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« C’est ce que font tous les pays » : qu’ont donné les « lois travail » chez nos voisins européens ?

Publie le dimanche 31 décembre 2017 par Open-Publishing

Depuis son lieu de vacances, Emmanuel Macron s’est exprimé sur le durcissement des sanctions envers les chômeurs. Une mesure « normale » adoptée par « tous les pays qui nous entourent » selon lui. Mais quel est le résultat chez nos voisins européens ?

Le 27 décembre, des flocons de neige dans les cheveux, alors qu’il se trouvait sur son lieu de vacances, le président Emmanuel Macron a réagi à l’annonce d’un probable durcissement des sanctions envers les chômeurs, froidement accueilli par l’opposition, rappelant vouloir tenir ses promesses de campagne. Le président défend plus largement une réforme du chômage qu’il a qualifiée de « normale », parce que mise en place par d’autres pays européens.

De fait, Bruxelles, notamment via ses « lignes directrices pour l’emploi », incite les Etats membres à suivre un cap commun en flexibilisant leur marché du travail pour lutter contre le chômage. Le calcul proposé est simple : en rendant plus mobiles les salariés, les entreprises pourront recruter plus aisément. La réforme du code du travail en France en est le plus récent avatar.

Le « plein emploi » outre-Rhin et son revers de la médaille

L’Allemagne peut s’enorgueillir d’un taux de chômage en baisse constante. Une évolution des chiffres qui ne vient cependant pas seule : la libéralisation du marché du travail allemand a en effet engendré une explosion du nombre d’emplois précaires. Depuis 2005, année de fin du vote des lois de flexibilisation du travail connues comme « réformes Hartz », le nombre de personnes exerçant en Allemagne un emploi « atypique », qu’il s’agisse des fameux « jobs à 1€ », de temps partiels non-voulus ou d’emplois très précaires, a augmenté de près d’un million : 7,6 millions d’Allemands sont aujourd’hui concernés.

Outre la précarité des emplois, le taux de pauvreté outre-Rhin inquiète aujourd’hui à gauche comme à droite. Selon l’institut de statistiques Destatis, plus de 20% de la population de la première puissance économique européenne était menacée par le risque de pauvreté ou d’exclusion sociale en 2016, soit 16,1 millions de personnes.

Dans un rapport publié en 2017, c’est le Fonds monétaire international (FMI) lui-même qui donnait l’alerte : « Malgré un filet de sécurité sociale bien développé et une forte progression de l’emploi, le risque de pauvreté relative [en Allemagne] demande une attention continue », écrivait le FMI au neuvième point de son rapport.

L’Espagne et les conseils de Bruxelles

Chômage de masse et déficit public ne respectent pas les critères de l’UE : alors que Bruxelles exige davantage d’efforts de la part de Madrid, l’Espagne s’efforce de répondre aux demandes formulées par la commission européenne. C’est dans ce cadre que, dès 2010, le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero lance des réformes choc du marché du travail : Madrid simplifie notamment les procédures de licenciement. Par la suite, Mariano Rajoy met également en place une réforme du code du travail dès son arrivée au pouvoir en 2012, assumant une certaine continuité avec celle de son prédécesseur.

Outre un impact direct mitigé sur les chiffres du chômage, ces réformes s’accompagnent d’une augmentation de la précarité. En juillet 2016 par exemple, 1,8 millions de contrats de travail sont signés : seulement 7% d’entre eux sont à durée indéterminée. Par ailleurs, l’Institut national des statistiques espagnol révèle en 2015 que 10,6% de la population n’est pas en mesure de chauffer correctement son domicile, contre 5,9% en 2008. Le phénomène des travailleurs pauvres touche le pays de plein fouet, alors que son taux de chômage reste l’un des plus élevés de l’UE.

Royaume-Uni : Cameron et les chômeurs

En 2012, le Royaume-Uni (encore membre de l’Union européenne) adopte le « Welfare Reform Act ». Initiée par l’européen convaincu David Cameron, alors Premier ministre, cette réforme implique directement les chômeurs puisqu’elle réduit considérablement leurs allocations ainsi que le montant des aides sociales auxquelles ils peuvent prétendre. Objectif : pousser les chômeurs à retrouver du travail.

Si le chômage semble avoir diminué dans la période qui suit la réforme (voir le graphique ci-dessus), là encore, des effets « secondaires » se sont fait sentir. On note par exemple une multiplication des contrats « zéro heure » avec lesquels les employeurs ne sont plus tenus de donner des heures de travail chaque semaine à leurs employés qu’ils peuvent conserver « en réserve » tant que besoin est. Ce type de contrat a ensuite été étendu au secteur public depuis le « Welfare Reform Act ».

Par ailleurs, en juin 2016, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies tire la sonnette d’alarme : les politiques d’austérité successives en Grande-Bretagne auraient porté atteinte aux droits de l’Homme. En effet, cette lutte coûte que coûte contre le chômage n’est pas doublée d’une augmentation des salaires. Le Comité souligne que de nombreuses personnes exerçant pourtant un emploi ne parviennent plus à se loger.

L’Italie, bonne élève mais...

Entré en vigueur le 7 mars 2015, le « Jobs Act » de Matteo Renzi permet à l’Italie de se présenter en bonne élève de l’Union européenne après avoir enfin mis en place une réforme du code du travail « recommandée » depuis 2011 par Bruxelles. Face à la contestation de la rue, le gouvernement italien a maintenu le cap, promettant une embellie économique rapide grâce à l’assouplissement des règles régissant notamment l’embauche et le licenciement.

La baisse du chômage qui a suivi cette réforme est sensible mais loin d’être spectaculaire. Alors que le chômage dépasse toujours les 11%, les économistes demeurent divisés quant à l’interprétation des chiffres, certains facteurs externes ayant pu jouer, comme par exemple la sortie de récession ou encore la stagnation de la population active en 2015.

La création très contestée d’un CDI avec période d’essai de 3 ans, la suppression pendant 3 ans de toutes les charges sociales et la possibilité de licencier sans motif ont en revanche considérablement accru la précarité du travail. Là encore, la baisse du chômage ne semble pas s’être accompagnée d’une baisse de la pauvreté. Bien au contraire : en 2017, l’Istat (équivalent italien de l’Insee) révèle qu’en 2016 le taux de pauvreté absolue a triplé depuis 2006.

Dans la plupart des cas, la flexibilisation du marché du travail dans les grandes puissances économiques de l’Union européenne s’accompagne d’une recrudescence de la précarité. Loin de n’être qu’une coïncidence, ce phénomène constitue un risque bien connu de ce genre de politiques publiques que les dirigeants européens se gardent bien de mentionner lorsqu’ils s’en font les promoteurs. Quant à Emmanuel Macron, il promet que sa réforme montrera ses effets d’ici 18 à 24 mois et assure qu’elle permettra une meilleure protection sociale des salariés.

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