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Lettre ouverte

Publie le samedi 25 juin 2005 par Open-Publishing
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À l’attention de :
Monsieur Yves VIDAL
Maire de Grans
Vice-président de Ouest Provence
Conseiller régional
Hôtel de ville :
Bd. Victor Jauffret
13450 GRANS

Marseille, le 23 juin 2005

Monsieur le Maire,

Nous réitérons notre courrier d’indignation (en date du 6 juin 2005, resté sans réponse à ce jour) relatif à la programmation d’une “becerrada”, dans le cadre des fêtes votives, le diman-che 26 juin à 15 h dans des arènes démontables sur la place de l’église.

La nature de ce spectacle, la dynamique nocive dans laquelle il s’inscrit et la dissimulation de sa programmation justifient amplement l’indignation de nombreux Gransois et le retentisse-ment que nous entendons lui donner.

 La nature de ce spectacle :
Sans précédent à Grans, il s’agit “bel et bien” de tauromachie “espagnole” avec toutes les éta-pes d’une corrida mais simulacre de mise à mort.
Des taurillons sont maltraités ; la jeunesse et la témérité des apprentis toreros sont dévoyées dans une banalisation de la violence (où l’apprentissage de gestes techniques, l’émulation et l’influence coupable de tuteurs passionnés ou/et intéressés font oublier - en partie - la cruauté et la domination de l’Autre inhérentes à la corrida) ; la corrida est promue ; surtout vers un pu-blic jeune.

Ce spectacle s’inscrit dans une dynamique istréenne et Ouest Provence de promotion voire d’extension de la corrida :
Nous ne vous apprenons rien, Monsieur le Maire, en citant Ouest Provence (n°9 juin, juillet, août 2005) : « Ouest Provence prolonge la feria : pour ancrer la feria dans son territoire et l’associer aux traditions locales, des “becerradas” sont au programme des fêtes de Ouest Pro-vence cet été. »
Suivent une définition exacte de la “becerrada” et un calendrier (du 26 juin au 20 août) de six “becerradas”, une par commune Ouest Provence.
Cette information, signée de la communauté de communes, est diffusée depuis quelques se-maines dans les offices du tourisme de la région (affiche et renseignements complémentai-res.)
Elle figurait déjà dans la brochure officielle de la feria d’Istres.
Il s’agit pour Istres, avec la complicité de Ouest Provence, de développer ou du moins de pé-renniser ses corridas.
Ce volontarisme, cette dynamique artificielle en faveur d’une prétendue “tradition” est à la me-sure d’un contexte difficile pour la corrida.

 Le volontarisme à Istres, sous influence du lobby taurin tauromachique :

 En 2002, inauguration des nouvelles arènes (financement SAN, Conseil Général, Ré-gion) et instauration d’une feria sur 3 jours en juin, en plus des corridas d’un jour en août. Pour majorer l’événement, la fête de la musique y est intégrée - déplacée - sans vergogne, même quand les dates - c’est la cas cette année - ne coïncident pas.
 La municipalité est fortement impliquée par son propre service communication et par de larges subventions.
en 2005 :
 13900 € au Toro Club Istréen
 4269 € au Club Taurin Paul Ricard d’Entressen (déjà financé par Ricard S.A.)
 1000 € à “Aréneros Istréens”
(Ces associations, qui s’occupent aussi de la course camarguaise, participent toutes à la feria et à la “Journée de l’Aficion”.)
 Mais c’est surtout l’office istréen du tourisme qui ne lésine pas sur les moyens en vue d’élargir le public des corridas : sur les 299 000 € de subventions municipales en 2005 combien sont affectés à la promotion de la corrida ?
 Emploi permanent ad hoc de Bernard Carbuccia dit “Marsella” de son nom d’ancien to-rero.
 Initiation (2003 et 2004 ; rien en 2005 faute de participants) à la corrida, et non pas à la course camarguaise, le mercredi après-midi dans les arènes, avec la contribution de matadors professionnels.
 Organisation de la journée (annuelle et gratuite) de l’aficion.
 Publicité pour la feria dans la presse ; par panneaux d’affichage 4X 3 jusqu’à Marseille ; sur les bus urbains de Ouest Provence.
 Déplacement de l’O.T ici et là et jusqu’à Paris, pour “vendre” les corridas istréennes auprès des clubs taurins.
 Ouest Provence mais aussi le Département et la Région apportent leur contribution. (Tour cela expliquerait le prix relativement modique des places aux corridas.)
Combien d’argent public est ainsi dépensé pour une telle infamie ? La population, hos-tile dans sa majorité attend plus de transparence sur les subventions et les budgets.
 Outre la nocivité de cette promotion, il y a aussi le risque, vous devez en être conscient Monsieur le Maire, d’une extension de la corrida, à partir d’Istres, aux autres communes d’Ouest Provence.

