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L’émergence du peuple-classe vers son auto-activité. Avec qui ? Comment ? A quelles conditions ? Vers quoi ?

par Christian DELARUE

Publie le mercredi 9 août 2017 par Christian DELARUE - Open-Publishing

Certains marxistes évoquent "l’auto-activité du prolétariat" (au sens large du terme - pas que les ouvriers, les employés du public et du privé aussi, ainsi que les cadres avec des difficultés) mais sans toujours expliquer comment cette auto-activité s’installe dans la durée. Quel est le rôle de la couche sociale qui fonctionne comme avant-garde ? Comment pense-t-on le rôle des syndicalistes plus ou moins en extériorité (car permanent) de l’ensemble du monde du travail privé et public ? Quid des acteurs politiques ? Quelles conquêtes tout à la fois sociales et démocratiques ?

L’auto-organisation du peuple-classe est-elle réellement envisageable ? A quelles conditions ? Eric TOUSSAINT explique dans un texte récent du CADTM (cf 1) : "Il est fondamental que se développent des initiatives locales et solidaires, depuis les monnaies locales jusqu’aux coopératives de consommation ou de travail. Mais l’économie sociale et solidaire ne peut se développer suffisamment pour provoquer par contagion un changement réel dans la société. Il faut aussi un gouvernement prêt à prendre des mesures, à changer les lois, à changer la constitution, à résister aux accords internationaux… C’est pourquoi, si nous voulons avancer vers une transition écologique, il est surtout nécessaire de contrôler la production et la distribution de l’énergie. Démanteler les centrales nucléaires ou thermiques implique que l’État prenne le contrôle du secteur énergétique et le transforme en service public. Dans le cas de la banque, je vois un processus similaire : pour affronter les grandes banques comme BBVA et Santander, tu dois affronter le secteur bancaire dominant, même si on peut développer aussi la banque éthique. Ce sont les tâches d’un gouvernement soutenu par le peuple. L’économie sociale et solidaire est très importante et nous devons nous y impliquer, mais sans laisser de côté la lutte institutionnelle pour des changements structuraux."

I - Concernant le peuple conçu comme peuple d’en-bas large, comme peuple-classe.

 Jean-Luc MELENCHON (JLM) est lui plus prudent car il évoque « l’émergence du peuple » sans trop préciser qu’il s’agit de peuple-classe (cf Meny et Surel puis Delarue - 2) , bien qu’il précise un point très important : ce peuple est opposé à l’oligarchie interne (et pas uniquement à un "ennemi" externe), ce qui montre nettement un rapport de conflictualité entre cette oligarchie et ce peuple-classe. On sort donc là, et c’est très positif, d’une conception " peuple communautaire" ou d’un illusoire "peuple totalité" qui a la vertu, pour certaines élites de droite et du centre gauche, d’englober silencieusement les classes sociales dominantes et celles dominées, quitte à accentuer les divisions existantes au sein des dominés. Pour une pensée de gauche la notion de peuple-classe a donc l’avantage de montrer explicitement les classes dominantes et prédatrices, de montrer le 1% d’en-haut . Il y a rupture ici . Car il est tout bonnement hors de question d’admettre, comme lu sur LGS, une sorte de "peuple bisounours", ou "tous les chats sont gris" ! On dira donc du peuple-classe qu’il regroupe le prolétariat public et privé, stable et précaire, celui à carte d’identité nationale et celui résidentiel, avec ses alliés occasionnels : les cadres le plus souvent mais sans doute pas l’encadrement supérieur, chargé du « sale boulot » contre les prolétaires par les oligarques .

 Chantal MOUFFE ne voit pas le peuple-classe comme idée-force qui apparaît quasi naturellement, sous le slogan " Nous sommes le 99% ", avec l’émergence d’une forte oligarchie, d’un fort 1% cette émergence étant elle-même liée à la montée en force du néolibéralisme et son cortège d’inégalités sociales. " Nous assistons, dit-elle, à une augmentation exponentielle des inégalités qui touchent non seulement les classes populaires, mais aussi une bonne partie des classes moyennes, qui sont entrées dans un processus de paupérisation et de précarisation. Il est possible de parler d’un véritable phénomène d’« oligarchisation » des nos sociétés." Mais pour elle il se construit surtout par un discourt qui en fait un peuple politique, ayant vocation à l’émancipation du peuple-classe de la tutelle oligarchique.

