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Les poursuites contre des militants se multiplient.

Publie le mercredi 25 juin 2003 par Open-Publishing

Les poursuites contre des militants se multiplient.
Extension du domaine de la criminalité
Syndicats et associations s’inquiètent de la tentation autoritaire du gouvernement.
Par FRANCE SERVICE

Libération mardi 24 juin 2003

Le cas Bové n’a pas démarré sous la droite. N’empêche. Les conditions de son interpellation et son
incarcération sont bien dans l’air du temps, où le militantisme n’a qu’à bien se tenir. Et les nombreuses organisations syndicales et politiques, en soutenant hier le leader de la Confédération paysanne, ont beau jeu de dénoncer la "logique d’affrontement du gouvernement". Toutes les actions ne sont pas équivalentes, mais les récentes interpellations pour "délit de solidarité" suivies d’une comparution à Bobigny dans le cas du vol Paris-Bamako , l’évacuation hier de la Maison des ensembles, la rapidité, la semaine dernière, de l’expulsion des "sans" de l’ambassade de Somalie et les poursuites contre des militants à l’issue de la manifestation contre la réforme des retraites... donnent des arguments à ceux qui s’élèvent contre la "répression sociale".

Mobilisations.Le lien était fait, hier, par la plupart des organisations. A commencer par le secrétaire général de FO, Marc Blondel : "Les mesures d’intimidation et de répression antisyndicales se sont multipliées ces dernières semaines" et traduisent des "comportements autoritaires", fruits d’une "dérive libérale des pouvoirs publics". Les syndicats CGT-Unsa, FSU, G10-Solidaires, le Syndicat de la magistrature, qui appellent à un rassemblement demain, place de la Bastille, pour exiger la libération de José Bové, ont eux aussi fustigé la "criminalisation de l’action syndicale". Et, fait inhabituel, ils ont été rejoints dans leur critique, par la FNSEA. Celle-ci estime que "la liberté syndicale et l’existence des organisations professionnelles, piliers de la démocratie sociale", doivent "être préservées". Une première pour ce syndicat agricole, dont les actions ont bénéficié jusqu’ici d’une certaine tolérance de la part de la droite. C’est à ce syndicat, d’ailleurs, que fait allusion Jean Glavany, l’ancien ministre PS de l’Agriculture, en déplorant le "deux poids deux mesures" judiciaire : "Quand d’autres organisations agricoles [...] saccagent des bureaux, des préfectures [...] systématiquement, eux sont relâchés ou font l’objet de non-lieu..."

Cette criminalisation est à l’origine de mobilisations. Devant la prison de Villeneuve-lès-Maguelonne, deux cents partisans de José Bové se sont regroupés et des manifestations ont eu lieu dans une dizaine de villes. A Bobigny, des militants sont venus soutenir les trois passagers du vol Paris-Bamako qui passaient en jugement (lire ci-contre). Ils ont dénoncé, comme le PCF, "cette politique qui fait de la solidarité un délit et porte atteinte aux droits de la personne humaine, aux valeurs fondatrices de la République".

Interdiction de fréquenter les migrants. De fait, à Calais, deux piliers du Collectif de soutien d’urgence aux réfugiés (C’Sur) risquent dix ans de prison et 760 000 euros d’amende pour"aide à l’entrée au séjour irrégulier d’un étranger, en bande organisée". Charles Frammezelle, dit "Moustache", et Jean-Claude Lenoir ont hébergé des migrants qui cherchaient à passer en Angleterre. Ils ont aussi servi de prête-nom pour leur permettre de percevoir de l’argent de leur famille. Selon le parquet de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), c’est ce dernier fait qui est en cause. Depuis que le centre de la Croix-Rouge de Sangatte a fermé, en novembre 2002, les migrants sont sans abri, nourris et soignés par les associations. Certains de leurs membres, dont "Moustache" et Lenoir, sont sur écoutes téléphoniques depuis cet hiver. Il leur est maintenant interdit de fréquenter les étrangers en situation irrégulière, et ils doivent signer une fois par mois au commissariat. Pour Jean-Claude Lenoir : "Le but, c’est de nous mettre au calme pendant quelque temps, pour nous étouffer. C’est insidieux."

Evacuation de la Maison des ensembles.A Paris, hier, les expulsés de la Maison des ensembles ont le même sentiment : "Le but recherché, c’est de disperser notre noyau dur de militants", estime Mamadou Traoré, l’un des porte-parole de la centaine d’hommes, sénégalais, mauritaniens, maliens, guinéens, qui y étaient installés depuis juin 1999. Ce point d’ancrage du collectif des sans-papiers au 5, rue d’Aligre, évacué par la police hier à l’aube, est désormais muré. A l’origine de l’intervention policière, un arrêté préfectoral de mise en péril, daté du 27 mai. La menace était connue. Mais, pour les habitants du quartier, la "MDE" était tout un symbole. La grande bâtisse déglinguée était devenue, au lendemain du mouvement social de 1995, un lieu de la "contestation nationale", raconte l’un des fondateurs. Une cinquantaine d’associations comme Agir contre le chômage, Ras l’Front, Sud, Droit au logement avaient investi les lieux. C’était un squat alternatif, un lieu d’échanges... Après un premier arrêté d’évacuation, en 1997, resté sans effet, des associations ont peu à peu quitté les lieux. La Mairie de Paris, propriétaire des murs, s’était engagée à reloger les collectifs et les associations qui restaient. Hier, les Verts se sont bornés à rappeler la promesse. Pour eux, la Maison des ensembles était "dans un état de délabrement considérable". "Ce qui est choquant, c’est que cette décision n’a pas été discutée, dit Sylvie, membre de la Ligue des droits de l’homme. On aurait pu essayer de trouver une solution avec tous ceux qui font quelque chose dans le quartier."

Prévention des drogues au tribunal. Autre exemple. Depuis des années, Jean-Marc Priez, ancien président de l’association Techno +, milite pour réduire les risques de la consommation de drogues. Le 2 juillet, il comparaîtra devant le tribunal correctionnel de Paris, en vertu de la loi de 1970, réprimant "la présentation sous un jour favorable des produits stupéfiants". Son délit ? Avoir diffusé des brochures de prévention, et les avoir mises sur le site de l’association. La plupart du temps, pourtant, ces brochures sont rédigées en partenariat avec le ministère de la Santé. En dix ans d’actions de santé publique sur la réduction des risques, aucun acteur n’avait jamais été poursuivi. "On peut légitimement craindre que d’autres affaires similaires suivent. Et par exemple qu’Asud, le journal des usagers de drogues, soit la prochaine cible", s’inquiète Christian Saout, le président d’Aides. Ce week-end, en recevant le ministre de la Santé, lors des assises du mouvement à Strasbourg, Christian Saout lui a lancé : "Nous sommes tous des délinquants.".