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Il y a 80 ans, Garcia Lorca était fusillé (video)

par Cuenod

Publie le lundi 21 août 2017 par Cuenod - Open-Publishing

Le 19 août 1936, les gardes civils aux ordre de Franco traquent l’un des plus grands poètes espagnols, Federico Garcia Lorca (1). Ils le débusquent chez un autre poète Luis Rosales, le trainent dans un ravin près de Grenade et le fusillent. 80 ans plus tard, la terre andalouse n’a toujours pas rendu le corps de celui qui l’a célébrée avec tant de ferveur. (+ vidéo)

Durant cet été 1936, le général Franco trahit la République espagnole qu’il était censé défendre en provoquant l’une des plus sanglantes guerres civiles de l’histoire européenne. Ses troupes contrôlent l’Andalousie. Alors qu’il habitait Madrid, Federico Garcia Lorca ne peut résister à l’appel de sa terre andalouse et, malgré les dangers, se rend dans les environs de Grenade, comme chaque année à pareille époque.

Peu après son arrivée, le Rossignol d’Andalousie doit fuir les franquistes. Il n’est pourtant ni dirigeant politique ni militant, Garcia Lorca. Il est bien pire : un poète et écrivain de théâtre qui est devenu la voix des paysans andalous. Et pour ses bourreaux, gardiens des vertus très catholiques, son homosexualité est une provocation de plus qui mérite bien douze balles dans la peau.

Un rapport de police rapporte de façon lapidaire que Federico Garcia Lorca a été passé par les armes et enterré dans un ravin très difficile à localiser. Tellement difficile qu’à ce jour, personne n’a retrouvé sa dépouille. En 2008, le juge espagnol Balthazar Garzon avait ouvert une enquête sur les crimes du régime franquiste, dont l’assassinat de Garcia Lorca. Un an après, des fouilles furent entreprises dans un ravin à Viznar, non loin de Grenade. En vain. Comme si elle voulait conserver son amant, la terre andalouse n’a pas rendu le corps du poète. L’enquête contre les massacres du franquisme a été abandonnée par la suite car les tabous laissés par la dictature sont aussi vivaces que le lierre sur un mur en ruine.

Cela dit, hier, une juge fédérale d’Argentine, Maria Servini, a décidé de redémarrer cette enquête pour retrouver les restes du poète et reconstituer les circonstances exactes de son assassinat. Pour ce faire, elle s’appuie sur le principe de compétence universelle en matière d’atteinte aux droits de l’homme.
Si les franquistes sont parvenus à cacher son cadavre, ils n’ont pu empêcher la voix du poète de retentir dans le monde. Pourtant, ils n’avaient pas ménagé leurs efforts en interdisant la publication de ses ouvrages jusqu’en 1953, année qui a vu paraître en Espagne ses œuvres prétendues « complètes » mais atrocement mutilées par les censeurs du Caudillo. Depuis le décès du tyran en 1975, Federico Garcia Lorca est à nouveau à l’honneur dans son pays. Et sa mort continue à faire un bruit du tonnerre comme l’avait prophétisé Aragon dans son poème Un Jour, un Jour (in Le Fou d’Elsa) :

Tout ce que l’homme fut de grand et de sublime
Sa protestation ses chants et ses héros,
Au dessus de ce corps et contre ses bourreaux
A Grenade aujourd’hui surgit devant le crime
 
Et cette bouche absente et Lorca qui s’est tu
Emplissant tout à coup l’univers de silence
Contre les violents tourne la violence
Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue (…)

Garcia Lorca est né le 5 juin 1898 à Fuente Vaqueros, dans le domaine de son père, propriétaire terrien. Il vit sa prime enfance en liberté parmi les bergers, les peupliers qui bordent les rivières Cubillas et Genil, les grands champs inondés de soleil. Sa grand-mère et ses tantes l’initient aux fables et légendes qui peuplent l’imaginaire du peuple andalou mais aussi à la poésie de Victor Hugo. Cette expérience première irriguera toute son oeuvre. Loin de se complaire dans une description des paysages, il saisit leur essence, évoque la sage folie des légendes et met au jour la nature en son surréalisme. Le temps n’a plus de limite. Il n’est donc plus le temps. Il est un état d’être permanent, l’état de poésie, comme le disait le poète genevois Georges Haldas, grand admirateur de l’écrivain andalou. En voici un témoignage avec le poème Baile (Bal) tiré de l’un des plus célèbres ouvrages de Federico Garcia Lorca, Romancero Gitano (d’abord en espanol, puis en français avec la traduction de Josiane de Carlo).

La Carmen está bailando
por las calles de Sevilla.
Tiene blancos los cabellos
y brillantes las pupilas.
 
¡Niñas,corred las cortinas !
 
En su cabeza se enrosca
una serpiente amarilla,
y va soñando en el baile
con galanes de otros días.
 
¡Niñas, corred las cortinas !
 
Las calles están desiertas
y en los fondos se adivinan,
corazones andaluces
buscando viejas espinas.
 
¡Niñas,_corred las cortinas !
 
Elle danse, la Carmen,
Dans les rues de Séville.
Blancs elle a les cheveux,
Brillantes les pupilles.
 
Fillettes, tirez les rideaux !
 
Sur sa tête s’enroule
Un serpent jaune,
Et elle va, rêvant au bal,
Avec des galants d’autres temps.
 
Fillettes, tirez les rideaux !
Les rues sont désertes,
Et tout au fond on devine
Quelques cœurs andalous
Cherchant de vieilles épines.
 
Fillettes, tirez les rideaux !
 
Quels seront les cœurs andalous qui trouveront les ossements du poète ? Peu importe répond son ombre :
Rien n’est plus vivant qu’un souvenir.
Jean-Noël Cuénod

[1] Dans Les 13 dernières heures de la vie de García Lorca, publié fin juin, l’historien espagnol Miguel Caballero Pérez conteste les différentes versions plus ou moins officielles se rapportant aux circonstances qui ont entouré la mort du poète. Il l’attribue à une vengeance de la famille Alba, ennemie des Garcia Lorca, que l’écrivain avait rudement attaquée dans sa pièce La Maison de Bernarda Alba. Cela dit, la thèse d’un meurtre commis par des franquistes n’est pas pour autant écartée. La haine familiale des uns s’est-elle alliée à la fureur antirépublicaine des autres, qui sait ? (Merci au commentateur qui m’a signalé cette autre version)

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