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Vol d’explosifs de Plévin : la contre-enquête

Publie le samedi 1er octobre 2005 par Open-Publishing

Vol d’explosifs de Plévin « Contre-enquête »

Chronologie ( sources Breizh-Info , Le Télégramme, Ouest-France )

Mardi 28 septembre, six heures du matin :
un commando de sept à dix personnes, dont une femme, s’introduit dans l’enceinte de la société Titanite à Plévin, un bourg proche de Carhaix, et neutralise les chauffeurs qui viennent prendre leur service. Le système d’alarme n’a pas fonctionné. Les membres du commando sont, masqués, vêtus de tenues « style militaire », armés d’arme de poing. Ils chargent plus de huit tonnes de dynamite conditionnée dans des cartons 5000 détonateurs et des kilomètres de cordeau détonnant. A huit heures ils quittent les lieux. Le personnel donne l’alerte. Un hélicoptère de la gendarmerie survole en vain la région. La section antiterroriste du parquet de Paris (dirigée par Irène Stoller) est immédiatement saisie, différents services de police affluent à la suite des gendarmes à Plévin. Les chauffeurs de Titanite sont interrogés et invités à la plus grande discrétion vis-à-vis de la presse. Très vite, l’hypothèse basque est présentée comme la plus vraisemblable, parce que les membres du commando s’exprimaient avec un accent étranger, et que l’un d’eux aurait, aux dires d’un témoin, lancé à l’un de ses complices " Venga ! " (" Viens ! ", en espagnol).

Mercredi 29 septembre, à Idron, dans la banlieue de Pau (Pyrénées-Atlantiques).

Une fourgonnette " suspecte " est détectée par les policiers à proximité d’un pavillon. Un couple est intercepté alors qu’il part en pleine nuit de la maison en voiture, puis un autre homme, à moto. Deux autres personnes parviennent à quitter la maison sans être repérées. Leur véhicule, une Kangoo, étant tombé en panne, ils l’abandonnent et volent une voiture pour s’enfuir.

Dans la maison, la police trouve 2,5 tonnes d’explosifs volées la veille en Bretagne, ainsi que la quasi-totalité des cordons détonants et 4 600 détonateurs. Les trois personnes arrêtées sont identifiées. Il s’agit de Jon Bienzobas, 29 ans, et Francisco Segurola Mayoz, 44 ans, tous deux présentés comme membres de commandos actifs d’ETA, recherchés par les polices française et espagnole. La jeune femme arrêtée en leur compagnie est une militante culturelle bien connue en Iparralde, Mariluz " Argi " Perurena, 28 ans. C’est elle aurait loué la maison d’ldron.

Le lendemain Denez Riou, 45 ans directeur de publication du mensuel Combat Breton est interpellé. On laisse entendre qu’il aurait hébergé le commando de Plévin et assuré sa logistique (Source policière reprise par les média) Dans la foulée, Richard Le Faucheux est interpellé à Lorient c’est le locataire en titre de l’appartement où le commando aurait été hébergé. Puis c’est Charlie Grall, 46 ans, responsable de Breizh Info, qui est arrêté alors qu’il prend un verre dans un café carhaisien avec des amis. Les policiers le suivaient - sans trop se cacher - depuis plusieurs heures. Au même moment, à Biarritz (Pyrénées Atlantiques), un couple est arrêté : la femme, Sylvie de Artola, serait propriétaire d’une voiture utilisée par le commando pour se rendre en Bretagne. Le premier octobre, Alain Solé, 47 ans, militant d’Emgann, est à son tour interpellé à son domicile, à Fougères (Ille-et-Vilaine). Lui aussi est suspecté d’avoir hébergé le commando de Plévin.(1)

Lundi soir 11octobre un autre Lorientais, Hugues Richard, est arrêté, il est soupçonné d’avoir hébergé des Basques.

Jeudi 14 vers 9h30 les gendarmes retrouvent dans le quartier de Bordeaux-Bastide un camion de la Titanite. Ce fourgon Renault aurait servi à transporter une partie des explosifs dérobés à Plévin.(2). Dans l’après-midi, Charlie Grall est libéré. Le matin, la juge Laurence Le Vert a délivré une ordonnance de mise en liberté conditionnelle le concernant. Le 6 octobre, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris avait rejeté une première demande de référé-liberté déposée par son avocat.

