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Financer les mosquées pour les contrôler est un leurre

par Henri Peña-Ruiz

Publie le mercredi 24 août 2016 par Henri Peña-Ruiz - Open-Publishing
7 commentaires

Faut-il financer des lieux de culte musulmans sur fonds publics ? La question vient de ressurgir, rendue plus vive par la radicalisation islamiste. Le but serait d’éviter des prêches peu compatibles avec les principes de droit républicains et de tarir ainsi une des sources du fanatisme religieux. Dans cette hypothèse, les causes de nature sociale sont un peu vite passées sous silence.

Résumons pour l’heure un argument ressassé : payons des lieux de culte au lieu de laisser l’Arabie Saoudite le faire. Ainsi nous pourrons contrôler les discours qui s’y tiennent et leurs auteurs patentés afin d’éviter la propagation d’un islamisme fanatique. Bref, payons la salle de concert ainsi que l’orchestre et nous dicterons la musique. L’apparence de vérité d’un tel raisonnement n’est qu’un leurre.

La première remarque concerne le lien supposé entre le fait de payer un lieu de culte et le contrôle que cela rendrait possible. En République, ce lien n’existe pas juridiquement. Il ne peut se concevoir que dans le cas d’un particulier aisé qui finance un lieu de culte dont il exige la soumission idéologique en tout. Une étrange idée de la liberté religieuse. Quel croyant peut accepter ce chantage qui en somme achète la soumission ? « Je vous paie une mosquée. Mais attention à ce que vous y direz ! »

La deuxième remarque est un rappel. En République, nul besoin de payer pour contrôler. Ce n’est donc pas la domination qui joue, mais la loi commune à tous. Une loi que le peuple souverain se donne à lui-même, contrat de tous avec chacun et de chacun avec tous. L’égalité horizontale des contractants prend la place de la dépendance verticale. Et, pour obtenir le respect des droits humains qui fondent le contrat social, nul besoin de l’acheter. C’est l’essence même du droit commun qui vaut régulation. Un imam qui appelle à battre une femme, comme l’imam Bouziane à Lyon en avril 2004, est passible de poursuites pénales pour incitation à la violence et mise en danger de l’intégrité physique d’une personne. Un prêtre catholique intégriste qui inciterait à empêcher une représentation théâtrale ou la projection d’un film peut être poursuivi pour incitation à la violence.

Tel est l’État de droit et il n’a rien à voir avec le chantage implicite d’un financement public. L’origine du financement de la mosquée ou de l’église ne fait rien à l’affaire. D’ailleurs, vouloir payer pour contrôler, c’est faire preuve de condescendance pour les fidèles d’une religion, en se substituant à eux pour la délivrer de ses dérives intégristes. La République se contente de dire le droit et de poser, ainsi, les limites de pratiques religieuses qui lui contreviendraient. En parallèle, les religions doivent procéder à une adaptation issue de l’intérieur et non achetée de l’extérieur. Le raisonnement qui consiste à dire « payons pour contrôler » est en fait d’un autre âge. Il n’a rien à voir avec l’émancipation républicaine. Il remonte à trois modèles typiques du rapport de dépendance interpersonnelle propre à l’Ancien Régime : ceux du mécénat, du gallicanisme et du concordat. Un peu d’histoire.

Le mécénat intéressé fut longtemps le fait des rois, des empereurs ou des papes. Il opérait selon la logique d’une commande précise et conditionnelle : l’argent donné à l’artiste avait pour contrepartie la stricte conformité de l’œuvre au désir du payeur. Un exemple célèbre : le pape Clément VII commande à Michel-Ange une fresque à peindre sur le mur d’autel de la chapelle Sixtine, le Jugement dernier. Après six ans de travail, l’œuvre est dévoilée le 25 décembre 1541. Scandale. La nudité des corps expose la beauté des êtres humains. En 1564, Daniele da Volterra, disciple et ami de Michel-Ange, est chargé par le pape Paul IV de peindre des culottes sur les nus de la fresque. D’où son surnom de Braguettone (culottier). Cette censure a posteriori a transformé l’œuvre en chose possédée et ne l’a pas respectée. Autre exemple : Victor Hugo verra sa pièce Marion de Lorme censurée en août 1829 par le roi Charles X, qui lui proposera une pension de 4 000 francs comme dédommagement. Le poète refusera cette somme considérable, si manifestement liée à une volonté d’allégeance.

