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Un commando fasciste italien rêvait d’enlever Battisti

Publie le mardi 5 juillet 2005 par Open-Publishing

Un « bureau » aurait projeté une action contre l’écrivain d’extrême gauche.

Par Laure STEPHAN, Rome

Un projet d’enlèvement de Battisti en France par des barbouzes italiens ? L’hypothèse est réelle. Et vient de prendre corps avec une série de révélations dans la presse italienne. L’enlèvement de Cesare Battisti, membre des Prolétaires armés pour le communisme, aurait été ainsi préparé par le Département d’études de stratégie antiterroriste (DSSA), « bureau » d’extrême droite fondé en mars 2004. Avant que le projet soit abandonné à l’automne après la fuite de l’écrivain. C’est ce qu’a rapporté dans son édition de dimanche le quotidien italien Corriere della Sera, tandis que l’autre grand titre de la Péninsule, La Repubblica, indiquait de manière lapidaire que le DSSA, un « groupe de néofascistes [...] nourrissait l’espoir d’arrêter le terroriste en fuite Cesare Battisti ».

Fantasmes. Un espoir plus qu’un projet concret, à en croire Marco Imarisio, journaliste du Corriere et auteur de l’article sur le rapt envisagé de Battisti : « Le DSSA aurait eu deux fois le projet d’enlever Battisti. D’abord, alors qu’il était encore à Paris, ses membres ont voulu mettre sur pied un commando ; et ensuite alors qu’une rumeur laissait penser qu’il se cachait en Corse. Mais on ne peut pas parler de plan véritable, les membres du DSSA fantasmaient plus qu’autre chose », explique-t-il. Il n’empêche, le DSSA aurait compté 150 personnes : ses deux dirigeants, Gaetano Saya et Riccardo Sindoca, qui se réclament tous deux de « filiation fasciste », sont aux arrêts domiciliaires depuis vendredi.

Le Corriere della Sera livre quelques extraits des documents de l’enquête préliminaire, reprenant notamment une conversation téléphonique du 14 septembre 2004 entre l’un des dirigeants du DSSA, Riccardo Sindoca, et un agent de police pénitentiaire, Marco Campidani : il est question de « Bruno Rossi », nom de code pour indiquer les Brigades rouges et désigner également Cesare Battisti, aussi surnommé « le Porc » ou « le Porc rouge », « prêt à être enlevé ». Battisti est alors en fuite depuis le 21 août. Les membres du DSSA avaient-ils des informations sérieuses sur la localisation de Battisti ? Selon Marco Imarisio, la conversation téléphonique interceptée coïncide avec la parution d’un article dans le Giornale, quotidien italien, selon lequel Cesare Battisti était alors en Corse. Mais dans les conversations, les membres du DSSA parlent aussi de contacts. Les éclaircissements sur le degré de préparation du rapt de Cesare Battisti seront sans doute donnés par les premiers interrogatoires qui doivent avoir lieu mercredi à Gênes.

Pour autant, les ambitions principales du DSSA semblent avoir été d’abord d’« éliminer le terrorisme islamique et protéger le pape ». Dans le but de lutter contre le terrorisme, la structure organise ainsi des filatures, elle surveille des lieux soupçonnés d’être des couvertures et filme plusieurs individus.

C’est au milieu de ces activités qu’émerge le projet Battisti. Ce qui semble incongru à certains. Sa réussite aurait pourtant, selon la presse italienne, permis de légitimer les activités du DSSA, qui cherchait des appuis aussi bien politiques que financiers. « Les membres parlaient souvent de Battisti en l’insultant, continue Marco Imarisio, il ne faut pas oublier que ce DSSA était formé de personnes d’extrême droite qui haïssent Battisti d’un point de vue idéologique. Mais c’était aussi le projet le plus ambitieux d’un point de vue de l’image, toute l’Italie parlait alors de Battisti. »

Police parallèle. Si le projet d’enlever Battisti risque peu d’émouvoir la Péninsule, la révélation de la formation d’un groupe de police parallèle crée, elle, un petit malaise. D’abord, parce qu’elle intervient alors que le gouvernement est en pleine polémique avec les autorités américaines. L’Italie dément formellement avoir été informé de l’enlèvement de l’imam Abou Omar par la CIA, en plein Milan, en 2003. Et les institutions italiennes affirment de nouveau ne pas avoir été au fait des activités du DSSA, ce que contredit pourtant l’un des dirigeants de cette officine, Gaetano Saya.

Mais ,surtout, le ministère de l’Intérieur craint que d’autres groupuscules « parallèles » aient mis un pied dans les forces de l’ordre italiennes ; aujourd’hui, 24 policiers, gendarmes ou agents de la répression des fraudes sont mis en examen dans l’affaire du DSSA.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=308901