Ce travail rhétorique de construction du peuple-classe n’est pas faux non plus puisqu’il est hétérogène . Autrement dit, il n’y a pas que le face à face plus ou moins masqué, il y a à dire qu’il existe une domination d’en-haut contre ceux d’en-bas, nommé peuple-classe . A partir de là j’ai plus de points communs avec Pierre Khalfa qu’avec Chantal Mouffe qui explique encore un élément juste à mon sens . Il faut dit-elle dans "Le moment populiste" (Mémoire des luttes) « mettre de côté une définition simpliste du populisme, celle que les médias entretiennent à dessein lorsqu’ils le présentent comme de la pure démagogie, et se placer dans une perspective analytique. Je propose de suivre ici Ernesto Laclau, qui définit le populisme comme une forme de construction du politique consistant en l’établissement d’une frontière politique au sein de la société, la divisant en deux camps, appelant « ceux d’en bas » à se mobiliser contre « ceux d’en haut ». Le populisme n’est donc pas une idéologie et on ne peut pas lui attribuer un contenu programmatique spécifique. Il n’est pas non plus un régime politique et peut être compatible avec une variété de modèles étatiques. C’est une approche de la politique qui peut revêtir des formes diverses, suivant les lieux et les époques. »

II - Populisme et peuple : aller vers une société socialiste de pluri-émancipation(s).

A) Populisme et peuple :

1) Populisme : Ce que çà n’est pas

 Populisme selon E LACLAU « Le populisme n’est pas une idéologie. C’est une forme de construction du politique qui interpelle ceux d’en bas face au pouvoir, en passant outre tous les canaux établis de véhiculisation des demandes collectives ». Laclau in : La raison populiste. Laclau a été a-t-on dit "irrévérencieux et provocateur, et il proposa, plutôt que de disqualifier le populisme – qui peut être de droite comme de gauche – d’en expliquer les raisons".

 Le populisme selon Fabrice FLIPPO ce n’est pas la question du chef. Il ne s’agit pas d’ être pour ou contre un leader charismatique. C’est un petit peu court. in Un « populisme de gauche » ? (https://blogs.mediapart.fr/fabriceflipo/blog/280317/un-populisme-de-gauche)

2) Le type de populisme : la principale distinction

 La référence à un type de peuple détermine un type de populisme (on répète ici) et celui de l’extrême-droite n’a rien à voir avec celui de gauche. Rien ! Le chemin de l’un est contradictoire au chemin de l’autre puisque l’un tient à protéger les élites néolibérales dès lors qu’elles sont nationales, pas l’autre. La Nation du FN est "parlée" via son 1% d’en-haut qui est protégé s’il est bien patriote. Les extrêmes droites veulent en général des syndicats soumis au patronat et orientés vers la collaboration de classes, pas la gauche. Un populisme de gauche désigne lui un ennemi en-haut au sein de la Nation ou de l’UE, donc différent (éventuellement) d’un ennemi hors frontières. Cette distinction est importante mais ne suffit pas dans notre perspective. C’est l’insuffisante du populisme, comme d’ailleurs d’un certain marxisme mono-émancipation qu’il faut souligner. Cela a d’ailleurs déjà été fait mais sans bien distinguer auparavant les types de peuple et les types de populisme.

B) Défendre le peuple-classe au-delà du populisme.

 Quid en effet des autres dominations existantes ? JLM évoque dans ce court texte « les autres compartiments de l’émancipation » On saurait donc dire que les autres libérations sont absentes de son discours qui n’apparaît donc pas populiste au sens strict du terme . D’être porte-parole construisant la défense du peuple contre les élites, tout comme Olivier Besancenot ou Arlette Laguiller le faisaient en défense du prolétariat, ne suffit pas à le qualifier de populiste. Le problème demeure de l’articulation entre ces différentes émancipations : contre le capitalo-patriarcat mais aussi contre l’hyper-patriarcat voulu par les intégristes religieux sexoséparatistes ? Même un programme n’apparait pas avec grande évidence comme une garanti en la matière, bien qu’il soit nécessaire . Il importe factuellement que des luttes convergentes apparaissent et donnent le ton . Des féministes luttent pour l’égalité entre hommes et femmes et la liberté des femmes et elles arrivent à dépasser les divergences entre elles. Il y a les femmes et les hommes qui refusent la montée des intégrismes religieux et la tendance à vouloir un hyperpatriarcat et d’autres qui relativisent ce phénomène. Les antiracistes refusent eux le racisme sous toutes ses formes. Nous défendons un peuple-classe multicolore ou toutes les différences qui ne sont pas signes d’aliénation peuvent s’afficher en respectant la laïcité. Les syndicalistes des travailleurs veulent arrêter les politiques d’austérité, aller vers le plein emploi, via la RTT mais pas le MEDEF (ni MACRON le président du 1% d’en haut) ! Ce rapport de force est décisif pour avancer ! Les démocrates entendent faire reculer l’emprise de l’oligarchie et de sa classe d’appui pour aller vers plus de démocratie et sortir ainsi de la démocratie rabougrie qui n’est jamais que la démocratie réellement existante . Les écologistes pointe le rôle des riches - pas que le 1% d’en-haut ici bien que ce rôle soit majeur - dans la dégradation de la nature. Etc.

