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Les survivants de Balakot

Publie le dimanche 30 octobre 2005 par Open-Publishing
6 commentaires

de MARINA FORTI envoyee speciale a Balakot (Pakistan) Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

Une longue file de véhicules attend, patiemment, que le bulldozer de l’armée dégage les décombres de la route obstruée par une coulée de terre. Voitures privées, fourgons, passagers entassés dans les taxis
collectifs, camions avec des enseignes bariolées bondés de gens et de denrées, tracteurs aux remorques pleines à ras bord de ballots et de rouleaux de couvertures. Quelques fois les véhicules portent des
banderoles, faites avec des draps : associations d’étudiants, groupes de volontaires venus du Pakistan pour apporter de l’aide aux zones sinistrées et peut-être aussi pour se rendre compte de ce qui est
arrivé. Signe de la mobilisation spontanée qui a suivi le tremblement de terre du 8 octobre, qui a fait au moins 51 mille morts, laissant le pays sous le choc.

Finalement la colonne se remet en marche, en
zigzag entre les blocs de pierre et les décombres : nous entrons dans
la vallée de Kaghan, Nord Pakistan, autrefois réputée pour ses bois et
ses villages alpins. Aujourd’hui, un panorama de ruines et de tentes.
Toiles de fortune à côté des ruines de maisons de campagne, groupes de
tentes multicolores entre les maisons démolies. La route longe le
campement de l’armée des Emirats arabes et du Croissant rouge, tracé
au cordeau, tentes de couleur sable. Puis un groupe de jamborees avec
la banderole du Ummah Welfare Trust (Ummah est la « communauté des
croyants » dans la langue de l’islam). D’autres tentes, sur les rives
du fleuve (et s’il y a une crue ?). Une bosse encore, et voila
Balakot. Ou plutôt, ce qu’il en reste.

Un « hub » au milieu des ruines

Balakot avait 40 mille habitants. C’était un grand centre agricole et
commercial à l’embouchure de la vallée, une vieille ville et des
constructions neuves sur les deux rives du fleuve Kunhar, des maisons
de plusieurs étages et un grand bazar (marché). Aujourd’hui la ville
est recroquevillée, en miettes, écrasée au sol, tâche grise de
détritus. Les trois quarts de la population sont restés sous les
décombres, et de nombreux corps y sont toujours. Les immeubles de
plusieurs étages, témoignages de la relative prospérité du bazar,
n’existent plus. Le point culminant de la ville aujourd’hui est un
grand pylône avec les antennes du réseau Gsm, la première chose qui a
été rétablie par l’armée : au moins, les communications avec les
téléphones portables sont garanties.

Pas grand-chose de plus n’est garanti. Parce qu’il n’y a pas que les
maisons qui se sont écroulées : toute l’administration communale a
disparu, et les écoles, aussi, avec des centaines d’écoliers et
presque tous les enseignants, l’hôpital qui recevait la vallée entière
et une grande partie des médecins qui y travaillaient ; autre façon
pour la ville de ne plus exister. Le pont principal sur le Kunhar
s’est écroulé, seuls les véhicules 4x4 arrivent à passer à gué. Il
reste un pont de bois suspendu à des câbles, près de l’endroit utilisé
maintenant par l’armée comme héliport.

Mais la route, au moins , arrive ici : quatre heures de voiture de la
capitale Islamabad, la première sur la Karakorum Highway, puis à l’est
vers le Kashmir. La route s’arrête quand même un peu en amont de
Balakot, encombrée, un peu par les éboulements, beaucoup par les
glissements de terrain : même les jeeps n’y arrivent pas, les villages
en amont ne se rejoignent qu’à pied, ou par mulets, ou par les
hélicoptères qui ont apporté quelques aides et continuent à ramener
des blessés graves dans la vallée. Maintenant sur les cartes des
opérateurs humanitaires, Balakot, avec son héliport, est un des
« hub » des opérations d’assistance : l’autre est Muzzafarabad,
chef-lieu du Kashmir pakistanais, à une trentaine de kilomètres et
deux heures de route.

Le vrai problème c’est les tentes, explique le lieutenant colonel
Saeed Iqbal, l’officier responsable de la coordination des aides dans
cette zone (toute la vallée du Kaghan, 78 villages « tous reliés déjà
par nos hélicoptères ») : je le rencontre dans le carré de tentes
militaires où l’armée dispatche les aides, à côté du plus grand
campement du fond de vallée. « C’est la priorité numéro un. La
nourriture ne manque pas, les familles avaient des réserves pour
l’hiver et puis les denrées sont arrivées en abondance. Mais les
tentes, oui, manquent. Et l’hiver arrive, il est urgent de faire des
abris pour les survivants. ». Dès que le soleil se couche il fait
froid, en hauteur les premières bruines de neige sont arrivées. Les
tentes : jusqu’à dimanche on en a distribué 90 mille, selon le
situation repport des Nations Unies (en partie par l’armée
pakistanaise, les autres par des agences de l’ONU et des ONG
internationales). 200 000 autres doivent arriver dans les prochaines
semaines, la moitié seulement de ce qui serait nécessaire.

