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UN FAUX-AMI : TONI NEGRI

Publie le samedi 23 juillet 2005 par Open-Publishing
5 commentaires

de Le bouledogue rouge CQFD

Le giscardisme est-il un léninisme ? La question se pose après le soutien ardent apporté par Toni Negri à la Constitution européenne. Doté d’un bac + 12 en dialectique, le gourou d’un marxisme branché faisait tribune avec le collectionneur de montres en or Julien Dray, affirmant que le traité serait un moyen de « combattre l’Empire, cette nouvelle société capitaliste mondialisée ».

Quand le Non l’eut emporté, Negri s’exclama, amer : « C’est impressionnant, ce point de vue réactionnaire, archaïque ! » (Télérama, 08/06/05) En apparence, l’expression d’un oui-ouisme prolétarien et révolutionnaire avait de quoi surprendre. Mais en apparence seulement.

Car s’il y a bien un mérite qu’il faut reconnaître à Negri, c’est de n’avoir jamais dérogé à ses convictions initiales. Il ne fait pas partie de ces ex-mao-trotsko-avant-gardistes qui, il y a trente ans, pimentaient leur plan de carrière d’un poil de subversion. Negri ne ment pas comme un arracheur de dents, un July ou un BHL.

Peut-être n’en a-t-il ni le talent ni l’imagination, comme dirait Nietzsche. De fait, son courroux inextinguible à l’égard de « ce peuple archaïque et réactionnaire » ne le fait pas dévier d’un pouce de son propre parcours. C’est dans la ligne bringuebalante mais cohérente de sa construction idéologique.

Sa formation religieuse l’a d’abord conduit à interchanger le visage de Dieu et celui de Lénine. Antonio Negri était, est et reste un partisan de l’intervention des « révolutionnaires professionnels » (les prêtres guerriers), du « centralisme démocratique » (l’Église catholique), « de la conscientisation des masses » (les évangélisateurs) et plus concrètement de la dictature du parti (la Bible) sur « le prolétariat ».

Vaille que vaille, malgré les faillites et le ridicule, toujours hanté par sa fascination pour le rôle de l’« intelligentsia révolutionnaire », ce contorsionniste a maintenu le cap. Le voilà aujourd’hui représentant de la « critique radicale » labellisée, celle dont on aime avoir peur. Les médias se l’arrachent. Une cour d’intellectuels et d’activistes nostalgiques d’une époque où tout était clair grâce au camarade Lénine, le suit et ânonne les new concepts que le Professeur cuisine depuis sa chaire de « leader de l’autonomie ».

« Multitude » à la place de prolétariat, « bio-politique » à la place d’aliénation, « empire » à la place de capitalisme, « puissance » à la place d’autonomie. Ça a l’air neuf, ça sent le moderne, mais c’est toujours la même chanson. Dans les années 70, la stratégie du courant « opéraiste », dont Negri était l’un des chefs de file, était de « remettre en mouvement un mécanisme positif de développement capitaliste », à l’intérieur duquel il fallait « jouer la richesse d’un pouvoir ouvrier plus pesant ».

Et ce à travers « l’usage révolutionnaire du réformisme ». En appelant à voter Oui à toutes ces élites dont l’activité consiste justement à impulser « un mécanisme positif de développement capitaliste », il continue, en bon clerc, à régurgiter consciencieusement ce qu’il a pêché chez son maître bolchévique. Il a craché son mépris contre ce peuple prétendument attaché à l’État-Nation, tout en arguant de la nécessité de créer le super État-Nation que serait l’Europe, cette vaste entité dirigée par des maîtres lointains et déterminés.

L’Europe ferait front à la pression américaine, en confiant l’affaire à un méga-gouvernement central, comme au bon vieux temps. Dans ce bon vieux temps où le Secrétaire de l’Union des écrivains de la RDA pouvait déclarer, à la suite d’un soulèvement ouvrier réglé à coups de canons en 1953 : « Il va falloir que le peuple travaille dur pour reconquérir et mériter la confiance que ses chefs avaient placée en lui. »

Publié dans CQFD n°25, juillet-août 2005.

