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Situation dans les zones sinistrées du Chiapas ( I et II )

Publie le jeudi 27 octobre 2005 par Open-Publishing

Au réseau européen de soutien aux zapatistes

Nous sommes six compañeros de différents collectifs européens qui visitons une zone affectée par l’ouragan "Stan" où se trouvent des bases d’appui
zapatistes, après une entrevue avec le Conseil de bon gouvernement de La Realidad.

Nous sommes allés à Belisario Domínguez, d’où nous nous sommes rendus à la communauté de Che Guevara qui appartient à la Commune rebelle autonome Tierra y Libertad. Celle-ci recouvre une trentaine d’hectares repris à un grand propriétaire terrien qui se les était appropriés, il y a dix ans de cela.

Les communautés de cette commune, réparties entre les secteurs Sierra [Montagne], Costa [Côte] et Fronteriza [Frontière ­ avec le Guatemala], sont rattachées au Caracol de La Realidad.

Nous y avons rencontré les 11 familles zapatistes qui y vivent, 48 personnes au total, réfugiées dans une seule maison. Il était très tard quand nous sommes arrivés, mais elles nous attendaient, réveillées. Le
lendemain matin, elles ont partagé avec nous le peu d’aliments qu’elles avaient ­ envoyés par le Conseil ­ et nous ont accompagnés pour aller voir leur communauté en ruine.

Nous nous sommes d’abord rendus sur une plage déserte, occupée auparavant par la maison et par les plantations du promoteur de santé qui y vivait :
il n’en reste pas une trace, absolument plus rien. Il y avait aussi un centre de santé qui dispensait des soins aux habitants des trois secteurs (quoique, nous a-t-on dit, chaque village a son promoteur de santé).

Un peu plus loin, nous avons découvert le centre de formation, entièrement dévasté. C’est là qu’étaient formés les promoteurs de santé et d’éducation
des trois secteurs. Il avait fallu un an d’efforts et d’organisation pour le monter et il ne fonctionnait que depuis trois mois. Le centre était aussi équipé de dortoirs, d’une cuisine et d’une salle de bains. De l’école autonome, on ne voit plus que le toit, le reste a été entièrement enseveli.

On nous a aussi montré la tombe d’une femme très âgée qui ne pouvait plus marcher et que les habitants n’ont pas pu évacuer à temps. La seule victime, pour l’instant. Un autre "compa", qui n’a pas voulu quitter les lieux, refusant d’abandonner son maïs et ses quelques biens, est à l’hôpital, grièvement blessé.

De retour à la maison où s’entassent ces onze familles, on nous raconte ce qui s’est passé : "Au bout de trois jours de pluies, l’eau a commencé à
frapper. Nous n’avons eu le temps de ne rien emporter, à part les vêtements que nous portions et nos enfants. Derrière nous, les maisons ont commencé à s’effondrer."

"Dans la communauté, à ce moment-là, il y a avait des promoteurs en formation, et, tous ensemble, plus de 60 personnes, nous avons dû grimper dans les collines, en pleine nuit. Derrière nous, on entendait le bruit que faisait la tôle des toits en étant emportée. Mais la colline elle-même a commencé à s’écrouler et nous avons dû nous enfoncer plus loin. Nous avons passé toute la nuit agrippés à des arbres, sous la pluie battante."

"Le matin suivant, nous avons envoyé deux commissions. L’une pour vérifier l’état dans lequel se trouvait la communauté, qui était entièrement
dévastée, et l’autre pour s’enfoncer plus loin dans la montagne pour chercher un endroit où nous pourrions rester. Un homme nous a ouvert sa maison et nous a offert des vêtements et de quoi manger."

