Accueil > Le citoyen comme modèle et comme alternative 2/2 suite et fin

Le citoyen comme modèle et comme alternative 2/2 suite et fin

par Michel Piriou

Publie le vendredi 20 janvier 2017 par Michel Piriou - Open-Publishing

Le citoyen comme modèle et comme alternative 2/2 et fin.
dans Mes articles le 2 Avril 2012 à 08:32

En guide de préambule… car rien ne remplace une réalité...mais nous regardons ailleurs...

« Quelque 35.000 morses se sont échoués sur une plage d’Alaska à cause de la fonte des glaces de l’Arctique, conséquence du réchauffement climatique, affirme l’institut américain de géophysique »

Dans la première partie-

j’ai seulement-situé les forces en présence en essayant de faire comprendre la notion du capitalisme moderne et les grandes lignes de mouvements populaires ayant abouti à une modification du rapport de force. Dans cette seconde partie, j’aborderai plus concrètement le déroulement historique du contexte qui a posé les bases de l’idéologie libérale. Je montrerais l’importance, la portée de grands évènements et mon questionnement à leur sujet, la position ensuite à laquelle je suis parvenu et qui n’est pas toujours celle des journalistes, des économistes, des philosophes les plus connus et les plus reconnus pour leurs analyses sociologiques et géopolitiques.

On se demandera quel est le rapport avec « les citoyens comme modèle et comme alternative », c’est un rapport qui doit être construit. Pour le construire il faut des fondations solides et étayées. Ce sont ses fondations que je mets en place car on ne peut pas proposer un modèle qui se veut alternatif sans l’insérer dans un contexte historique, l’expliquer et le décortiquer.

Préambule : comme le texte est assez long, pour ne pas lasser le lecteur, je propose de scinder cette seconde partie en deux volets.

Premier volet

Modelage du monde marchand à partir de 1945

L’épicentre de cette épopée, car il s’agit bien d’une aventure avec des héros, se situe aux États-Unis. "Des Héros" car c’est ainsi que les hommes d’affaires américains se considèrent encore aujourd’hui. Cette aventure dont je raconte l’histoire a commencé en 1945 et a pris fin en (1990). Pendant toute cette période exactement, ni plus ni moins, les États-Unis auront été la puissance hégémonique du monde. Quelle fut donc la source de cette hégémonie ? ; Sa prospérité. À quels signes enfin s’est-elle fait connaître ? Toujours par sa prospérité. Qu’à t-elle donc fait pour mériter ce rare et unique privilège ?

Un continent épargné par la guerre disposant de l’appareil productif le plus moderne de l’époque

L’histoire de cette prospérité a commencé en 1945, alors que le monde venait tout juste de sortir d’une guerre mondiale longue et terrible. On s’était battu sur toute l’étendue des continents européens et asiatiques, depuis la Grande-Bretagne jusqu’au Japon, les Philippines, les îles du Pacifique, et depuis les régions nordiques jusqu’en Afrique du nord, l’Asie du sud-est, la Mélanésie à l’extrême sud. Partout, dans cette zone immense, s’étaient accumulées les dévastations, anéantissant des vies humaines et des ressources matérielles indispensables à la production mondiale. Certaines régions étaient plus détruites que d’autres, mais pratiquement aucune ne s’en était tirée sans dommage. En fait, la seule grande région industrielle du monde dont les équipements et les infrastructures collectives étaient demeurés intacts, c’était l’Amérique du nord. Les usines américaines n’avaient subi aucun bombardement et, même, elles avaient atteint, grâce à la mobilisation et à la planification de l’effort de guerre, des niveaux de productivité encore plus élevés. Or les États-Unis, lorsqu’ils entrèrent en guerre, disposaient d’un appareil productif qui était déjà au moins l’égal de tout autre dans le monde.

Dans ces conditions, la destruction subie par les autres pendant la guerre eut pour résultat un écart véritablement énorme dans les capacités de production et les rendements. Cet écart ouvrit pour les entreprises américaines, dans les vingt-cinq années suivantes, la possibilité d’affaires florissantes comme elles n’en avaient jamais connues auparavant. Il détermina la seule manière possible pour ces entreprises de faire de bonnes affaires : en accordant à leurs ouvriers une notable augmentation de leurs salaires réels. Enfin, cette hausse des salaires réels - transformée en acquisitions de maisons, d’automobiles, de bien domestique durable, et allant de pair avec une multiplication des possibilités d’accès à l’instruction forma la prospérité dont jouissaient les Américains et engendra un énorme décalage économique avec tous les pays du monde.

