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A la croisée des chemins

par montbuzat

Publie le dimanche 12 avril 2020 par montbuzat - Open-Publishing

La pandémie actuelle s’ajoute à la longue série des menaces sanitaires qui ont frappé l’espèce humaine dans sa relation indissociable entre la vie et les risques. En l’occurrence, la confiance portée à un progrès débridé en a occulté les effets pervers. Le rappel brutal de la vulnérabilité physique et matérielle plonge désormais beaucoup d’individus dans un état de sidération. Il faut reconnaître que le néolibéralisme compatible avec tous les régimes politiques a perturbé le jugement. Il a privilégié la compétitivité sur les solidarités jusqu’à un emballement accompagné d’une banalisation des évolutions aberrantes du mode de vie. Blaise Pascal situait l’homme entre deux infinis. Il semblerait qu’une fascination pour l’infiniment grand ait conduit à déconsidérer l’infiniment petit. La grandeur et la petitesse de l’homme se manifestent toujours par des oscillations entre le meilleur et le pire, entre le noble et le sordide. Ainsi, on trouve d’une part, ces milliers de personnes dont le travail a été jusqu’ici le plus souvent perçu en termes de coût, de charges, et qui assurent aujourd’hui l’essentiel. Ce sont surtout des femmes, sans doute parce que celles qui donnent la vie en connaissent davantage le prix. D’autre part, il existe quelques êtres perdus pour la vie sociale qui affichent sans vergogne leur ingratitude envers des personnels engagés dans des tâches vitales.
Les causes de cette catastrophe tout comme sa gestion seront naturellement analysées. Elles seront aussi instrumentalisées. Les choix politico-économiques mondiaux fondés sur le profit à court terme sont à l’évidence calamiteux. Si on n’a guère de visibilité sur l’issue de cette crise sanitaire, économique, sociale, politique, on sait qu’elle aggrave les inégalités. Les plus démunis sont les plus exposés à la maladie, aux difficultés financières, aux contraintes du confinement, à la fracture numérique. En France, la pénurie de matériel de dépistage et de protection a guidé l’action politique. Cette triste réalité a été d’abord niée, ce qui discrédite encore les responsables politiques. La recherche de boucs-émissaires sera florissante. Des manipulateurs expérimentés idéaliseront le monde d’avant, bien qu’il nous ait tout de même conduits là où nous en sommes. Ils sauront dépolitiser les choix en culpabilisant les individus ou en élevant au statut de héros ou de saints des personnels qui demandent seulement qu’on leur octroie enfin la possibilité d’exercer dignement leurs métiers. En revanche, il sera beaucoup plus difficile d’imposer une rupture systémique, un changement profond de la relation entre le travail et la vie sociale, la santé, l’écologie. Le capitalisme s’adapte en effet aisément à des aménagements momentanés de la globalisation.
L’extension actuelle du champ des possibles porte de nouvelles menaces comme un retour aux erreurs antérieures ou l’avènement d’un régime encore plus autoritaire. Il faudra tirer tous les enseignements de cette crise, veiller particulièrement à la préservation des libertés publiques tant on sait que les dispositions coercitives qui ont été prises dans des circonstances exceptionnelles ont tendance à perdurer. On passe déjà insensiblement de la sécurité au sécuritaire, de la surveillance par des entreprises privées à une surveillance d’Etat. II ne manquera pas non plus de bâtisseurs d’avenir pour proclamer qu’ils détiennent seuls toutes les solutions. Mais si tout est différent, les citoyens ne pourront plus se montrer indifférents. Une prise de conscience collective que les idéologies qui ont précipité la catastrophe actuelle ne sont les plus qualifiées pour en éviter une autre serait porteuse d’espoir.