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La lettre secrète de Bercy sur 45 000 comptes cachés en Suisse

par Boris Cassel et Matthieu Pelloli

Publie le lundi 26 septembre 2016 par Boris Cassel et Matthieu Pelloli - Open-Publishing

ÉVASION FISCALE. La France presse les autorités suisses de lui fournir l’identité des Français détenant près de 45 000 comptes numérotés ouverts chez UBS.

« Ce document [...] doit être tenu secret. » Cette phrase figure au bas d’un courrier signé d’un des responsables de l’administration fiscale française. Intitulée « demande d’entraide administrative » et adressée le 11 mai dernier aux autorités suisses, cette lettre de cinq pages — que notre journal a pu consulter — est une véritable menace pour tous ceux qui ont tenté de cacher de l’argent de l’autre côté du lac Léman. Car Bercy y demande la communication du nom des propriétaires français de 45 161 comptes bancaires. Tous ouverts en 2006 et en 2008 auprès d’UBS en Suisse.

L’administration soupçonne qu’une « partie des comptes [...] n’ait pas été déclarée », ce qui « peut représenter plusieurs milliards d’euros de manque à gagner pour le Trésor français », explique-t-elle à ses homologues helvétiques. Les perspectives de rentrées fiscales sont gigantesques.

4 782 comptes étant connus, il reste « 40 379 comptes à identifier », selon le fisc

Le fisc évoque pour l’impôt sur le revenu les exercices 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014 et, pour l’impôt de solidarité sur la fortune, les exercices 2010, 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015. Bercy fait donc tout pour accélérer la cadence dans ce dossier à rebondissements. Et éviter que des fraudeurs possibles ne bénéficient d’une éventuelle prescription. En effet, l’existence de ces comptes est connue depuis plusieurs années. Comme l’avait révélé le magazine « le Point » en janvier, ce sont les autorités allemandes qui, au cours de perquisitions dans des succursales d’UBS en 2012 et en 2013, tombent sur plusieurs listes de comptes ouverts en suisse par des contribuables français. Des fichiers que les Allemands ont ensuite transmis à Bercy en 2015. Depuis, les fonctionnaires exploitent ces informations. Et leurs premières investigations montrent, pour reprendre les termes du fisc, la « fiabilité » des listes et « l’existence d’une fraude ».

Impossible de se passer du concours de la Suisse

Problème, dans la plupart des cas, ces comptes sont numérotés. Et donc anonymes. En recoupant avec diverses informations, les fonctionnaires ont quand même réussi à identifier 4 782 d’entre eux. Certains, d’ailleurs, étaient déjà régularisés. Reste, donc, selon le fisc, « 40 379 comptes bancaires à identifier ». Et là, impossible d’y arriver sans le concours de Berne. Que vont faire les autorités helvètes ? Si elles ont, par le passé, souvent traîné des pieds pour répondre aux demandes des autorités françaises, leur position est aujourd’hui un peu plus souple.

Selon nos informations, les autorités suisses ont jugé la demande française juridiquement recevable. Les clients d’UBS commencent d’ailleurs à être contactés... Sollicités par notre journal, ni le ministère des Finances ni la banque UBS n’ont souhaité faire de commentaires.

Les avocats suisses cherchent la parade

Depuis quelques semaines, les avocats fiscalistes suisses spécialisés dans la clientèle internationale voient affluer des sollicitations de la part de Français. Car la demande d’assistance administrative lancée par Bercy sur près de 45 000 comptes UBS (dont 40 000 numérotés) appartenant à des Français inquiète. L’administration fédérale des contributions — l’équivalent de Bercy en Suisse — a communiqué au cours de l’été sur l’existence de cette demande et a invité les personnes n’ayant pas d’adresse connue en Suisse à se rapprocher d’elle rapidement. Au grand dam des avocats, qui préparent leur contre-attaque.

« Nous sommes plusieurs avocats à nous opposer à cette transmission d’informations », explique le fiscaliste Philippe Kenel. Première faille à exploiter, selon eux : l’origine des données. C’est l’Allemagne qui a trouvé un listing de clients français au cours de perquisitions. Comment ces informations se sont-elles retrouvées en Allemagne ? Ont-elles été volées ? Un point crucial, selon les avocats, qui affirment que la Suisse ne peut répondre à la demande de la France que si ces informations ont été obtenues légalement. Les avocats font donc tout pour connaître le parcours des listings.

Ancien procureur devenu fiscaliste, Paolo Bernasconi promet déjà d’attaquer en justice pour obtenir cette information. Autre faille identifiée : les dates. Ces comptes auraient été ouverts en 2006 et 2008. « S’ils ont été fermés avant 2010, la Suisse n’a pas le droit de transmettre les informations. Et, si le compte a été fermé entre 2010 et 2013, l’échange d’informations ne peut avoir lieu que si les autorités étrangères indiquent le nom du propriétaire du compte », assure ainsi Philippe Kenel.

B.C.

http://www.leparisien.fr/economie/la-lettre-secrete-de-bercy-sur-45-000-comptes-caches-en-suisse-26-09-2016-6149807.php#xtor=AD-1481423551

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