Naissance de l’idéologie productiviste

Qu’est-ce donc que la prospérité ? C’est avant tout une possibilité de jouir, de créer, de distribuer des biens. Mais c’est aussi un fardeau. Et le premier fardeau qu’impose la prospérité est la pression à laquelle elle soumet pour la conserver. Réfléchissez-y : « qui serait prêt à renoncer aux bonnes choses de la vie » ? Une minorité au mieux, même s’il a toujours existé des gens disposés à abandonner leurs privilèges par sentiment altruistes, humanistes ou de culpabilité. Mais la plupart des gens voient dans le renoncement au confort une marque de sainteté ou de folie qui, si admirable soit-elle, n’est pas faite pour eux. La nation américaine entre 1945 et 1990 se conduisit en nation de citoyens hyper-consommateurs.- Étant devenue prospère, elle s’efforça de conserver cette prospérité-. Ce que ce pays, ses dirigeants et ses citoyens considéraient, "considèrent" comme un objectif national, ce n’était pas l’égalitarisme, ni même l’équité, idée romantique et peut-être utopique, mais bien "le bonheur prospère". Que devaient donc faire les États-Unis pour conserver la prospérité dont ils disposaient ? Dans l’immédiat après-guerre, les États-Unis avaient besoin de trois choses : de consommateurs pour leur immense production industrielle ; d’un ordre mondial stable permettant au commerce de se faire aux coûts les moins élevés ; et de garanties contre toute interruption des opérations productives. Or rien de tout cela ne semblait très facile à obtenir en 1945. Les mêmes destructions de la guerre mondiale qui avaient conféré aux États-Unis leur incroyable supériorité avaient aussi beaucoup appauvri les plus riches régions du monde. On avait faim en Europe et en Asie, et leurs populations n’en étaient pas à pouvoir se payer les automobiles de Detroit. Beaucoup de problèmes « nationaux » étaient restés sans solution à la fin de la guerre, non seulement en Europe et dans la partie Nord de l’Asie, mais aussi dans nombre de pays situés hors des zones de combats, dans ce qu’on allait appeler plus tard le Tiers Monde. La paix sociale semblait inaccessible.

Et aux États-Unis même, les Américains n’attendaient qu’une occasion pour reprendre leurs propres conflits sociaux explosifs des années trente. Avec plus de détermination qu’on aurait pu s’y attendre, les États-Unis se mirent en devoir d’éliminer par les moyens adéquats ces menaces contre la prospérité qu’ils avaient acquise et qu’ils comptaient bien augmenter encore. Ils mirent leur idéalisme au service de leur intérêt national. Les États-Unis croyaient en eux-mêmes et dans leur excellence ; ils s’efforcèrent donc de servir le monde et de le diriger, comme ils l’estimaient juste et sage par le libre échange. Ils se sentirent engagés à poursuivre sur la voie qu’ils avaient tracée pour eux-mêmes et qu’ils considéraient comme la voie droite, la voie unique.

Les quatre piliers (de la sagesse marchande) du bon vendeur au reste du monde
Il faut reconnaître aux États-Unis quatre grandes réussites dont ils se considèrent comme légitimement les principaux auteurs. En premier lieu, la reconstruction des continents d’Europe et d’Asie dévastés et leur réinsertion dans l’activité productive de l’économie mondiale. En deuxième lieu, le maintien de la paix dans le monde, le fait d’avoir réussi à la fois à empêcher la guerre nucléaire et l’agression armée. Troisièmement, la décolonisation de l’ancien monde colonial, accomplie de façon largement pacifique et accompagnée d’une « importante aide au développement économique » misant sur l’exportation. Enfin, quatrièmement, l’acquisition par la classe ouvrière américaine d’un niveau de vie économique sans commune mesure avec les besoins réels d’une population conviée à la surconsommation, aux gaspillages des ressources et aux surproductions. Ce qui fait déjà beaucoup de superlatifs pour un seul pays. Le rêve américain s’accomplissait, nous entrions dans « le siècle de l’Amérique ».