Voilà un résumé de ce qu’a relaté la presse du mois d’octobre 1999 sur l’ affaire du vol d’explosifs commis le 28 septembre 1999 à Plévin (22).
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Revenons quelque temps auparavant.

Au mois de mai 1999, la juge Laurence Le Vert avait lancé un mandat d’arrêt contre un militant basque Axier Oiarzabal Txapartegui . C’est un des deux Basques qui a réussi à s’enfuir de la maison d’Idron à l’arrivée de la police. C’est aussi l’un des Basques que l’on retrouve le 23 septembre à 18 heures à Lorient avec deux de ses compatriotes à un rendez-vous fixé par Charlie Grall . Charlie Grall arrive en compagnie de Denis Riou qu’il venait de rencontrer un moment auparavant pour régler des problèmes routiniers concernant Breizh-Info . Un autre homme sera présent à cette rencontre dans un bar lorientais, le Shamrock . Des photographies de cette rencontre sont prises par les fonctionnaires de police de la Direction Nationale des Renseignements Généraux.

Ces photos seront présentées comme preuve pendant le procès de juin 2005 avec, un doute dans leur recevabilité, elles ne sont ni datées ni légendées. Un des militants présents sur la photographie de Lorient, non identifié par les policiers, ne le sera que plus tard. Ce détail est important, il ne sera arrêté qu’au moment ou il aura été identifié par l’un des premiers gardés à vue bretons : Jean-Charles Grall . Ce détail ébranle la version des Renseignements Généraux. Contrairement à ce qu’ils ont pu affirmer dans des procès verbaux de l’enquête préliminaire rédigés plus tard par les hommes de la DNAT ainsi que dans leurs témoignages au procès. Ils ne surveillaient pas les Bretons Grall et Riou depuis le mois de juillet. Bertrand Grimault est un proche de Jean- Charles Grall et une surveillance de Grall pendant deux mois aurait mis en évidence les relations journalières de ces deux hommes et du même coup Grimault aurait du être immédiatement identifié et interpellé en même temps que Grall , tous les deux étant sur la photographie prise au Shamrok avec Denis Riou et les trois Basques présents au rendez-vous.

Les Renseignements Généraux et leurs collègues de la D.N.A.T (3) disent avoir identifié les Basques le lendemain du rendez-vous du Shamrock soit le 24 septembre. Le responsable des renseignements généraux dit avoir prévenu lui même le chef de la D N A T Roger Marion ce jour-là. Leur identification permet de dire que certains d’entre eux sont recherchés par la justice espagnole( mandat d’arrêt international) et par son homologue française ( la juge Laurence Le Vert avait lancé un mandat d’arrêt contre le Basque Axier Oiarzabal Txapartegui au mois de mai 1999) . Le code de procédure pénal (article 40) dit :Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.

Ils sont identifiés le 24 septembre, ils sont recherchés et on les laisse courir. A la question posée par le président, au procès du mois de juin 2005, à un des policiers témoins sur l’attitude des policiers après l’identification des Basques, la réponse a stupéfié les observateurs et la cour. Le témoin était embarrassé et la réponse a été des plus surprenante pour un responsable des renseignements généraux : on les a perdus de vue, ils avaient disparu.
L’hypothèse la plus vraisemblable est que les policiers se doutaient ou pire savaient que les Basques allaient commettre une action à 900 Km de chez eux mais ont préféré les laisser faire pour pouvoir les arrêter en flagrance. La preuve : le service des renseignements généraux les repère à Lorient dans le Morbihan, il les identifie, puis les perd de vue deux jours avant le vol d’explosif de Plévin. Ils sont retrouvés le lendemain comme par enchantement à Idron dans les Pyrénées-Atlantiques et cela grâce à un renseignement venant d’une source crédible que la police tient à garder anonyme.

