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Le Montenegro, Etat mafieux aux portes de l’Europe ?

Publie le vendredi 14 avril 2017 par Open-Publishing

Kotor, Monténégro : la petite station balnéaire sise au creux d’un fjord donnant sur l’adriatique a tout du cliché de carte postale. Ses vieilles rues, ses murailles, ses monuments vénitiens sont classés au patrimoine mondial de l’Unesco et attirent, chaque année, près de 850 000 visiteurs du monde entier, dont les yachts et paquebots de croisière mouillent au large.

Mais la première ville touristique du Monténégro réserve également un tout autre type d’attraction : règlements de compte à répétition, fusillades, présence de plusieurs dizaines de membres encagoulés des unités antiterroristes monténégrines, blindés des forces de l’ordre... Kotor est devenue, bien malgré elle, le théâtre de la guerre entre les narcotrafiquants qui sévissent à l’échelle de la région. Une « ville otage » des trafiquants de cocaïne, selon les propres mots de l’ancien ministre de l’Intérieur, Goran Danilovic, qui reflète le drame d’un pays vivant sous le joug du crime organisé. Avec la bénédiction des plus hautes autorités de l’Etat.

Le crime organisé met le pays à feu et à sang

Présence policière ou pas, à Kotor, les trafiquants bénéficient d’une telle impunité qu’ils ont installé des caméras aux points sensibles de la ville afin de surveiller leurs concurrents. « L’Etat doit faire en sorte que cette ville ne devienne Palerme », explique l’ex-ministre de l’Intérieur. En attendant, la cité compte ses morts : plus de cinq entre 2015 et 2016. Le crime organisé ne se limite pas, hélas, à la station balnéaire au sein de laquelle les trafiquants rachètent restaurants, bars et boites de nuits. Le phénomène contamine l’ensemble du pays de 620 000 habitants, tiraillé entre un secteur touristique en pleine expansion et un niveau de violence qui ne cesse de progresser.

La litanie des morts violentes rythme l’actualité monténégrine. En septembre 2016, un homme accusé d’extorsion a été abattu par un sniper au sein même de la cour de sa prison. En décembre de la même année, une charge explosive, placée sous une voiture, a fait deux morts et deux blessés. Douze personnes sont mortes durant la seule année 2016. A Podgorica, la capitale, des policiers lourdement armés quadrillent la ville chaque nuit. Le nouveau locataire du ministère de l’Intérieur, Mevludin Nuhodzic, dit comprendre « l’inquiétude des citoyens qui attendent des organes de l’Etat qu’ils s’engagent avec tous leurs moyens dans une lutte sans merci contre le crime organisé », reconnaissant, du bout des lèvres, que « d’une certaine manière, l’ordre public est menacé ». On ne saurait dire moins.

Mais l’Etat du Monténégro fait-il réellement tout ce qui est en son pouvoir pour venir à bout du crime organisé ? Pour l’opposition, rien n’est moins sûr. Selon le leader du Front démocratique, Nebojsa Medojevic, la criminalité monténégrine exhale « un parfum politique » : « il n’y a pas de frontière entre l’Etat et le crime », accuse-t-il. Un avis partagé par la Commission européenne qui, dans son dernier rapport annuel sur le pays qui ambitionne d’intégrer l’Union européenne (UE), juge que « des efforts supplémentaires sont nécessaires » pour lutter contre les réseaux criminels. Un langage diplomatique dont ne s’embarrasse pas l’opposition, pointant explicitement le rôle joué par celui qui fut à la tête du Monténégro pendant 25 ans : Milo Djukanovic.

Milo Djukanovic, le « dernier dictateur européen »

Après avoir alterné les postes de président et de Premier ministre pendant plus de deux décennies, l’homme fort du Monténégro a cédé sa place à l’un de ses plus fidèles lieutenants, Dusko Markovic, à l’issue des élections législatives tenues en octobre dernier. Pour ses concitoyens comme pour les connaisseurs des Balkans, Milo Djukanovic reste pourtant aux manettes d’un appareil d’Etat dont les liens avec la mafia sont avérés.

La plateforme de reporters d’investigation Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a d’ailleurs décerné le titre « d’homme de l’année 2015 en matière de crime organisé » à Milo Djukanovic, récompensé pour « avoir bâti l’un des paradis les plus dévoués à la ’’cleptocratie’’ et au crime organisé du monde ». L’oeuvre d’une vie. « Pour avoir contribué à créer une atmosphère politique oppressive et une économie étouffée par la corruption et le blanchiment d’argent », le potentat est salué par l’OCCRP pour sa gestion d’un Etat qui compte si fortement « sur la corruption, le crime organisé et les basses manœuvres politiques. Un système pourri jusqu’à son coeur ».

Une récompense « bien méritée », pour le directeur du Network for Affirmation of NGO Sector (MANS), Vanja Calovic, selon qui Milo Djukanovic est « le dernier dictateur européen ». Entre autres accusations, Djukanovic est suspecté d’avoir activement participé à un gigantesque trafic de cigarettes, d’avoir fait de son pays un refuge pour les pires mafieux de la région, d’avoir privatisé une banque d’Etat au profit de sa famille dans le but de blanchir de l’argent de la drogue, ou encore de mener une chasse effrénée, et parfois fatale, à tous les journalistes qui prétendaient enquêter sur ses activités mafieuses.

Malgré le boulet du crime organisé, le Monténégro est toujours dans les starting-blocks pour intégrer l’UE et l’Otan. Une adhésion qui pose pourtant de très sérieuses questions, du moins tant que le pays ne se sera pas attelé à trancher ses liens incestueux avec les mafias en tout genre. Les dernières élections législatives, qui ont été émaillées par de nombreuses fraudes, menaces et agressions physiques, ou encore coupures de services de messagerie instantanée, ne plaident pas non plus en faveur de son dossier.