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Une partie du public et des critiques contestent la direction prise à Avignon

Publie le dimanche 24 juillet 2005 par Open-Publishing
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Une partie du public et des critiques contestent la direction prise à Avignon

de Nathaniel Herzberg, avec Rosita Boisseau, Fabienne Darge et Brigitte Salino

Devant la programmation radicale présentée cette année par la direction du Festival, la température, qui montait dans la Cité des papes, a atteint sa température maximum. Critiques souvent au vitriol, public régulièrement désarçonné, professionnels médusés par la violence de la controverse, et jusqu’au ministre de la culture, qui réuni quelques journalistes pour recueillir leurs avis : en peu de jours, la polémique a tourné au combat.

Les professionnels ne parlent plus que de ça. Dans la nuit du jeudi 21 au vendredi 22, au Bar du Festival, lieu des débats tardifs d’après spectacle, la discussion a duré jusqu’à 5 heures. "Des comédiens, des metteurs en scène, des programmateurs, raconte Jacques Blanc, directeur du Quartz, scène nationale de Brest. Ça n’arrêtait plus. Il faut comprendre : nous vivons une vraie crise. Une crise douloureuse mais j’espère salutaire, car elle pose toutes les questions. Et, comme toujours, Avignon, c’est la brûlure."

La mèche, il est vrai, avait été allumée avant même le début du Festival. D’emblée, Le Figaro et Le Nouvel Observateur dénonçaient les choix des deux codirecteurs, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, et de leur "artiste associé", le controversé Jan Fabre. L’Histoire des larmes, de l’artiste flamand, mais aussi les premières créations de Jan Decorte, Jacques Delcuvellerie, Wim Vandekeybus, Romeo Castellucci ou Thomas Ostermeier présentées dans le "in", les renforçaient dans leurs convictions que, décidément, quelque chose de pourri avait infecté la Cité des papes.

Une partie du public prenait le relais. Au Cloître des Célestins, Delcuvellerie achevait ses représentations devant une salle à moitié désertée. Au Cloître des Carmes, Christian Rizzo était salué par des sifflets. Au Gymnase Aubanel, sans attendre les lazzis qui allaient ponctuer le spectacle de Pascal Rambert, une femme explosait : "Mais qu’est-ce qu’on vous a fait ? Pourquoi vous nous faites souffrir comme ça depuis une heure et demie ?"

De telles protestations ne sont pas nouvelles. Bernard Faivre d’Arcier, alors directeur du Festival, se souvient encore du public lançant la réplique au Roi Lear, dans la cour d’honneur, pour dénoncer la mise en scène de Daniel Mesguich en 1980. "J’en pleurais en coulisse"... Ou encore ces spectateurs vitupérant, en 1984, contre Pina Bausch et ses danseuses coupables d’avoir "du poil aux pattes". Merce Cunningham brocardé en 1985, Antoine Vitez moqué en 1987, Jacques Lassalle éreinté en 1994 (il annonçait dans la foulée qu’il abandonnait le théâtre) ou encore Bill T. Jones sifflé en 2001 : de nombreux artistes ont ainsi payé leur tribut lors de leur passage à Avignon. Quitte parfois à voir leur spectacle passer ensuite à la postérité.

Cette année, pourtant, ce n’est pas telle ou telle proposition qui se voit remise en cause, mais bien une ligne artistique. "Un mensonge institutionnalisé, revendiqué et imposé cyniquement à un public finalement pris en otage par ces véritables attentats à la vérité, à l’intelligence, à la modestie, à l’humilité, à la dignité tout simplement" , résumait, dans L’Humanité, René Gonzalez, directeur du Théâtre Vidy-Lausanne. Le Figaro et France-Inter, de leur côté, invitaient, à mots à peine voilés, le ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, à écarter l’équipe en place.

"GUET-APENS"

"Une cabale réactionnaire", tranche Anita Mathieu, directrice des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis. "Du tir au pigeon", précise François Le Pillouer, directeur du Théâtre national de Bretagne. Avec "une convergence d’intérêts", assure-t-il. Les ayatollahs du théâtre bousculés par l’omniprésence de la danse, les défenseurs du texte agacés par la multiplication des formes hybrides, les garants de la tradition avignonnaise furieux de voir le Festival livré à la jeune garde ou encore les gardiens de la Cour d’honneur, refusant la "désacralisation" du lieu revendiquée par les deux directeurs : "Ils sont tombés dans un guet-apens, assure François Le Pillouer. Laissons-leur du temps. En 2004 on les encensait et, cette année, on en appelle au ministre. C’est absurde. On n’est pas au football, où l’on jette les entraîneurs dès qu’ils ont de mauvais résultats."