Aussi le bilan véritable, du point de vue de l’analyse comme du point de vue du jugement moral, est-il beaucoup moins simple et moins neutre qu’il ne semble, avec du recul, que certains ne voudraient bien l’admettre.

Où l’hégémonie marchande passe, la morale trépasse

Évidemment, -il ne s’agissait pas là simplement d’altruisme-. Les entreprises américaines avaient besoin d’une masse importante de consommateurs à l’étranger pour pouvoir produire avec efficacité et profit. C’était là exactement ce dont une Europe occidentale et un Japon reconstruits recréeraient les conditions. De plus, les États-Unis avaient besoin sur la scène internationale d’alliés en qui ils pussent avoir confiance, prenant leurs instructions à Washington : les États d’Europe de l’Ouest ainsi que le Japon étaient tout désignés pour jouer ce rôle. L’institutionnalisation de cette alliance prit la forme des pactes militaires (l’OTAN et le Traité de défense américano-japonais) mais surtout d’une étroite coordination permanente des politiques de ces pays sous le « leadership » américain. Son résultat le plus clair, du moins au début, fut que toutes les décisions importantes en matière internationale étaient prises à Washington, avec l’accord le plus souvent tacite et le soutien acquis d’avance d’un groupe de puissants États clients des États-Unis. Dès lors, les États-Unis ne voyaient plus en face d’eux sur la scène mondiale qu’un seul obstacle sérieux : l’Union soviétique, qui semblait poursuivre des fins politiques tout à fait distinctes de celles des États-Unis, et même contraires. Or l’Union soviétique était à la fois la seule puissance militaire comparable aux États-Unis dans le monde de l’après-guerre et le centre politique du mouvement communiste international, qui avait pour objectif proclamé la révolution mondiale. Dans les débats concernant les rapports entre les États-Unis et l’Union soviétique durant cette période, deux termes reviennent sans cesse pour désigner la politique américaine : « Yalta » et « endiguement ».

Le nom de Yalta sonne comme le rappel d’un marchandage cynique, quand ce n’est pas celui d’une trahison lâche par l’Occident. Par contraste, celui d’endiguement symbolise la détermination des États-Unis à faire barrage à l’expansionnisme soviétique. Mais en réalité, Yalta et l’endiguement ne représentent pas deux politiques distinctes, moins encore contradictoires. Il s’agissait d’une seule et même chose : s’il y eut marché conclu, ce fut précisément sur l’endiguement, le coup d’arrêt mis à l’expansion soviétique. Et comme la plupart des marchés, il fut fondamentalement proposé par le plus fort (les États-Unis) au plus faible (l’URSS), et accepté par l’un et par l’autre parce qu’il correspondait à leurs intérêts. À la fin de la guerre, les troupes soviétiques occupaient la moitié de l’Est de l’Europe, les troupes américaines occupant la moitié Ouest. La frontière s’établissait sur l’Elbe ou sur une ligne allant de Stettin à Trieste, dont l’emplacement correspondait à ce qu’en 1946 Churchill allait désigner comme le « rideau de fer ». Le marché conclu, en apparence, se contentait de ratifier un statu quo militaire et de garantir la paix en Europe, laissant aux États-Unis et à l’Union soviétique toute liberté de régler à leur guise les problèmes politiques dans leurs zones respectives. Qu’on l’appelle « Yalta » ou « endiguement », ce statu quo militaire a été scrupuleusement respecté des deux côtés de 1945 jusqu’à 1990. Un jour, on le considérera non sans nostalgie comme un âge d’or révolu.

L’organisation mondiale du travail made in america

Bien sûr, il est vrai que les États-Unis se sont efforcés d’aider à la reconstruction des continents dévastés. Très vite aussi, ils passèrent à des politiques plus substantielles, à long terme : avant tout le plan Marshall. Les objectifs de ces initiatives étaient très clairs : reconstruire les usines et les infrastructures détruites ; recréer des économies de marché en état de marche, dotées de monnaies stables, et bien intégrées à la division internationale du travail ; garantir des possibilités d’emploi suffisantes. Les États-Unis, d’ailleurs, ne se contentèrent pas d’une aide économique directe. Ils voulurent aussi encourager la création de structures inter-européennes pour empêcher la reconstitution des barrières protectionnistes associées avec les tensions de l’entre-deux-guerres.

