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Vivre en pandémie (Les effets psychologiques)

par Chantal Mirail

Publie le mardi 5 mai 2020 par Chantal Mirail - Open-Publishing

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Dis, grand-père, tu me racontes ta pandémie ?

Panique sur la ville

Il n’est pas anodin de vivre dans le climat totalement anxiogène d’une pandémie mondiale. D’autant que les médias en rajoutent et que l’angoisse de l’épidémie a succédé à l’angoisse d’une fin du monde annoncée. Si la peur légitime face à un danger est positive puisqu’elle pousse à agir, l’angoisse crée un sentiment d’impuissance et une paralysie de la pensée. C’est un sentiment diffus, difficile à comprendre, qui pèse particulièrement sur les enfants. Ils n’ont pas en effet les moyens d’analyser. La situation est traumatisante sauf si on analyse, relativise, cherche des solutions, se projette dans l’avenir.

Chacun est dangereux pour chacun

Que deviennent les rapports humains quand tout contact est un risque ? Les termes de "distance sociale" et "gestes barrière" induisent une méfiance généralisée peu propice aux rapports sociaux. Se retrouver des journées entières seulE chez soi ou en face à face conjugal est très fragilisant. Heureusement, se développe en même temps le recours à la solidarité et à d’autres formes relationnelles, et la conscience que seule la distance physique est nécessaire. Et les réseaux sociaux si décriés deviennent notre bouée de sauvetage pour maintenir et réinventer le rapport social.

La parole interdite

Face à l’épidémie, on exige de nous une union sacrée. On se croirait dans une période de guerre où tout individu qui ne part pas au front la fleur au canon est un déserteur. La métaphore de la guerre est largement utilisée d’ailleurs. On applaudit les soignants en les envoyant au front comme de la chair à canon. Chair à patron disent les syndicats. Notre ennemi serait le virus. Le plus difficile à vivre est l’injonction qui nous est faite à travers le postulat que penser autrement est impossible.

Double message

Ils sont nombreux et quotidiens, des textes et des vidéos circulent qui viennent pointer les paradoxes auxquels nous sommes confrontés.
Tout double message provoque soit la folie soit la dépression soit la colère.
La folie est une manière de s’extraire d’un monde qui nous dépasse.
La dépression passe par le déni de la réalité traumatique et des émotions qu’elle suscite.
La colère est douloureuse. Mais elle affronte la réalité et peut déboucher sur du constructif.
Quand elle prend des formes de revendications collectives tournées vers l’avenir, elle est la moins dangereuse solution.

Le confort occidental

Quelle douche froide pour notre petit confort d’occidental ! Est-il possible qu’on s’en sorte si mal, plus mal que les pays pauvres, nous qui nous sentons toujours protégés ? Notre super avancée technologique ne permet pas d’avoir de masques. Du coup nombre de femmes les fabriquent artisanalement. Notre fameuse médecine de pointe semble en faillite : les malades du Covid 19 ne reçoivent aucun traitement et il ne faut pas croire qu’il en existe un, la chloroquine. Du coup, on ne croit plus à rien.
De plus, tout soin est suspendu pour laisser la place aux malades du Covid. Une hiérarchie entre les maladies est établie. Les soins psychiques sont assurés au minimum, laissant nombre de personnes fragiles dans la détresse.

Des masques ou des drones

L’Etat français a choisi de commander des drones, des LBD, des gaz lacrymo plutôt que des masques ou des tests et a instauré un véritable état répressif.
Au quotidien, nous qui pensions être en démocratie, il nous faut vivre avec une contrainte quotidienne sur tous nos gestes et l’accepter par "devoir". On ne peut plus sortir de chez nous sans avoir à se justifier. L’attestation de déplacement n’en est que l’aspect concret.
Comme en dictature on se sent soumis à l’arbitraire d’un policier qui interprètera la loi à sa manière. Nous sommes ainsi toujours potentiellement en faute. "Ai-je dépassé le périmètre d’un km ? La personne fragile que je vais visiter est-elle assez fragile ? Ai-je le droit de me balader avec l’amie si je ne partage pas le même toit ? Puis-je faire du vélo ?"
Ceux qui vivent dans les banlieues nous disent qu’ils vivent ça depuis longtemps. Aujourd’hui nous sommes (presque) tous concernés.

Résurgence de vieux démons :

Toute situation extrême, en ébranlant nos défenses habituelles, réactive nos problématiques d’humain éternellement fragile.
C’est peut-être ce qui, nous surprenant le plus, nous déroute le plus : on croyait avoir dépassé les anciennes angoisses existentielles, avoir avancé dans la vie et voilà qu’on découvre que rien n’est jamais acquis, découverte insupportable : solitude, angoisse d’être seul au monde et de ne compter pour personne, angoisse de ne pas être à la hauteur, d’être trop dans le sacrifice ou pas assez, trop égoïste ou pas assez, réflexes paranoïaques, haine de l’autre. Tout est réactivé.

Même pas mal ! (Déni des effets psychologiques de ce traumatisme)

On a beaucoup parlé et pris en compte, heureusement, les risques de violences conjugales ou parentales dans la situation confinement. Mais les effets psychologiques ordinaires de la situation nous laissent dans la sidération. On entend sans arrêt "Je n’ai pas à me plaindre" ( = je n’ai pas le virus, j’ai un jardin, unE compagnEon, il fait beau) comme si on s’interdisait de dire ce que ça nous fait.
Il est important pourtant d’en prendre conscience et d’y être attentif, pour soi et pour les autres.

Je ne propose pas là un discours victimaire. Bien au contraire. Je nous propose de comprendre cette sidération pour ne pas en être envahi, pour être attentif au malaise de notre entourage. Pour, grâce à une vraie résilience, construire un monde capable d’assumer les aléas de la vie, y compris un virus. Construire enfin un monde au cœur duquel on mettra l’humain. Cela seul peut nous protéger.