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Carrefour-Casino : l’emploi sacrifié sur l’autel des « synergies »

par David André

Publie le vendredi 12 octobre 2018 par David André - Open-Publishing

Se regrouper pour être plus puissant dans la concurrence mondiale : telle est la première idée qui prétend donner du sens à un rapprochement entre Carrefour et Casino. Mais les « synergies » espérées se feraient en grande partie au détriment des salariés.

L’évocation récente d’un éventuel rapprochement entre Carrefour et Casino préoccupe les salariés des deux distributeurs. Car compte tenu de la forte position des deux groupes sur le marché français (mais aussi brésilien) et de la concurrence frontale que se livrent la plupart de leurs enseignes respectives, une telle éventualité, par exemple sous la forme d’une offre hostile, serait sans doute synonyme de licenciements massifs.

L’évaluation de l’intérêt d’un rapprochement entre les deux géants de la grande distribution française fait l’objet de nombreuses analyses, parfois divergentes, dans les médias, mais ces différents points de vue s’accordent généralement en effet sur l’idée qu’une telle fusion ne serait pas sans conséquences sociales.

Il faut dire que le contexte dans la grande distribution est pour le moins tendu. Les géants du commerce en ligne comme l’Américain Amazon ou le Chinois Alibaba se font de plus en plus menaçants, d’autant qu’Amazon ne cache pas sa volonté d’investir le secteur de l’alimentaire. Quant à la croissance des ventes des produits de grande consommation, elle n’est plus au rendez-vous : au premier semestre, celles-ci ont ainsi baissé de 1,2 % en volume.

Dans cette ambiance fébrile, le groupe Casino, même si sa stratégie de diversification semble porter ses fruits, pâtit auprès des investisseurs de son importante dette qu’il s’emploie à réduire via un ambitieux plan de cession d’actifs. Tandis que le groupe Carrefour est engagé dans une vaste réorganisation dont les résultats ne seront pas immédiats, et qui se traduit surtout aujourd’hui par des fermetures de magasins et des suppressions de postes.

Un potentiel de "synergies" de 1,5 milliard d’euros ?

Dans ce contexte agité, il n’en faut pas plus à certains analystes pour donner du sens à un rapprochement entre les deux géants de la distribution française. L’idée étant, comme souvent dans ce genre de regroupement, que sur des marchés très concurrencés, l’union fait la force. Il s’agirait donc de créer un géant mondial, plus puissant sur la scène internationale et donc mieux armé pour affronter les leaders du e-commerce. « Le plan Carrefour 2022 ne peut avoir d’effets qu’à moyen terme. Or, avec un actionnariat qui, lui, a tendance à réfléchir à court terme, le groupe pourrait avoir besoin d’un coup de pouce capitalistique. Si un tel rachat aboutissait, on aurait certes un énorme volet concurrentiel à traiter, mais c’est de toute manière au niveau mondial que cette potentielle union doit être lue », analyse par exemple Yves Marin, associé chez Bartle Business Consulting, dans LSA.

« Les groupes de distribution traditionnels considèrent les opérations de consolidation comme une solution défensive par les biais desquelles ils combinent leurs forces en vue de dégager plus de synergies », souligne de son côté la Société Générale. UBS estime pour sa part, sur le site Zone Bourse, que « la consolidation est un thème brûlant dans le secteur de la distribution alimentaire » après les transactions Ahold-Delhaize, Tesco-Booker et Sainbury’s-Asda. La banque suisse estime que les récentes fusions dans le secteur ont dégagé des synergies de l’ordre de 1 à 1,5 % des chiffre d’affaires, « ce qui, appliqué au cas de Carrefour et de Casino, représenterait un potentiel d’environ 1,5 milliard d’euros ».

Vers des fermetures massives de magasins ?

Mais ces fameuses « synergies » et autres « réductions de coûts » se réaliseraient en grande partie au détriment des salariés. En effet les deux groupes ont de nombreux points communs : ils ont chacun des hypermarchés, des supermarchés et des petits magasins urbains, réalisent environ la moitié de leur activité en France, et sont tous les deux fortement implantés au Brésil.

Ainsi, pour Bruno Monteyne, analyste financier chez Bernstein interrogé par BFM, ce rapprochement « soulève des problèmes insurmontables au plan de la concurrence : sur le segment des magasins de proximité, Casino et Carrefour détiennent à eux deux 72 % de parts de marché en France ». Casino est en effet présent sur ce segment avec les enseignes Monoprix, Franprix, Leader Price ou Spar, tandis que Carrefour opère via Carrefour City, Carrefour Express, 8 à Huit ou Proxi.

Une fusion intégrale des deux groupes ne saurait donc être acceptée, au regard du droit de la concurrence, qu’au prix de fermetures massives de magasins. « A Paris et en région parisienne, où les deux groupes sont en situation de duopole en matière de proximité, il y aurait de la casse », prévoit le magazine spécialisé LSA. « Même sur le marché brésilien, un tel rapprochement poserait problème, les deux groupes étant co-leaders dans le pays », ajoute Bruno Monteyne.

Les salariés ont donc des raisons d’être inquiets à la perspective de cette fusion, surtout lorsqu’ils observent la réorganisation à marche forcée que subit actuellement le groupe Carrefour, qui devrait se traduire, selon les estimations des syndicats, par quelque 5 000 suppressions de postes, dont 2 400 annoncés au siège, plus de 2 000 dans les ex-magasins Dia (dont près de 250 ont été fermés cet été), et autour de 500 dans les hypermarchés.

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