Nous vous rappelons l’article 521-1 du Code Pénal qui condamne les sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux mais indique, en son alinéa 3 que « Les dis-positions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. »
Or la jurisprudence a été très laxiste jusqu’à présent quant à l’interprétation des élé-ments constitutifs de l’exception (exception à la règle, à l’esprit de la loi, c’est-à-dire la protection de l’animal, et ce depuis la loi Grammont adoptée il y a environ 150 ans à l’époque même où la corrida était introduite et des lors illégale - en France !)

C’est ainsi que l’élément “local(e)” a été interprété comme régional ou lié à une zone démographique ; et que l’élément “tradition” a été reconnu comme existant dés lors que perdurait, dans une ville, l’existence d’un club d’aficionados, alors que la pratique de corridas y avait disparu depuis longtemps. (D’où, par exemple, l’introduction inouïe des corridas à La Brède dans le bordelais ; et leur retour extraordinaire à Carcassonne, 50 ans après leur disparition dans tout le département de l’Aude !)

Certes la Cour de Cassation a récemment donné une inflexion plus rigoriste à cette ju-risprudence, mais il n’est pas impossible que la répétition de “becerradas”, même artifi-ciellement incluses dans les fêtes votives, constitue un jour un précédent dépénalisant une corrida à part entière.
Cela, il faut que la population de Ouest Provence le sache !
C’est pourquoi nous espérons, Monsieur le Maire, qu’après l’absence d’information des Gransois sur cette affaire, vous aurez la sagesse de revenir sur l’autorisation de ce spectacle.

Le conseil municipal du 21 mars 2005 a approuvé les nouvelles définitions des compé-tences communautaires de Ouest Provence en matière de sport et de culture mais cela ne vous exonère pas de votre responsabilité, a fortiori s’agissant d’une activité visée par le Code Pénal et condamnable légalement sur le territoire de votre commune.

Est-il besoin de préciser que si Ouest Provence est à mettre à l’index pour cette propo-sition insidieuse, parasitaire, l’action intercommunale en général n’est pas en cause a priori ? Ainsi la population devrait-elle accueillir sans problème le soutien, par exemple, au festival des couleurs de Fos-sur-Mer (les Chromatiques) ; et, s’agissant d’un do-maine plus grave, elle devrait participer à la concertation relative à la Charte pour l’Environnement en cours d’élaboration.

A ce sujet, il est question de « problématique éco-citoyenneté/gouvernance » et il n’est pas inutile ici d’y faire un détour - au risque de vous paraître long, Monsieur le Maire - pour revenir après à la corrida : l’imbrication de la crise écologique, de la crise sociale et de la crise de la démocratie (en tout cas de celle de la représentation politique dans la République actuelle) génère des situations, voire des cercles vicieux, que les élus ont de plus en plus de mal à gérer.

Ils doivent avoir la lucidité nécessaire au meilleur arbitrage entre éthique de conviction et éthique de responsabilité mais aussi le courage d’agir contre les corporatismes et les groupes de pression et de prendre en compte le souci du bien commun et l’exigence de responsabilité venant d’une partie des citoyens.
Par exemple, nous serions aujourd’hui moins en retard et dans une situation bien plus favorable pour régler le problème des déchets ménagers (au plan départemental et plus particulièrement sur le territoire Ouest Provence) si les militants écologistes - que l’on retrouve en partie dans les rangs anticorrida

 avaient été plus écoutés et épaulés dès le début : ils se sont mobilisés depuis 10, 20 ans ou plus pour la réduction des déchets (emballages, etc) à la source, pour le recyclage, contre la décharge d’Entressen bien sûr, jusqu’à subir des amendes pour avoir déposé par protestation des ordures devant la mairie de Marseille. Ils sont rejoints seulement depuis quelques années par des élus qui sont confrontés aux échéances inéluctables.
Inéluctable est l’abolition de la corrida.