L’entente cordiale sur le dos des peuples

Mais le marché comportait aussi trois clauses complémentaires qu’on a trop tendance à oublier. La première concernait le fonctionnement de l’économie mondiale. Elle stipulait que la zone sous contrôle soviétique ne demanderait ni ne recevrait pour sa reconstruction aucune aide américaine : les pays qui la constitueraient recevraient l’autorisation de se retirer dans une quasi-autarcie comme dans une coquille ou pour mieux dire, ils en recevaient l’ordre. Les États-Unis y trouvaient plusieurs avantages : la reconstruction de la zone soviétique s’annonçait comme une entreprise aux coûts gigantesques, et ils avaient déjà assez de pain sur la planche avec l’aide à l’Europe occidentale et au Japon. D’ailleurs, rien ne prouvait que l’URSS - et la Chine - une fois reconstruites constitueraient à court terme un marché vraiment intéressant pour les exportations américaines : rien de comparable en tout cas avec ce que, l’Europe occidentale et le Japon pouvaient offrir. Les profits à venir n’auraient donc pas répondu aux investissements exigés par la reconstruction. Du point de vue économique, Yalta représentait à court terme un gain net pour les États-Unis. La deuxième clause concernait le champ des luttes idéologiques. Elle autorisait et même elle encourageait chacun des deux camps à faire monter le ton dans leur condamnation mutuelle. - Et Staline n’avait certes rien à y objecter (cf l’escalade des missiles).

L’entente cordiale et l’oblitération des consciences

La lutte entre les deux mondes, désignés comme « communiste » et « monde libre », permit à chaque camp d’établir en son sein un contrôle idéologique serré : l’anticommunisme à l’Ouest, les procès d’espionnage et les purges à l’Est. Mais que contrôlait-on en fait, à l’Ouest comme à l’Est ? C’était toujours ce que j’appellerai « les éléments perturbateurs », en entendant par-là les éléments qui voulaient remettre radicalement en question l’ordre existant dans le monde, l’économie capitaliste renaissante et florissante sous l’hégémonie des États-Unis avec la collaboration de l’Union soviétique agissant en quelque sorte comme leur agent, comme un sous-impérialisme. C’est pourquoi, hier comme aujourd’hui il est potentiellement dangereux d’être isolé pour revendiquer et de ne pas appliquer la théorie du fusible (interchangeable). Ce qui explique aussi les mouvements d’opposition transversaux et leur consistance nébuleuse à l’heure actuelle.
Quant à la troisième clause, elle stipulait que « Tiers Monde » serait pour ainsi dire hors jeu et ne pourrait sous aucun prétexte remettre en cause la grande paix américaine en Europe ni son soubassement institutionnel, la doctrine de l’endiguement mise au point à Yalta.

Chacune des deux parties en prit l’engagement, qui au bout du compte fut respecté.

Remarque de l’auteur

(Je pense que ce 2ème volet à un goût d’inachevé et sans doute, si un jour j’ai un peu de temps, il sera relu et corrigé)

Je devrais revoir des études historiques… notamment sur le présupposé de l’union soviétique en bloc communiste anticapitaliste derrière son rideau de fer comme conséquences historiques, plutôt que comme stratégie libérale mise en place à la fin de la guerre dans les cénacles, des deux côtés de l’Oural et de l’atlantique. Le peuple russe et ceux des pays satellites annexés paieront le prix de la stabilité économique mondiale au prix de l’idéologie marxiste. Donnant donnant, tout le monde y gagnait. Je crois être un des rares à avoir développé cette hypothèse qui remet en question l’histoire officielle : le communisme est d’origine libérale et américaine en tant que source...d’inspiration.

Sachez néanmoins que ce n’est pas un signe de bonne santé mentale que d’être bien adapté (trop bien) à une société malade...

Michel Piriou
Montreuil le 1er mai 2001