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L’ambigu Monsieur Jadot

par frustration

Publie le dimanche 9 juin 2019 par frustration - Open-Publishing

Afin de mieux cerner le personnage libéralo-compatible qu’est Jannick Jadot, incarnation quasi parfaite qu’il proclame lui-même du « ni de droite, ni de gauche » pompé aux allemands et à Macron, rien de mieux que plusieurs citations contradictoires mais toutefois suffisamment pertinentes pour s’en faire une idée.

En début de semaine, par exemple, il a annoncé que ceux qui s’agrègeront autour d’EELV pourront venir “de n’importe où”, aussi bien de la droite que de la gauche, et d’être expérimentés ou non. Car selon Yannick Jadot, rappelons-le, “l’écologie doit aussi passer par l’économie de marché” alors que, dans le même temps, il lutterait depuis dix ans contre les traités de libre-échange. Mais voilà qu’il explique récemment chez BRUT, tel un militant décroissant qui s’ignore, que le « capitalisme est incompatible avec l’écologie ». C’est peut-être finalement ça, l’écologie “positive” et “pragmatique”. Délaisse-t-il ainsi sa stratégie “à l’allemande” d’opérer un mariage avec la bourgeoisie libérale et capitaliste ? Ou fait-il légèrement marche arrière, en recyclant des formules un peu vagues pour un média jeune et branché ? Le mystère reste entier et l’ambiguïté tout entière.

“Fin du monde, fin du mois ?” – un si juste slogan, souvent repris au sein du mouvement des gilets-jaunes – ne sauront donc trouver leur jonction avec un tel représentant, lui qui leur demandait, chez Bourdin, de “trouver d’autres formes d’organisation” et constatait une “explosion de haine” de leur part. Depuis 2009 et la création d’EELV avec ce cher Daniel Cohn-Bendit, il n’aurait plus quitté les couloirs bruxellois, bien loin des préoccupations sociales et concrètes des Français et à la suite de longs séjours à l’étranger. Militant d’une ONG à ses débuts, un peu de com chez Greenpeace puis tête de liste aux européennes, son parcours n’est pas sans rappeler l’évolution historique des Verts, du militantisme à l’institutionnalisation.

Béquille du capital militant en faveur d’un revenu universel sévèrement critiqué ici ou là, Jadot est également un partisan des « Smic européens » que de nombreux pays ne souhaiteront évidemment pas et qui favoriserait un chantage des entreprises françaises à l’abaissement du Smic français. Surtout, Yannick Jadot, comme d’autres avant lui, ne semble toujours pas comprendre que c’est justement dans ce cadre européen et ses traités qu’une véritable politique environnementale radicalement différente est, justement, tout à fait impossible. Il persiste, interviewé par Reporterre, légitimant par ailleurs la BCE, symbole de notre perte d’autonomie monétaire et financière : “La Banque centrale européenne a depuis 2008 sorti 4.000 milliards de dollars pour les banques. Nous, on veut que 100 milliards d’euros aillent chaque année vers la transition énergétique, pour les énergies renouvelables et l’isolation des logements”. Favorable au oui en 2005 lors du référendum français sur le traité établissant une constitution pour l’Europe, il ne fallait pas non plus en attendre davantage de sa part.

Radical, Jadot ne l’est pas vraiment lorsqu’il compare le programme économique de Mélenchon à Maduro ou à l’URSS, partageant ces comparatifs nauséabonds pour débile léger avec nos éditocrates de cour préférés. Chez Reporterre encore, difficile labeur pour le journaliste qui lui demande trois fois de suite (!) s’il est anti-capitaliste, ce qui a ce mérite d’illustrer parfaitement l’ambivalence du monsieur : anti-capitaliste, mais du “capitalisme financier”, car favorable à une “économie régulée”.

Critique à l’égard du Parti socialiste dans cette même interview, il n’avait pourtant pas hésité à se désister lors de la présidentielle de 2017 en faveur du candidat Benoît Hamon, cadavre moribond post-PS remplacé aujourd’hui par Raphaël Glucksmann. En 2011, favorable à une alliance avec le PS, il avait quitté EELV par opposition à la candidate Eva Joly. On peut lui reconnaître une certaine constance dans ses alliances, à défaut de les assumer jusqu’au bout.

LE NOUVEAU CHOUCHOU DES MÉDIAS ET DU MEDEF

Si Bernard Tapie, Sibeth Ndiaye et d’autres personnalités du même acabit lui tendent gracieusement la main en l’adoubant presque face à l’urgence climatique, c’est qu’il ne doit pas vraiment déranger, dans le fond, le Jadot. “Yannick Jadot superstar ?” s’interroge LCI, la “Nouvelle vedette de la politique” affirme France info. Véritable coqueluche démédias comme l’était Macron pendant son ascension téléguidée ou un Raphaël Glucksmann, sa visibilité a fini par dépasser celle du président. Alors, nous sommes en droit de s’interroger : de quoi cette ascension est-elle le nom ? Il “bondit”, “s’envole”, “explose” , peut-on lire un peu partout dans la presse, sans compter les Unes exagérément élogieuses, au JDD “Yannick Jadot : il faut assumer la conquête du pouvoir”, Ouest France : “Un vert déjà très mûr”, puis qualifié plus loin dans le quotidien de “révélation”.

Également adoubé par le MEDEF, son “ni de droite, ni de gauche” séduit définitivement beaucoup, notamment dans la bourgeoisie des centres-villes où se trouve son plus fort électorat. Ce qui n’empêche pas à certains sondages d’affirmer que nous avons affaire à la personnalité politique préférée des Français, inconnue il y a encore deux semaines pour les trois quart du corps électoral. Odoxa-Dentsu Consulting produit des sondages pour France Info et Le Figaro et ces temps-ci, on peut dire qu’ils sont vraiment (très) nombreux à évoquer Jadot. Dentsu Aegis Network est un groupe britannique de publicité et d’études de marché coté et la filiale française du groupe est présidée rien de moins que par son propre frère : Thierry Jadot. On peut ainsi de manière tout à fait légitime se poser quelques questions.

Son électorat branché des centres-villes en quête de sens écolo, qui se donne rendez-vous une fois par an au festival We Love Green et peut-être bientôt également dans cette friche, élargit sa base avec certains déçus du macronisme. Comme l’écrit ironiquement mais très justement Régis Debray, “les riches, qui ont de quoi en tout, n’ont plus qu’une crainte, que le ciel leur tombe un jour sur la tête”.

Yannick Jadot photographié en compagnie de la journaliste Isabelle Saporta par le Paris Match de Lagardère, en mode couple présidentiel, cela rappelle de manière évidente l’opération de communication du couple qui a conquis l’Elysée. Yannick Jadot, objectif présidentielle 2022 ? Rassurons nous : des médias se sont déjà chargés de fantasmer dessus à notre place. Dans un entretien paru dans le quotidien Le Monde aujourd’hui, Jadot se livre au sujet de l’élection présidentielle à venir : “C’est très loin. Ma responsabilité est de construire le grand projet pour gagner et être l’alternance”. Responsabilité/projet/alternance : la novlangue comptable est ici parfaitement maîtrisée et son ambiguïté habituelle reste inchangée.

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