Anachronique dès son introduction en France, au moment de la révolution Darwinienne et lorsque Victor Hugo (comme d’autres républicains) s’indignait : « Torturer un taureau pour le plaisir, pour l’amusement, c’est beaucoup plus que torturer un animal, c’est tor-turer une conscience. »
La corrida est aujourd’hui de plus en plus indéfendable.

 La neuropsychologie et l’éthologie permettent de préciser des arguments mobilisés déjà par la sensibilité et le bon sens.
 Le mensonge qu’elle véhicule est dévoilé et largement dénoncé : il ne s’agit pas d’« un combat d’un homme contre un “fauve” » mais d’un piège savamment tendu par toute une équipe expérimentée (picadors, banderilleros, matadors) à un animal sélectionné pour sa réactivité à l’agression ; où les bêtes (6 par corrida et il y a souvent plusieurs corridas par jour de feria) sont l’une après l’autre torturées à mort sans comprendre le dispositif humain.
 L’argument procorrida d’une belle vie (4 ans au campo) du taureau adulte précédant un “mauvais” quart d’heure (le “mauvais” est concédé par certains tauromaniaques pous-sés dans leurs retranchements mais c’est plutôt les qualificatifs de “bravoure” et de “gloire” qui sont appliqués, par anthropocentrisme, au malheureux animal) ne tient plus sur le plan éthique, surtout quand on prend en compte le transport harassant et la mul-tiplicité des armes blanches utilisées, en plus de l’épée de l’estocade (elle-même sou-vent réitérée) avant et après.
Cet argument est bien sûr faux pour la face cachée de la corrida : l’entraînement et a fortiori l’apprentissage, indispensables, où les souffrances infligées aux taurillons (et aux chevaux en corrida équestre) sont probablement les pires et innombrables.
 Le courage, relatif, lié au risque variable pour le matador d’être blessé (quasiment ja-mais d’être tué : 1 torero tué pour 34800 taureaux selon une étude scientifique cf “Que sais-je” “La corrida” Baratay / Fugier) ne justifie pas cette barbarie.

Les arts martiaux, les sports extrêmes sont des substituts possibles et positifs s’ils sont bien encadrés.

 Le prétendu rôle de catharsis, d’exutoire à la violence est une escroquerie : il s’agit là, en fait, de négation, sinon de banalisation de la violence réelle sur un être vivant sensi-ble ; ce qui est encore plus grave auprès des enfants qui sont spectateurs et même au-teurs.
On le sait depuis la tragédie grecque : les pratiques artistiques, le travail de fiction, litté-rature, cinéma, danse, théâtre, performances contemporaines etc, sont les vrais vec-teurs cathartiques.
 Répondons quand même à une apostrophe fallacieuse : la corrida n’est bien sûr pas une alternative aux affreux élevages industriels. La plupart des aficionados ne sont d’ailleurs pas regardants sur l’origine - du point de vue de la qualité animale - de la viande qu’ils consomment ; ils sont encore moins végétariens.

La gratitude vis-à-vis des animaux domestiques, bovins et chevaux en l’occurrence, pour tout ce qu’ils nous ont permis de produire au cours des millénaires (et encore aujourd’hui, surtout dans les pays sous-développés) exige d’améliorer leur sort ici et là.

Bref, pour la protection animale, pour notre dignité et notre responsabilité, en particulier quant à la formation des jeunes au respect de l’Autre, la corrida doit être abolie.

Elle restera ensuite un objet intéressant d’études historiques, artistiques et anthropologiques, pour sa forme comme pour sa signification : c’est-à-dire (pour faire vite) un spectacle hétéro-gène fait de codification et d’aléatoire, de présidence et de “bronca”, de divers éléments tem-porels et esthétiques, visuels, sonores, de maîtrise et de perte de contrôle ; un abattage rituel, mélange ambigu de virilité et de féminité, de domination et de peur, de vérité etc..