Prenons maintenant l’exemple du gallicanisme et de l’anglicanisme. Tous deux se définissent par une domination politique des Etats nationaux (France, Angleterre) sur l’Eglise. Le financement du culte est aussi sa mise en tutelle. Henri VIII, roi d’Angleterre aux sympathies luthériennes, fonde la religion anglicane après s’être heurté au pape Clément VII, qui l’a excommunié pour cause de divorce et de remariage avec Anne Boleyn. En 1534, le roi fait voter l’acte de suprématie qui fait de lui le chef d’une nouvelle Eglise, promue Eglise d’Etat : l’Eglise anglicane, qui conjugue une théologie protestante et une liturgie catholique. En France, Philippe IV le Bel tente (en vain) de reprendre au pape le pouvoir d’investiture des évêques. Il inaugure ainsi la démarche monarchique du gallicanisme qui entend affirmer la souveraineté du pouvoir temporel. Plus habile, Louis XIV sera dit par Bossuet monarque de droit divin, tout en régentant la chose religieuse notamment par l’abrogation de l’édit de Nantes, signal de nouvelles persécutions contre les protestants. Cette dérive du gallicanisme tourne au despotisme. Le gallicanisme royal n’a donc rien à voir avec la laïcité républicaine, car celle-ci sépare religion et politique sans soumettre l’une à l’autre. Contrairement au gallicanisme qui s’assure le contrôle de la religion par le pouvoir d’Etat, la séparation laïque se contente d’affranchir la loi civile de toute norme religieuse.

Quant au concordat, comme celui de Napoléon Bonaparte (1802-1807), il conjugue à l’égard des Eglises l’octroi de privilèges et la mise en tutelle, notamment par la nomination des responsables religieux. D’un côté, de l’argent et une reconnaissance publique pour les cultes et les clergés, de l’autre, une allégeance au pouvoir en place : tel est le marché. Le concordat napoléonien de 1802-1807 va s’assortir d’un catéchisme impérial et d’un sacre religieux. Napoléon ne restaure les privilèges des religions que pour obtenir en retour une sacralisation de son pouvoir. Aujourd’hui, dans un contexte républicain, un tel héritage n’a plus aucun sens. L’Etat ne contrôle plus l’Eglise, dont il entérine sans discussion les nominations. En revanche, celle-ci continue à jouir des privilèges juridiques et financiers sans contrepartie. Aussi injuste qu’anachronique, le concordat met à la charge de contribuables athées ou agnostiques l’entretien de cultes auxquels ils n’adhèrent pas. Il détourne ainsi l’argent public vers des intérêts particuliers, au détriment des services publics d’intérêt général.

Une République digne de ce nom ne peut reprendre à son compte des pratiques de l’Ancien Régime. D’abord, elle oublierait que dans un Etat de droit, c’est par les lois que l’on empêche a priori et que l’on sanctionne a posteriori tout agissement qui contrevient aux principes fondateurs de l’ordre public. Ensuite, elle violerait le principe d’égalité des athées et des croyants en faisant payer aux premiers les dépenses cultuelles des seconds. Etrangement, c’est ce principe d’égalité que M. Ries, maire socialiste de Strasbourg, oublie et bafoue en soutenant le financement concordataire des religions. Pourquoi ne pas financer aussi la Libre pensée, l’humanisme de la franc-maçonnerie et l’Union rationaliste ? Enfin, la dépense publique, si décriée par le néolibéralisme, se trouverait alourdie au profit d’intérêts particuliers alors que des dépenses d’intérêt général sont négligées.

Est-ce le dernier mot ? Non. Car si la lutte contre la radicalisation intégriste est une exigence, il faut remonter à toutes ses causes. Or, le capitalisme néolibéral ne cesse de privatiser, de détruire les services publics, de produire du chômage en externalisant les coûts sociaux, écologiques et humains. Il transfère à la charité religieuse ce qui naguère relevait de la solidarité propre à une république sociale. Un transfert dangereux qui accroît les occasions d’intervention de responsables religieux parfois hostiles aux lois républicaines. Le couplage entre la dérive néolibérale et le retour en force des cléricalismes les plus intolérants n’a rien d’un hasard. Qui est responsable de cette terrible dérive ? Ceux qui laissent la place aux religions pour panser les plaies d’une société malade, d’un lien social vidé de son sens humain, d’un bien commun sans moyens réels pour faire vivre la solidarité.