Deux jours après, nous ont-ils raconté, ils sont retournés au village et se sont installés dans la paroisse, avec d’autres de Belisario Domínguez,
affectés eux aussi, qui s’étaient dit que "c’en est fini des zapatistes !". Ils ont eu des problèmes, parce que les priistes les ont accusés, leur
disant que c’était à cause de leur présence que les secours n’arrivaient pas. Alors, ils sont partis et se sont réfugiés chez le cousin de l’un d’eux, tandis que les promoteurs ont pu retourner dans leurs communautés.
C’est à ce moment-là qu’ils ont reçu les aides du Conseil de bon
gouvernement, les seules qu’ils aient reçues.

Ils ont déjà commencé à reconstruire. Le plus urgent est de bâtir des
logements provisoires et un petit pont en bois. Sur notre demande, les
habitants nous ont communiqué ce dont ils avaient un besoin urgent. Pour
le pont, il leur faudrait de gros câbles et des poulies. Des vivres :
haricot, farine de maïs, sucre, huile. Et puis aussi du chlore, du savon,
des produits pour rendre l’eau potable, des tuyaux de plastique, du
paracétamol (pour adultes et pour enfants), du naproxen, des thermomètres,
des antibiotiques, de l’aspirine... Le promoteur de santé nous a confié
qu’après la nuit passée dans la montagne ils ont la fièvre, la diarrhée,
la toux, la grippe... surtout les enfants.

La situation est d’autant plus grave qu’ils ont perdu leurs outils pour
cultiver, sans compter la déchiqueteuse, le séchoir et les citernes pour
le café, le sellier, les abeilles et d’autres animaux. Si rien n’est fait
rapidement, ce qui a pu être sauvé de leur récolte risque d’être perdu.

Au bout du compte, la situation est grave, et selon ce que nous ont dit
certains compas, dans les communautés où nous nous rendrons dans les jours
prochains la situation est pire encore. Malgré cela, nous avons été
surpris par la sérénité que dégagent les compas. Même si, comme ils nous
l’ont dit : "On va essayer de voir si on trouve un meilleur endroit plus
haut, mais... Où serons-nous en sécurité ? Il n’y a plus de sécurité. Nous
sommes réduits à zéro. Nous n’avons rien. Mais la vie continue, nous ne
pouvons pas faire autrement que lutter."

Signé : Des membres de quatre collectifs d’Europe.

Collectif de solidarité avec la rébellion zapatiste (Barcelone, Espagne),
Campagne "Une école pour le Chiapas" (Athènes, Grèce), CSPCL (Paris,
France) et "Terres à terres" (Le Havre, France).

Traduit par Angel Caído.


Situation dans les zones sinistrées du Chiapas (II)

Nous écrivons ce rapport de Huixtla, dans la zone côtière, une ville où
vivent des familles zapatistes de la Commune autonome rebelle Tierra y
Libertad, rattachée au Caracol de La Realidad. Nous y avons constaté
l’ampleur du désastre, nous avons appris l’histoire des tricicleros bases
d’appui zapatiste et été mis au courant de leurs besoins immédiats.

Le matin, nous entamons notre parcours à bord de trois triporteurs
zapatistes, dûment équipés de leur plaque et de leur permis concédés par
le Conseil de bon gouvernement. Nous sommes allés voir, une par une, les
ruines des douze maisons qu’ils ont perdues et dont certaines ont
complètement disparu, ne laissant aucune trace. Tous les habitants vivent
dans des colonias, des cités, très pauvres, qui ont été les plus affectés
par les pluies. Deux maisons ont disparu dans le quartier de San
Francisco, deux autres dans la Colonia Florida, une autre dans la Colonia
La Granja, six autres dans la Colonia El Paraíso et une dernière dans la
Colonia Progreso.

