe Martinez, son secrétaire général. Il m’a donné l’impression qu’il semblait plus intéressé par sa posture politique que par le texte de loi lui-même. »

« Nous avons dit à Manuel Valls que le risque qu’il prend, dans les services notamment, est plus élevé que celui qu’il croit prendre, renchérit François Hommeril de la CFE-CGC. De plus, ce sont les salariés qui le subiront ! Le seul moyen de le juguler serait d’instituer un contrôle apriori des branches sur toutes les dérogations relatives au temps de travail. »
Menace sur la présidentielle

C’est pourquoi, sauf coup de théâtre, en dépit des amendements du gouvernement renforçant le rôle des branches en matière d’égalité professionnelle et ceux de pénibilité jugés de « bon sens », la centrale de Montreuil, FO et les autres réfléchissent à de nouvelles mobilisations sous toutes formes, le 5 juillet. Et se reverront dès le 8 pour imaginer la rentrée, si le texte passe au forceps du 49-3 à l’Assemblée Nationale.

Pour la CFDT en revanche, décentraliser les négociations sociales permettra de lutter contre « la fatigue démocratique qui se fait sentir » : « Classe politique, gouvernement et patronat ne sont pas à la hauteur. Ils sont incapables d’expliquer et d’accompagner les transitions, de montrer le cap, écrit Laurent Berger son secrétaire général… Notre conviction est donc que les besoins des salariés sont mieux pris en compte si une partie des règles sociales est négociée au plus près d’eux… Et la CFDT est l’organisation salariale la mieux armée pour faire adhérer un grand nombre de salariés et les rendre acteurs. »

Conclu ou pas par un 49-3, comme en 1995 et en 2010, le mouvement contre la loi El Khomri va avoir des répercussions politiques. Déjà, l’ampleur du bras de fer, la tentative des députés frondeurs de censurer le gouvernement, ont incité François Hollande à concourir à une primaire à gauche. Et Christian Paul, leader du courant A gauche pour gagner promet une candidature face au Président sortant (Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Marie-Noëlle Linemann sont sur les rangs). Mais ce n’est pas tout. Des initiatives comme « Nuit debout », « Nous ne voterons plus jamais PS » inspiré par la revue Fakir ou encore la pétition initiée par Caroline de Haas sur internet, démontrent la méfiance croissante de millions de citoyens à l’endroit des partis et même des syndicats. « Ignorer à ce point un mouvement social qui a repris de la vigueur, c’est lunaire, tacle Eric Beynes de Solidaires, qui ne voit pas, après cet épisode, les réseaux sociaux et syndicaux qui innervent l’électorat traditionnel de la gauche, se mobiliser en 2017 pour promouvoir une candidature classique…

http://www.marianne.net/loi-travail-hollande-veut-aller-au-bout-au-bout-quoi-100244065.html

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