En 1999, le commissaire Marion était chef de la D N A T. C’est donc lui qui était responsable des opérations de police après le braquage du dépôt d’explosifs. Appelé à la barre comme témoin, il n’y est resté que peu de temps, incapable selon lui de répondre aux questions qui lui étaient posées, sa seule certitude étant la crédibilité de la « source sûre et confidentielle » d’où la surveillance de la maison d’Idron où les accusés du vol de Plévin ont été repérés. Il n’a pas dit non plus depuis quand cette maison était surveillée. Sa version de la source « sure et confidentielle » ne correspond pas à celle donnée par son collègue des renseignements généraux. A partir de ces éléments, en toute logique on peut penser que le commando basque a été repéré quand ils préparaient sa planque à Idron, ou peut-être même avant. La police a pu le suivre jusqu’en Bretagne, a laissé faire le vol. Elle a ensuite interpellé tout le monde dans une procédure de flagrant délit en y incluant les Bretons qu’ils avaient rencontrés à partir du 23 septembre : date de la rencontre à Lorient. De cette manière, les services spécialisés de l’anti-terrorisme neutralisent un commando repéré d’E T A et du même coup mouillent la partie la plus radicale du mouvement breton. Chose qu’ils n’arrivaient pas à faire depuis longtemps, les attentats de Belfort et Cintegabelle n’ayant toujours pas été élucidés.

Une organisation structurée comme est présentée ETA prépare consciencieusement sa planque à partir du moment même où elle décide de faire une action de l’ampleur du vol d’explosifs de Plévin. La rapidité et la simultanéité l’intervention de la police à Idron et Lorient pour interpeller le commando et les hébergeurs et à Biarritz pour interpeller la conductrice du véhicule qui avait conduit le commando en Bretagne va dans ce sens.

Selon le dossier d’accusation, les militants bretons étaient surveillés depuis le mois de juillet 1999 : c’est un mensonge.

Pour accréditer cette thèse, l’avocat général a fait citer plusieurs responsables de la police. Selon eux, toujours d’après les surveillances effectuées sur les militants bretons antérieurement au vol d’explosifs, Denis Riou, Christian Georgeault et un troisième homme non identifié ( lui non plus) se seraient rencontrés dans un café de Carhaix, et cela à deux reprises le 19 et le 21 septembre. Une des dates avancées par la police est un dimanche, hors le bar en question est fermé tous les dimanches depuis fort longtemps. Il n’y a ni photos, ni pièces justificatives, aucun procès-verbal ni notes écrites sur la tenue de ces rendez-vous. Il faudrait sans doute croire les policiers sur parole ? Chaque fois, à condition que ces rencontres aient bien eu lieu, la troisième personne n’a jamais été identifiée. Sans aucun doute n’intéressait-elle pas les services de police ? Ce service pourtant réputé hautement qualifié dans les techniques de renseignements était venu spécialement de Paris au cas où son antenne locale ne soit pas assez compétente. Christian Georgeault est domicilié à Fougères, Denis Riou à Caudan, cela fait beaucoup de kilomètres pour se retrouver avec un monsieur X à Carhaix. D’après les déclarations des responsables de la police, ils sont tout les deux surveillés chacun de leur côté, les deux militants se retrouvent à Carhaix avec leurs anges gardiens respectifs. Cela fait beaucoup de policiers à Carhaix le 19 et le 21 septembre 1999 et aucun d’entre eux n’aurait pris de photos de ces rencontres : un comportement singulier pour des spécialistes du renseignement. L’accusation s’est servie de ce genre d’allégations pour étayer « son association de malfaiteurs dans le cadre d’une entreprise terroriste). Des rapports oraux des fonctionnaires de la direction générale des renseignements généraux à leurs collègues de la D N A T sans qu’aucun de ces deux services de police n’apporte de traces écrites de ce qu’ils avancent deviendraient-ils des preuves dans l’élaboration d’un dossier d’accusation ?

Autre élément de l’accusation des plus douteux apporté dans ce dossier. Denis Riou aurait rencontré " Argi " Perurena dans un restaurant situé près de Carhaix, au Moustoir. Denis Riou affirme y avoir déjà été, mais seul. Les enquêteurs sont passés dans ce restaurant après le vol d’explosifs de Plevin et ont recueilli les témoignages de la propriétaire et d’un employé de cet établissement. Ces témoignages semblent accabler Denis Riou . C’est pour cette raison qu’il a fait citer la restauratrice au procès. C’est à contre-cœur qu’elle se présente à l’audience, et pour cause ! Il semblerait que son témoignage accusateur lui ait été dicté par les policiers. A l’audience, dans un premier temps, elle ne veut pas répondre aux questions du président de la cour. Ensuite elle refuse de confirmer les déclarations faites aux policiers et dit ne reconnaître personne parmi les accusés.