Les intérêts économiques spécifiques de la tauromachie, dissociés par leur absence de ceux de la fête, des ferias, apparaîtront alors comme dérisoires pour la collectivité.
L’évidence est bien celle-ci : c’est la corrida qui a besoin de la feria et non l’inverse.

De même, il n’y aura plus - ou si peu - de pseudo-intellectuels pour travestir la vérité histori-que sur l’origine de la corrida : elle n’est pas liée au culte antique du taureau mais résulte d’une appropriation au 16e siècle en Espagne, par des gens du peuple, à pied, dans le cadre des abattoirs, d’une pratique jusqu’alors réservée aux nobles à cheval ; un processus de codi-fication et d’esthétisation ayant ensuite produit la forme actuelle.

Les arguments précités n’ont pas besoin d’être majoritaires chez nos concitoyens pour justifier l’abolition de la corrida mais en plus ils le sont et de plus en plus.
En tant qu’élu, vous devez savoir, Monsieur le Maire, que la corrida est rejetée par plus de 80 % de la population française et qu’une part croissante de celle-ci s’exprime désormais de façon militante y compris dans les zones dites “de tradition”.

Les élus commencèrent à relayer, au printemps 2004, une proposition de loi, pour supprimer, au code pénal, l’exception corridas et combats de coqs. Cette proposition a été déposée par la députée de Nice Muriel Marland-Militello, appuyée par d’autres députés (une cinquantaine ac-tuellement). Le Conseil Municipal de Mouans-Sartoux (06) a voté début décembre 2004 une motion de principe anticorrida. La prétention de la municipalité de Fréjus d’installer une “Feria de la Côte d’Azur” avec encore plus de corridas n’y est pas pour rien.

Cette expression politique a commencé en Catalogne espagnole : les conseillers municipaux de Barcelone et de plusieurs autres villes espagnoles ont voté des motions anticorrida.

Par ailleurs, des projets de redéfinition du statut de l’animal domestique arrivent forcément à l’ordre du jour en France et en Europe.

Dans ce contexte de contestation, il est tentant, quand un événement de promotion de la cor-rida, comme cette “becerrada”, va avoir lieu, de ne pas informer sur sa spécificité par rapport à la tradition camarguaise et, plus grave, d’en dissimuler même le plus tard possible la pro-grammation.
Serait-ce le cas aujourd’hui à Grans ?

Les Gransois constateront que le comité des fêtes ne les a pas informés de cette “becerrada” : elle ne figure pas sur le dépliant “Programme complet des fêtes votives 2005” ! (Certes édité peut-être avant la communication de l’information par Ouest Provence, mais on peut penser qu’en sa qualité de vice-président de Ouest Provence, le maire en a été informé assez tôt.) Elle ne figure pas non plus jusqu’à ce jour sur les affichettes récemment exposées dans les rues par le comité des fêtes ; de plus on peut toujours y coller un bandeau informatif complé-mentaire.

Par contre l’association Grans Taurin qui assure les animations taurines dans le cadre du pro-gramme du comité des fêtes, fait discrètement circuler l’information auprès des aficionados, notamment dans certains bars du village.
Cette promotion insidieuse de la corrida, parasitant nos fêtes votives, et la confusion entre tra-dition camarguaise et tauromachie espagnole qu’elle peut générer, surtout chez des touristes, nous ont conduits à décider une manifestation sur la place de l’Eglise, ce dimanche 26 juin 2005 à 14 h.

Nous vous en informons par la présente avec copie à Monsieur le sous-préfet Bernard Frau-din.

Vous remerciant par avance de votre attention et dans l’attente de votre part d’une réponse satisfaisante à notre indignation, veuillez agréer, Monsieur le Maire, l’expression de nos sentiments respectueux mais attristés cependant.

Pour le comité F.L.A.C Marseille / BdR

Alain Camisuli

Comité F.L.A.C
MARSEILLE / BOUCHES-DU-RHONE
BP 43
13908 MARSEILLE Cedex 20

Messages

  • c’est quand même ecoeurant qu’il existe encore des "humains" incapable d’évoluer intelligement au nom de "traditions" barbares.

    mais c’est malheureusement comme pour la chasse par chez moi (même ailleurs) on est pas près de voir la fin de la connerie humaine vu que les élus sont les premiers chasseurs, ou alors n’ont rien dans l’froc et ferme leur goule.

    wapasha