http://www.liberation.fr/debats/2016/08/21/financer-les-mosquees-pour-les-controler-est-un-leurre_1473868

Messages

  • Sans pratiquer la philosophie, beaucoup sont arrivés depuis longtemps à cette conclusion. Désignons les principaux responsables : le PS au pouvoir dès 1983, jamais contesté par la Droite :
    L’exemple le plus éclatant de cette "dérive" libérale écoeurante des années 80-90, c’est la création des "Restaurants du coeur" et autres "téléthons" presqu’en même temps que le RMI et le développement formidable des ONG, dont le rayon d’action qu’on croyait réservé aux pays du "tiers-monde" s’est étendu progressivement à la France.
    Les artistes progressistes les plus médiatiques de l’époque se sont associés "massivement" pour des raisons diverses à cette démarche, jusqu’à la caricature.
    Pour ce qui est du financement des mosquées, évidemment, il y a problème : pour ce que j’en connais,les institutions catholiques, elles, sont des occupants à titre gratuit et qui se comportent comme des propriétaires des églises, propriétés communales, entretenues avec nos impôts pour un coût exorbitant , compte tenu aussi de leur faible fréquentation par les citoyens.
    J’ai des propositions d’inspiration égalitaire :
    Partager la jouissance des églises, bâtiments communaux entre catholiques et musulmans à 50% (à partager avec d’autres cultes si besoin en est). Essayer de dégager des points communs quant à leur décoration et leur usage à tour de rôle dans la semaine ou en d’autres occasions, ce qui serait facile.
    Ou bien refondre toutes ces aides "indirectes", fort chères pour la collectivité et distribuer des subventions en fonction du nombre de contribuables se déclarant soutenir personnellement telle ou telle association chargée de l’entretien de ces lieux de culte sans en être propriétaire.
    Enfin, exonérer les citoyen’ne)s de la part de l’impôt local pour l’entretien de l’église.

    • Enfin, exonérer les citoyen’ne)s de la part de l’impôt local pour l’entretien de l’église.

      Pour répondre à cette assertion, et sans vouloir entamer de polémique il me semble utile de rappeler la Loi de 1905 sur les cultes.

      Les églises , (Celles-ci étant pratiquement les seules concernées car en 1905 ça n’étaient pas les mosquées, les temples, ou synagogues qui étaient majoritaires en France), ont vu leurs bâtisses nationalisées comme patrimoine de l’état lors de l’application de la Loi Combes.

      Parmi celles ci il faut distinguer celles qui figurent aux Bâtiments historiques, (Qui ont un statut particulier), des églises locales sans intérêt culturel affirmé.

      Pour certains biens, en particulier conventuels mais aussi séculiers, les occupants ont été expulsés en 1905, mais la majorité des églises ont continué à remplir leur rôle vis à vis des paroissiens. Les Diocèses ainsi que les Conseils de Fabrique religieux, (Associations de paroissiens) ayant en charge le mobilier et l’entretien de l’intérieur des bâtiments ainsi que les frais de fonctionnement de la Paroisse.

      Les églises ou ouvrages conventuels dont la construction est postérieure à la Loi ne sont pas prises en charge financièrement par l’état ou les communes.

      Evidemment, il y a souvent des moyens de détourner la loi par le biais de subventions à des associations religieuse qui prétendent à des buts culturels. en particulier dans les communes rurales à forte majorité catholique.

      Tout ça pour dire qu’il s’agit d’une jungle législative, et que ça ne serait peut-être pas trop le moment de soulever encore un lièvre de plus alors que le pouvoir cherche toutes les polémiques pour monter les Français les uns contre les autres afin de masquer sa perte de confiance vis à vis des citoyens.