D’autant que, selon la direction, la fréquentation reste bonne. 105 000 billets déjà délivrés sur 126 500, soit 83 % de la jauge : les résultats de 2004 (82 %) sont dépassés. Autre satisfaction affichée par Vincent Baudriller, les tarifs jeunes (moins de 25 ans et étudiants) sont passés de 7 % à 9 %.

Mais les chiffres ne résument pas l’émoi, la stupeur, voire le désarroi provoqués par la programmation de cette année. Un tableau que Vincent Baudriller entend adoucir. "D’abord, les textes n’étaient pas absents, loin de là." Büchner, Brecht, Shakespeare, mais aussi Jean-François Peyret, Olivier Py et Raymond Federman ont remporté de francs succès. Ensuite, ce festival s’inscrit dans "un projet global". Il vient après l’édition confiée à Thomas Ostermeier, et celle que doit piloter en 2006 le chorégraphe Josef Nadj.

"Et puis, cette année, nous avons choisi d’accueillir 75 % de créations, ajoute-t-il. Nous ne connaissions donc pas les spectacles. C’est toujours un pari risqué. Certaines propositions sont des réussites, d’autres ne sont pas tout à fait prêtes. De même, nous avons le souci de la diversité des formes, mais ensuite les projets se développent et parfois se rapprochent. J’admets que cela a pu entraîner une accumulation parfois lourde pour le spectateur."

Une accumulation de violence et de noirceur, de nudité et de crudité, qui a justement occupé Jacques Blanc et ses amis, dans la nuit de jeudi à vendredi. "Les artistes sont des capteurs, souligne le directeur du Quartz. Et ce qu’ils captent aujourd’hui, c’est la violence du monde. Alors, forcément, ils veulent la traduire sur le plateau. Sauf que le spectateur, lui, il a aussi besoin de rêve, d’utopie. Alors, que doit être le Festival d’Avignon, le lieu du rêve ou le lieu du désenchantement du monde ? De la convivialité qui rassemble ou de l’extrême singularité de l’artiste qui peut diviser ? Ces questions, nous y sommes tous confrontés."

Modestement, du haut de ses quarante-cinq ans de présence ininterrompue au Festival, Jacques Blanc croit avoir trouvé la solution : "Il suffisait de deux grands textes dans la Cour d’honneur et il n’y avait pas de polémique." Satisfaire un peu tout le monde sans trahir la ligne de cette année. Ou plus exactement, comme il le dit en citant Victor Segalen : "Exalter le choc des divers."

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3246,36-674982@51-669355,0.html

Messages

  • Certaines créations relèvent du foutage de gueule et on devrait avoir le droit de le dire sans se faire automatiquement traiter de réac voire de fasciste !

  • Tout cela va dans le sens de la dérive de l’art contemporain où tout n’est plus qu’ "entertainement" et exhibition égocentrique cf. Sophie Calle, Christine Angot....

    La culture devient de plus en plus la chasse gardée de quelques bobos . Le peuple lui ne comprenant rien à toutes ces subtilités.. il lui reste pour réfléchir la télé réalité... voilà la culture populaire d’aujourd’hui cf. Les Cahiers du Cinéma et Les Inrockuptibles qui consacrent la télé réalité comme du grand art.

    Ou Jean-Max Collard des Inrockuptibles encore qui exécute en quelques phrases « le peintre pestant dans son atelier contre l’inflation des médias et la société du spectacle… » ainsi que les artistes ayant l’outrecuidance de manifester des sentiments dans leurs œuvres et ne se laissant pas tenter par « l’entertainement »

    Alors Proust « Une œuvre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix ». Plus loin, « Car tous ceux qui n’ont pas le sens artistique, c’est-à-dire la soumission à la réalité intérieure, peuvent être pourvus de la faculté de raisonner à perte de vue sur l’art » (Le temps retrouvé, p.715, Robert, Laffont, bouquins).

    La décadence est en marche, car une société sans art est une société sans rêves qui court à sa perte