http://www.cequilfautdetruire.org/article.php3?id_article=684

Messages

  • Le problème de Toni Negri n’est pas un excessif attachement à la lettre de Lénine. Il s’en est tant éloigné que la continuité intellectuelle entre les deux est aussi profonde que celle reliant Marx à Coluche ( qui a dit, comme vous le savez, “le capitalisme c’est l’exploitation de l’homme par l’homme, le communisme c’est le contraire”).
    Bien plutot, ce qui a declenché cette évolution intellectuelle chez Negri et sa “multitude”, c’est un errement idéologique aussi profond que le rattachement des partis sociaux-démocrates aux unions sacrées durant la première guerre mondiale, c’est le nationalisme. Un nationalisme européen, certes, mais un nationalisme aussi viscéral et sans doute plus pernicieux.
    Au début du 20eme siècle, les partis socialistes francais et allemands avaient abandonné toute idée d’une alternative radicale et internationale au capitalisme, et s’etaient au final rallié a l’idée qu’il leur fallait défendre le capitalisme national face à la menace des capitalismes environnants. De meme, Negri a accepté l’idée d’un horizon réformiste, et considère une europe fédérale comme l’instrument de ce réformisme (meme radical). Il lui échappe totalement que la structure institutionelle et idéologique de l’europe, telle qu’elle est et telle que serait venu la renforcer la Constitution, est foncièrement une arme des élites capitalistes.
    En raison de son obsession pour l’idee d’empire, qu’il associe avec la présence économique, idéologique et militaire des USA, il oublie que l’Europe telle qu’elle se construit est une composante essentielle du veritable empire capitaliste. Par conséquent, il ne comprend pas que tout discours sur la nécessaire expansion de l’influence européenne aux dépens des USA est une supercherie idéologique destinée à cacher la racine du problème, un problème qui n’est pas ancré dans la réalité américaine mais dans la substance institutionelle et idéologique du capitalisme.

    • "Il lui échappe totalement que la structure institutionelle et idéologique de l’europe, telle qu’elle est et telle que serait venu la renforcer la Constitution, est foncièrement une arme des élites capitalistes."

      Autant le traiter carrément d’idiot... C’est simplement un intellectuel. Quelqu’un qui manie les mots, les concepts, à dire aujourd’hui oui quand hier il disait non. Sans se soucier des conséquences autres que celles qui concernent sa carrière.

      Parcours classique d’un intellectuel (le chemin inverse est très rare, voire inexistant) : on commence à "gauche", on y reste le temps de se constituer une clientèle (qui achètera vos productions : livres, articles) puis on utilise ce positionnement (et ce public) pour retourner sa veste et intégrer les institutions orthodoxes (votre valeur en tant qu’apostat est alors supérieure).

      Un exemple actuel est Bernard Maris.

  • Pour poursuivre et détailler la critique de Toni Negri et de ses proches, on peut lire la brochure "Negrisme et Tute Bianche : une contre-révolution de gauche", disponible en ligne sur le site de Mutines Séditions ou sur infokiosques.net.

    "Critique de la gauche mondiale en devenir. Antonio Negri, les centres sociaux italiens, Multitudes, les désobéissants... pseudo-radicalité du discours, réformisme et dissociation politique."

  • Bonjour,

    Je me demande si ce personnage vaut à ce point de gaspiller autant de ligne dans ce site. Pour ma part, j’en entant peu parler dans les manifs, les collectifs et les luttes, et je ne pense pas qu’en France il inspire grand monde.
    De toute façon, employer des néologismes qui ne servent qu’à masquer les traits permanents du capitalisme est une vieille ficelle, et trompe de moins en moins, comme l’a montré le référendum du 29 mai.

  • Je reste très sceptique quant aux attaques massives et très peu nuancées dont font actuellement l’objet diverses "figures" du débat, françaises ou européennes. C’est un peu comme si quelques censeurs s’étaient dorénavant donné comme objectif d’excommunier systématiquement toute personnalité qui aurait le malheur de faire une déclaration "pas-tout-à-fait-dans-l’esprit". C’est visiblement le cas de CQFD et de PLPL, dont je consulte par ailleurs le travail (je suis même abonné). Leur lecture m’amène à me demander s’il existe quelque part dans cette galaxie un bipède qui trouve grâce à leurs yeux... pour les autres, c’est le bûcher.

    Je ne suis pas particulièrement un admirateur de Negri ou de Maris, pas plus que de Bourdieu, Chomsky ou autre intellectuel, mais j’estime qu’il est assez peu constructif (et pour tout dire complètement inintelligent), de jeter l’ensemble de leur travail aux orties et de les caricaturer avec force qualificatifs à la première occasion.

    Mon idée du débat est tout autre, elle repose essentiellement sur l’échange d’arguments, la lecture de différents points de vue auxquels je confronte mes options et mes expériences. Après seulement je peux décider que je ne suis pas d’accord avec telle ou telle thèse, sans pour autant vouer aux flammes éternelles tous ceux qui les défendent. Ce qui ne m’empêche pas de tenir parfois un discours très offensif contre certains auteurs que j’estime dangereusement malhonnêtes.

    On ne peut pas à la fois dénoncer l’odieuse propagande que nous avons supporté lors de "l’affaire du TCE" et appliquer ensuite des méthodes similaires à tous ceux que nous considérons comme des "déviants". Il y a là dedans des relents de purge auxquels je ne souscris absolument pas...

    Theoven