À chaque endroit, les compas nous expliquaient comment l’eau était arrivée
brusquement, avec une force terrible, emportant leur maison et tous leurs
biens. Nous avons rencontré une gigantesque ceiba centenaire (un fromager)
ravagée par la furie de la rivière, juste à côté de la maison d’une
compañera. "La rivière a tout balayé, nous n’avons même pas eu le temps
d’emporter le linge et les vêtements. Nous avons pensé que nous aurions le
temps, parce que la rivière se gonflait et qu’après le niveau rebaissait,
mais d’un seul coup nous avons été piégés et nous avons dû nous échapper
en nous encordant, on ne pouvait plus passer. Nous avons vu les maisons
s’effondrer pendant que nous nous échappions. Après, nous avons dû passer
deux jours dans la rue et dormir devant un hôtel, jusqu’à ce qu’un cousin
de mon mari nous héberge", raconte la compañera, mère de cinq enfants,
dont le plus âgé a douze ans.

Par la suite, on nous a expliqué que la rivière Huixtla, toute petite et
paisible avant, avait enflé et occupé dix fois son lit habituel, et
qu’elle s’était divisée en trois bras, emportant tout sur son passage. Le
cours de la rivière Cuil a dévié, elle a dévasté des colonies entières. Un
monstre fait d’eau, de boue, de débris de maisons, de troncs... a même
détruit les deux ponts de la commune, construits par l’État.

Six familles zapatistes ont trouvé leur maison inondée et, bien qu’ils
puissent la réoccuper, "l’eau a tout emporté", comme le raconte une
compañera de la Colonia El Progreso. Elle est restée chez elle, dans la
maison, avec ses affaires, après avoir fait sortir ses cinq enfants. On a
dû l’évacuer quand l’eau lui arrivait à la ceinture et qu’elle était prise
au piège.

Un autre compa, de la Colonia La Florida, nous dit : "J’ai seulement pu
sauver ma famille, c’est ce qui était le plus important. Nous avons vu les
maisons s’écrouler et la rivière charriait des cadavres, et même un chango
(un cochon) qui criait. Les hommes sont restés près des maisons, sur une
butte, pendant quatre jours, pour qu’on ne nous vole pas... mais de toute
façon on n’a rien pu sauver. Nous étions coupés de tout." Sa famille a
loué une maison, pendant qu’ils se construisent quelque chose, loin de la
rivière. Lui travaille avec son triporteur, qu’il a pu sauver parce qu’il
l’entreposait dans une autre partie de la ville.

Un autre témoignage nous apprenait ce qui s’est passé le mardi, le 4
octobre : "L’eau est arrivée à 3 heures du matin. Les autorités
(officielles) ne nous ont pas prévenus jusqu’à ce qu’il soit trop tard et
que la catastrophe se produise. Nous avons pu nous échapper en nous
attachant avec des cordes. Nous avons dû percer une brèche dans le
grillage de la clôture parce que par la rue c’était impossible. Nous
n’avons pu emporter que quelques vêtements et des documents. Nous aurions
eu besoin d’un véhicule pour sortir les meubles et les appareils
électroménagers, mais personne n’en avait, et ceux qui passaient allaient
porter secours à leurs parents et à leurs amis plus loin."

On nous explique que certains compas qui ont été isolés, coupés de tout
pendant six jours, avaient pu passer la nuit avec d’autres victimes de la
catastrophe, mais qu’aucun d’entre eux n’a reçu de l’aide, juste des
galettes et des biscuits. Et puis... "L’aide a ses préférences, ses
amitiés privilégiées... Les riches aussi ont été touchés, mais ce sont eux
qui ont reçu le plus d’aide."

Un compa âgé nous raconte qu’il a perdu connaissance parce que l’eau l’a
heurté en plein et que son gendre l’a sauvé en le tirant à lui à travers
la cour de la maison. Ils ont tout perdu... "Nous n’avons pas eu droit à
la distribution de vivres comme les autres. Heureusement qu’il y a les
amis, ce sont eux qui nous ont donné de quoi manger. À part ça, nous
n’avons rien reçu sauf ce que nous a envoyé le Conseil [de bon
gouvernement]."