Pour Pierre KHALFA sur son blog Médiapart (3), "JLM s’affirme, dans la lignée des théorisations autour du « populisme de gauche » de Laclau et Mouffe et de l’expérience chaviste, être un partisan de la nécessité de l’existence d’un chef charismatique, qui, en incarnant le mouvement, constituerait le peuple en sujet politique". On ne saurait dire que, provisoirement et ponctuellement, il n’y a pas eu, avec lui et son organisation, un effet de mobilisation et de convergences de divers secteurs de la population dominée. Reste que pour l’altermondialisme, comme hypothèse de débat, il y a besoin de « plusieurs paroles » et de « plusieurs pratiques » et donc de « plusieurs acteurs politiques » pour mobiliser, avec un nécessaire « travail de convergence », les classes sociales dominées, que ce soit le prolétariat ou le peuple-classe (prolétariat et ses alliés au sein des 99%). Il s’agit bien d’envisager non seulement la mise en mouvement - à l’instar de ce font les syndicalistes - mais aussi une relative auto-activité ou auto-organisation pour une conquête d’en-bas et par en-bas. Ce qui est difficile voire problématique .

 Dans ce développement de l’activité d’en-bas et par en-bas, à l’évidence, ces paroles diversifiées peuvent être dissonantes voir en trahison complète d’une quelconque émancipation, car en lien avec des fractions hétérogènes du peuple-classe, dont certaines supportent moins, on le sait, la domination et l’oppression que d’autres. Pensons, par exemple, à ceux qui, fort bien payés, estiment qu’il y a besoin d’aller vers les 40 heures par semaine alors que d’autres pensent, à gauche, qu’il faut réduire le chômage et répartir les richesses, et qu’une nouvelle RTT est nécessaire vers les 32 voir 30 heures hebdomadaires, le tout sans perte de salaire pour les 99% d’en-bas ! Il y a d’autres exemples !

Aller vers un socialisme de pluri-émancipation(s) suppose des débats et des mobilisations de haut niveau. A chaque fois qu’une dynamique populaire est lancée qui vise à sortir d’une stricte logique de profit afin de faire entendre l’intérêt général et les besoins sociaux humains, besoins sociaux non calés sur ceux des grands possédants, l’idée du socialisme est appréhendé comme proposition de débat et perspective d’une autre société ou les diverses émancipations sont discutées.

Christian DELARUE

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Le texte de JLM est ici :

http://melenchon.fr/2016/11/02/le-peuple-et-le-mouvement/

Celui de Chantal Mouffe

Le moment populiste - Mémoire des luttes

http://www.medelu.org/Le-moment-populiste

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1) Pour avancer vers des changements profonds, l’auto-organisation de la population et la pression populaire sur les gouvernements sont indispensables

http://www.cadtm.org/spip.php?page=imprimer&id_article=15082

2) Christian DELARUE Classe dominante et oligarchie contre peuple souverain et peuple-classe. Revue Mouvements 2012.

http://mouvements.info/classe-dominante-et-oligarchie-contre-peuple-souverain-et-peuple-classe/

Auparavant Yves MENY et Yves SUREL évoquait en 2000 le peuple-classe dans "Par le peuple, pour le peuple" (Fayard 2000)

3) Pierre KHALFA : Le peuple et le mouvement, est-ce vraiment si simple ?

https://blogs.mediapart.fr/pierre-khalfa/blog/051116/le-peuple-et-le-mouvement-est-ce-vraiment-si-simple

La souveraineté populaire est-elle possible ? La question du populisme | Le Club de Mediapart

https://blogs.mediapart.fr/pierre-khalfa/blog/210217/la-souverainete-populaire-est-elle-possible-la-question-du-populisme

Nb : Combiner peuple-classe et salariat des 99% d’en-bas : est-ce pensable ? Pour moi oui !Pourquoi pas ?

Pour Samy JOHSUA par dessus l’épaule de JLM : Désormais le peuple prend la place. Ce sont des thèmes largement présents dans les mouvements récents (Occupy) y compris politiques (Podemos). Mais pourquoi ce changement de mot pour rendre compte de ce qui finalement correspond au fait que le prolétariat lui-même, défini comme ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre (disons les salariés pour aller vite) est devenu hyper majoritaire dans un pays comme le nôtre ? Selon les classements, de 82% à près de 92% ! Ne pourrait-on pas aussi bien avancer que, en gros, le prolétariat est devenu le peuple lui-même ? Comme on n’est pas maître des mots, moi-même n’hésite pas, depuis longtemps, à utiliser « peuple » pour prolétariat.

« L’ère du peuple » et « l’adieu au prolétariat » ? | Le Club de Mediapart

https://blogs.mediapart.fr/samy-johsua/blog/031116/l-ere-du-peuple-et-l-adieu-au-proletariat#_ftn1