Et le camion !

Toujours dans le dossier d’accusation, Denez Riou est censé avoir demandé à Alain Solé de louer un camion, et de l’apporter à Lorient, ce qui aurait été fait. Le camion n’aurait toutefois pas été utilisé dans le vol de Plévin . C’est ce qu’a dit Alain Solé aux enquêteurs, puis chez le magistrat instructeur sur les conseils de son avocat de l’époque, Maître Choucq. Cette version, qui met en cause Denis Riou fait de lui le complice du vol selon l’accusation. S’il fait louer un camion, c’est qu’il sait qu’une opération aura lieu. La déclaration d’Alain Solé pendant le procès du mois de juin change la donne. Il a bien loué ce camion, mais à la demande d’une autre personne, pas Riou, mais un ami de Rennes, à qui il l’a apporté. Il l’a récupéré le lendemain puisque le camion n’a pas servi et va aider Arno Vannier à déménager. A aucun moment, il ne serait allé lui-même à Lorient.

Une nouvelle fois, l’accusation a fait preuve d’une grande imagination. Dans son scénario, il fallait à tout prix mouiller Riou pour autre chose qu’un simple hébergement. C’est chose faite.

Ceux qui ont eu l’occasion d’être placé en garde à vue ou simplement entendu à l’occasion d’une affaire judiciaire ne me contrediront pas. Pendant leurs séjours dans les locaux de la police, ils auront tous eu droit à la séance des catalogues photos. Photo d’untel prise avec Y dans différents endroits en compagnie de diverses personnes qu’il doit reconnaître. Dans le dossier de Plevin, il n’y a qu’une seule série de photos. Toutes, six ou sept, sont prises le 23 septembre 1999 à Lorient à la même heure, 18 heures, et qui plus est toutes au même endroit, le Schamrock . Aucune photo n’a été prises avant à ce rendez-vous. Quand on sait que les renseignements généraux, d’ordinaire, immortalisent leur travail en prenant de nombreux clichés et en filmant les scènes de manifestations ou de rendez-vous suspects à leurs yeux, il y a de quoi se poser des questions sur l’authenticité de leurs affirmations.

Il n’y a pas de photos. Il n’y a aucune trace écrite, pas de rapports des filatures des renseignements généraux à propos des supposés rendez-vous d’avant le 23 septembre. Les seules pièces qui existent sont des procès-verbaux d’Officiers de Police Judiciaire de la Direction Nationale Anti Terroriste qui relatent les rapports oraux des responsables hiérarchiques des fonctionnaires des renseignements généraux ...

Au cours du procès devant la cour d’assises spéciale l’avocat d’un des accusés a demandé à plusieurs reprises les pièces qui pourraient légitimer les affirmations des policiers. A la barre, le policier témoin pour les renseignements généraux, Monsieur Fiamenghi, a affirmé que ces pièces n’existaient pas et qu’il n’y avait rien eu de manuscrit sur ces surveillances. Des fonctionnaires auraient surveillé ces militants bretons depuis plusieurs mois ! On voudrait pouvoir le croire ! Où sont donc les pièces justificatives qui deviendraient des preuves crédibles devant une cour d’assises ? Il est plus vraisemblable de croire que l’accusation, en l’occurrence la section antiterroriste du parquet de Paris, a construit un scénario à partir d’éléments recueillis depuis le 23 septembre à 18 heures. Elle y a inclus des éléments inventés pour aggraver l’implication de certains militants bretons dans cette affaire. L’occasion était trop belle pour ne pas en profiter !

M. Herjean, 20 septembre 2005

(1) Contrairement à ce qu’a pu dire la presse, au moment de son arrestation, Alain Solé n’a pas été poursuivi pour avoir hébergé des Basques, mais pour avoir loué un camion.

(2) La découverte si tardive de ce véhicule prouve que ce n’est pas une filature de ce véhicule qui a conduit la police à Idron. Rien aujourd’hui (enquête, procès) ne permet d’ailleurs d’affirmer que les militants basques jugés dans cette affaire étaient présents à Plévin le 28 septembre 1999.

(3) Témoignages des policiers
-Renseignements généraux :Monsieur Fiamenghi ;
 D N A T :Messieurs Le Boursicaud ,Pargade, Marion.