Une image émouvante nous a accompagnés toute la journée d’aujourd’hui.
Celle d’un vieil homme aveugle, accompagnée de son petit-fils, qui vivait
à El Paraiso, une colonia qui gît maintenant sous les eaux et sous la
boue. Il est l’un des plus anciens membres de l’organisation zapatiste
dans cette zone.

Plus tard, nous sommes arrivés à l’endroit où sont relogées provisoirement
quelques-unes des familles zapatistes affectées. Il n’y a qu’un toit de
tôle qu’elles ont acheté avec le soutien du Conseil de La Realidad et une
petite maison appartenant à l’une des compañeras. Sur place, les habitants
nous ont expliqué leur histoire...

La plupart travaillent avec des triporteurs qui ont même une plaque et les
permis concédés par le Conseil de bon gouvernement, comme nous l’avons
déjà dit. C’est pour eux une façon de développer leur autonomie dans un
contexte urbain. Ils gagnent aussi leur vie avec de petits commerces et en
pratiquant la vente ambulante.

Les tricicleros zapatistes nous expliquent que l’année dernière
l’administration municipale et la police de la route leur avaient
confisqué plusieurs triporteurs, qu’ils ont pu récupérer après sept mois
de lutte. Pendant tout ce temps, ils ont vu diminuer leurs revenus, bien
qu’ils se soient prêté les triporteurs les uns aux autres. "Nous avons eu
nos premiers triporteurs en 1983 (avant de devenir zapatistes), en
chargeant les bagages à la gare d’autobus, et maintenant ils veulent nous
faire payer." Le certificat du Conseil de bon gouvernement dit
littéralement, comme nous avons pu nous en rendre compte, qu’ils sont
exemptés de tout impôt par le Conseil, en leur qualité de base d’appui de
l’EZLN et parce qu’ils sont en résistance.

La terrible force des eaux a emporté deux triporteurs. Cinq autres sont
doublement à l’amende : ils sont confisqués et bouclés dans les
installations du gouvernement mais, en plus, maintenant ils sont
ensevelis.

Ils nous racontent eux aussi qu’ils ne possèdent pas de terres, que ce
sont les riches qui les ont et que beaucoup de ces terres sont en friche
et ne servent à rien.

Évoquant les besoins les plus urgents, ils nous expliquent que certaines
familles pourront réintégrer leurs maisons une fois déblayé toute la boue
et la terre, mais qu’en attendant ils auraient besoin d’aliments de base
(haricot, farine de maïs, sucre et huile...), d’outils et de casseroles
pour faire la cuisine, de tuyaux en plastique, de récipients pour
conserver l’eau, etc.

Les douze familles qui ont perdu leur maison ont aussi besoin de tôle pour
les toits, de matériaux de construction, d’outils pour travailler le bois,
etc.

Une des priorités pour qu’ils puissent reconstruire eux-mêmes leurs
maisons, c’est de respecter leur moyen de subsistance et de leur rendre
leurs triporteurs.

En dépit de tout ce qui est arrivé, le sentiment de camaraderie, le
courage et la bonne volonté qui caractérisent ces compas se voient
renforcer dans ces circonstances dramatiques. C’est ainsi qu’ils ont
terminé leur récit par un salut fraternel aux compas des autres zones
zapatistes et à leurs frères des autres pays. "Nous sommes toujours là et
nous vous saluons à tous. Vous êtes les bienvenus, si vous voulez nous
rencontrer vous nous trouverez ici."

Signé : Des membres de quatre collectifs d’Europe :

Collectif de solidarité avec la rébellion zapatiste (Barcelone), Campagne
"Une école pour le Chiapas" (Athènes), CSPCL (Paris) et "Terres à terres"
(Le Havre).

Ce texte est le deuxième rapport que nous avons envoyé. Le "lien" suivant
vous permettra de voir quelques photos que nous avons mises en ligne.
Salut.

http://www.fzln.org.mx/index.php?mo...