    • Le clergé catholique qui dans ce cas, comme dans d’autres, profite de l’argent public reste un propriétaire foncier important par ailleurs, et la loi telle qu’elle est leur est utile, voire indispensable. Dans les communes rurales les maires renvoient au curé l’autorisation d’utiliser le bâtiment propriété de la commune qu’est l’église, aux associations laïques ou autres qui veulent l’utiliser. Cela donne un pouvoir qui peut aller jusqu’à la censure voire l’interdiction pure et simple si l’activité proposée ne leur convient pas. Le curé a ainsi la main mise sur les programmes des formations musicales ou autres activités artistiques.
      La loi 1905 devrait être revue dans un souci d’intégration, d’égalité et d’apaisement que ne rejetteront pas forcément tous les catholiques et curés de la base qui savent que l’Islam (puisque l’Islam est actuellement sur la sellette) est issu des croyances tirées de la Bible et de l’Evangile.
      Cela ne m’amusait pas de voir la cave de mon immeuble transformée en mosquée et que l’Imam est encore recruté et payé par le régime dictatorial et sanguinaire des sultans du Maroc, en liaison directe avec le consulat général et l’ambassade.
      Certains de mes camarades de la CGT ont payé leur engagement syndical sur dénonciation quand ils prenaient leurs vacances dans leur famille au Maroc.
      Pour d’autres, simplement avertis, ils furent et sont encore obligés de fréquenter la mosquée et de cesser leurs activités...

    • "La loi 1905 devrait être revue dans un souci d’intégration, d’égalité et d’apaisement"

      ll est hors de question d’accepter de payer le culte de quelques uns.

      Il faut au contraire revenir sur certaines contradictions de la la loi de 1905, qui accordent des cadeaux somptueux aux religions.

  • Pourtant le Pouvoir en place finance bien les Associations, les Syndicats, la Presse, les Ecoles dites "libres", et les Partis politiques.

    Y compris par le biais des remises d’impôts sur les cotisations et dons.

    Et au niveau du contrôle étatique, vu les résultats qu’il obtient, ça a l’air de pas mal marcher.

    Plus personne ne bronche... Ou si peu que ça en est négligeable, juste pour faire croire au bon peuple à un peu de "démocratie".

    Je ne dis pas cela pour "défendre" les prédicateurs illuminés, mais si on ne finance pas ces organismes afin de les contrôler, il faut alors en interdire le financement par des états et ONG étrangères qui s’en servent comme Cheval de Troie pour nous détruire et nous infiltrer.

    Et c’est toutes les religions et entités non étatiques qui doivent être concernées.

    Ceci ne devant pas concerner simplement l’"Islam", vrai ou faux, mais aussi TOUTES les religions, sectes diverses, sionistes, chrétiennes, évangélistes, mormons, LGBT, lobbyistes, ethnicistes, droit de l’hommistes, j’en passe et des meilleures.

    Un pays "laïque" ça doit être ça. Un pays qui traite tous ses acteurs/citoyens à parts égales selon leurs besoins physiques et psychiques fondamentaux.

    La "géométrie variable" c’est efficace sur les aéronefs, mais mortel "en ingenierie sociale".

    G.L.

    • La religion est spécifique par qu’elle aliène l’individu de manière perverse : dès l’enfance, par des liens affectifs très forts avec la famille.
      Elle constitue ainsi un obstacle majeur à l’émancipation humaine, en particulier pour les femmes victimes de cette aliénation.

      Confondre les avantages fiscaux accordés par l’Etat aux partis politiques et associations d’une part, et aux religions d’autre part, constitue une erreur conceptuelle.

    • Confondre les avantages fiscaux accordés par l’Etat aux partis politiques et associations d’une part, et aux religions d’autre part, constitue une erreur conceptuelle.

      Désolé, mais dans la mesure ou les Religions, ne sont pas mises hors-la-loi il est pratiquement et même éthiquement impossible de les distinguer des simples convictions et participation bénévoles au bien être public.

      Sinon on ouvre la porte à toutes les discriminations possibles entre citoyens.

      Ca n’est pas que je défende qui que ça soit, mais c’est le principe même de la République laïque et universelle.

      De plus seul ceux qui ne veulent pas le savoir ne connaissent pas le rôle joué par les subventions publiques pour anhilier les vélléïtés de résistance au Pouvoir ou favoriser les volontés qui lui sont favorables.

      On peut aussi interdire arbitrairement les opinions et croyances qui ne plaisent pas, ou distribuer les subventions à la tête du client mais ça ne s’appelle pas de la "démocratie". On appelle plutôt cela du "clientélisme".

      Personnellement ça ne me dérangerai pas vraiment, vu que je suis pour une vraie "Dictature de la Majorité et du Prolétariat réunis", mais je ne vois pas ce point de vue comme pouvant être soutenu par la majorité des citoyens français à l’heure actuelle.

      En attendant va bien falloir trouver une solution satisfaisante si on ne veut pas qu’une encore plus déplaisante ne s’impose à nous...

      Et sans notre consentement cette fois.

      G.L.