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Avocats et familles dénoncent le sort des DPS (détenus particulièrement signalés)

Publie le lundi 22 août 2005 par Open-Publishing
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La prison dans la prison des condamnés à l’isolement

Par Dominique SIMONNOT

Mardi dernier, Martine El Shennawy était au parloir de la prison de Gradignan (Gironde) pour voir Philippe, son mari. Jeudi, elle devait y retourner pour les 35 minutes auxquelles ils ont droit, trois fois par semaine. « Mercredi, la femme d’un autre prisonnier m’a envoyé un SMS "ton mari est transféré". Il avait été baluchonné à Paris, à la Santé. » Elle a annulé sa semaine de vacances à côté de Bordeaux. « J’ai perdu la location, les billets de train, comme chaque fois. J’ai appelé Gradignan, ils m’ont dit "vous devriez être habituée" ». C’est le neuvième transfert d’El Shennawy en un mois et demi. Fresnes, Fleury, Aix, Gradignan, Nanterre, Montfavet, Pau, Gradignan à nouveau... Plus de trente ans que ça dure. Il a 20 ans en 1974, quand il est classé DPS (détenu particulièrement signalé), après un braquage avenue de Breteuil à Paris.

Le statut ne l’a plus quitté et lui vaut une ronde incessante de prison en prison. Et surtout un isolement total. L’isolement, cela veut dire dans un quartier spécial, aucun contact avec quiconque dans la prison, excepté avec les surveillants aux heures des repas ou de la douche. Cela veut dire une promenade quotidienne dans un espace réduit, grillagé de tous côtés. Cela signifie que les coursives se vident sur le passage de l’isolé, encadré de surveillants. Et des parloirs spéciaux, sans aucun autre détenu, sans aucune autre famille. Cela interdit le travail en atelier et les activités sportives ou culturelles.

« Animal épuisé ». Il y a sept ans, déjà, l’avocat d’El Shennawy avait plaidé : « On est en train de le rendre fou. » Tant et si bien qu’en 2003 il perd 20 kilos, entend des voix et est placé d’office à l’unité des malades difficiles de Montfavet (Vaucluse). Là, selon un infirmier, « il se traîne dehors comme un animal épuisé ». Il s’évade en mars 2004, prend trois personnes en otage, est repris en février 2005. Il était libérable en 2007.

« Là-bas, on l’attachait pour le piquer, Mais il n’est pas fou, pas du tout, proteste son épouse, Maintenant, ils font tout pour qu’il craque, pour qu’il aille au mitard et qu’il n’ait plus de parloir ! Je surveille. S’ils me l’embarquent pour le remettre en psy, je fais un scandale ! » Le 20 juillet, « fatigué, désabusé », El Shennawy prévient le directeur de Gradignan qu’il est en grève de la faim. Depuis cinq mois, il réclame qu’on lui rende sa machine à écrire, égarée au hasard des transferts. Il n’a plus de lunettes, brisées, jamais remplacées. « Comme il ne peut pas travailler, je lui envoie des mandats deux fois par mois, raconte Martine, mais ils se perdent au fil des transferts. » De même que les lettres. Dans son courrier au directeur, El Shennawy écrit : « Je suis confiné en cellule 24 heures sur 24, puisque je refuse la petite heure de promenade que vous m’octroyez dans une sorte de cellule double. [...] Ma porte ne s’ouvre que deux fois par jour, aux heures des repas... » Après le 20 juillet, la porte est parfois restée close vingt heures d’affilée, puisque le détenu ne mange plus. Il y a quinze jours, quand Martine arrive à la prison pour sa visite, « ils ont dit à [son] mari qu’il allait être transféré et qu’il n’aurait pas de parloir. Il a prévenu : "C’est ma femme, je la vois ou je m’ouvre le crâne." Ils ont pris peur et on a eu le parloir. Voilà où on en est. Ça fait trente ans qu’il est DPS, ça suffit ! Il ne se nourrit plus et, je le sais, il ira jusqu’au bout ! » Le 12 août, Me Ludovic de Patureau a demandé des explications à la chancellerie : « J’ai rappelé que les isolés ont légalement les mêmes droits que les autres détenus, l’isolement n’est pas une punition, s’énerve l’avocat, or ce que Philippe subit est abject, un de mes courriers lui est arrivé ouvert et lacéré, on lui refuse les consultations médicales, on lui passe son tour de douche... on le fait vivre dans la quatrième dimension ! Sa grève de la faim est un appel au secours. »

Draguignan, Marseille, Aix, Villepinte, Bois-d’Arcy, Fleury, Fresnes, c’est le voyage de Jean-Pierre Gandeboeuf, 62 ans, classé également DPS depuis trente ans. Sa femme Ghislaine : « Je vis dans le Sud, ça fait des mois qu’on demande le rapprochement familial, on nous dit qu’il a appartenu au gang des Lyonnais, mais c’était il y a trente ans ! Un homme de son âge ne va pas s’accrocher à un hélico pour s’évader, c’est ridicule. Et, à chaque transfert, j’attends un permis de visite qui ne vient pas. » Au début de l’année, le tribunal administratif a annulé le placement à l’isolement de son mari, comme souvent pour défaut de motivation. « Il a été transféré immédiatement et remis à l’isolement à Fleury, poursuit Ghislaine. On a choisi nos vies, on assume, mais si on est puni parce qu’on se sert des recours que la loi offre, là ce n’est pas normal ! »

QHS. Les avocats ont aussi leur lot d’histoires. Me Jean-Louis Pelletier, président de l’Association des avocats pénalistes, a connu les QHS (quartiers de haute sécurité), supprimés en 1981 parce que les détenus « y devenaient des fauves ». Il retrouve aux QI (quartiers d’isolement) les conditions des QHS : « A Fresnes, c’est comme dans le temps, avec un surveillant en permanence qui nous observe derrière la vitre. A Fleury, ils bouclent tout sur le passage de mon client, et les surveillants écoutent nos conversations. Un autre client est baladé partout en France depuis cinq ans et, le plus grotesque, c’est qu’entre deux isolements il a été en détention normale pendant deux ans ! » Pour visiter ses clients isolés, Me Pelletier doit chaque fois téléphoner avant : « Je ne sais jamais à l’avance où ils ont été envoyés... »

A Bois-d’Arcy, un client assez remuant de Me Philippe Sarda ne se déplace, même à la douche ou au service médical, qu’entre quatre hommes casqués en tenue antiémeute et deux en simple uniforme : « Ils se postent devant le parloir, nous fixent, ne nous lâchent pas des yeux, c’est très agressif et provocateur. » L’avocat parle d’une « escalade très inquiétante », il a écrit au directeur et au procureur général. Et l’Observatoire international des prisons a saisi en urgence le tribunal administratif pour faire annuler cette mesure d’« encadrement renforcé ». Les ravages psychiques et physiques de l’isolement à long terme sont connus. Ils ont été décrits par des psychiatres, critiqués par le Comité de prévention de la torture. Et, de plus en plus, les juges administratifs sanctionnent des isolements non motivés ou justifiés par de très vagues ­ et non prouvés ­ risques d’évasion. Chaque annulation d’isolement est suivie d’un transfert. Prétexte à une nouvelle et totale solitude.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=318525

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