Dans le fond de la vallée de Balakot, le lieutenant colonel Iqbal
montre une longue file d’hommes qui attendent : c’est la distribution
des tentes par l’armée, une par chef de famille. « Ils sont descendus
des villages : ils prennent la tente et remontent. Ils veulent tous
rester sur leur terre, à côté de chez eux et du bétail. », explique le
militaire. Ils retournent en montagne avec ces tentes légères, comme
celles que je vois éparpiller dans Balakot, par grappes : peu
imperméables, pas du tout isolantes : et le soleil de ces jours ci
n’est qu’une parenthèse, la pluie et la neige sont imminentes. Une
autre denrée se raréfie désormais, dit le coordonnateur de l’ONU pour
les secours au Pakistan, Jan Van de Moortele : le temps, « l’hiver est
contre nous » et s’il n’arrive pas plus de tentes et d’hélicoptères,
la population survivante risque l’hécatombe.

A Hassa, un village sur la pente qui domine Balakot, je trouve un des
rares campements organisés de la zone. « C’est comme un petit mohalla,
un quartier » dit Hussein Syed, opérateur d’Intersos - l’ONG italienne
qui a organisé le camp avec Iscos (l’ONG pour la coopération
internationale de la CISL). Il accueille environ 500 personnes : monté
avec 50 tentes transportées en urgence par le ministère des affaires
étrangères (de fait elles portent le logo de la Coopération
italienne), quelques milliers de couvertures, des kits de cuisine, des
réservoirs. Ils ont installé les tentes dans les champs de maïs, bien
plats, à la limite des maisons, il a suffi de les débarrasser des
chaumes. Les opérateurs sont arrivés en toute urgence de Pehswar et
Kaboul, où Intersos travaille déjà depuis plusieurs années (avec les
réfugiés afghans). Le campement porte le nom de Alberto Buonanno, le
fonctionnaire de l’ambassade italienne, mort dans l’écroulement de
l’immeuble où il habitait à Islamabad.

L’essentiel y est, maintenant : les tentes (hivernales, avec espaces
isolants, tapis de sol et toit imperméables), l’eau (elle arrive de la
montagne par canalisation, mais sera renforcée). Reste à construire
des latrines, l’électricité manque encore - comme dans tout Balakot du
reste : l’administration de l’électricité pakistanaise n’est pas
encore arrivée à rétablir les listes des branchements. Réunies à
l’écart, les femmes font une liste des nécessités les plus urgentes à
deux opératrices d’Iscos : des serviettes hygiéniques, des couches
pour les enfants, du linge, mais un endroit à l’abri pour pouvoir se
laver. La vie en commun dans un mohalla de tentes n’est pas facile... Il
faut impliquer la population dans les activités communes, dit Hussein
Syed, qui a un petit accent génois après plusieurs années passées en
Italie. Avant tout, organiser l’école : « Il faudrait une de ces
grosses tentes que l’armée utilise pour le mess, il y a un espace bien
adapté devant la mosquée écroulée. Les enseignants d’ici pourront s’en
occuper, ils n’ont plus de travail ». Les maisons alentour étaient en
maçonnerie, avec de lourds toits de ciment armé qui sont maintenant
écrasés sur sol. « Chaque famille ici avait au moins une personne
émigrée aux Etats-Unis ou en Allemagne, ils vivaient bien ». Le
tremblement de terre a ramené tout le monde au même niveau. « A
l’hôpital, ou dans ces tentes au milieu de la boue, j’ai vu des gens
qui avaient des magasins et des affaires qui valaient des millions et
qui sont là comme les journaliers » explique Adil Nawaz, qui travaille
avec Iscos : « Toute leur richesse était dans la propriété, le
magasin, le commerce. Et ce sera difficile de reconstruire tout ça
parce qu’il n’y plus tout ce qui gravitait autour de la cité. Et puis
les familles ici sont décimées ». Beaucoup émigreront, au moins
pendant quelques temps, peut-être pour toujours.

« Je rêve du tremblement de terre »

Dans le fond de vallée, à côté du campement de l’armée pakistanaise,
une grosse tente jaune pointe au milieu d’un groupe de tentes données
par la Chine populaire et par l’Iran. C’est l’hôpital, unique
remplaçant de celui qui s’est écroulé. Il est géré par la Pakistan
Islamic Medical Association : 50 lits, une « salle » d’urgence (c’est
une aile de la tente, ouverte, lits sous le regard de tout le monde)
et des médecins, pouvant faire jusqu’à trente interventions
chirurgicales environ par jour. Des dizaines de patients en attente
pour les visites. Une cinquantaine de médecins et personnel sanitaire,
tous volontaires qui ont pris des congés ou une disponibilité, ils
viennent de tout le Pakistan et même d’Angleterre. Le plus gros
travail incombe aux orthopédistes, explique le docteur Imtiaz, de
Lahore, tout juste arrivé pour remplacer un collègue : malheureusement
il n’y en a pas assez. Ici aussi le temps presse : de nombreux
médecins volontaires ont déjà vu des blessures légères, soignées à la
hâte et laissées pourrir sous une tente, se transformer en infections
graves.

« La population chez nous est très choquée que l’armée soit arrivée si
tard » dit Adi Nawaz : trois jours après le tremblement de terre. Adil
était à Islamabad le matin du séisme. « Si seulement les équipes de
secours étaient arrivées plus tôt », répète-t-il. Lui, comme beaucoup
d’autres, il était arrivé le soir même, à pied, en escaladant les
éboulements, et dès le matin il a commencé à creuser dans les
décombres, chez lui. « Nous avons dû nous débrouiller seuls » : avec
l’aide de ses cousins il a retiré les corps de ses parents, de ses
soeurs, de ses frères et de leurs conjoints : 12 personnes. Personne
n’arrive à se mettre l’âme en paix, dit-il, en pensant à toutes ces
vies qui pouvaient être sauvées. Il a un ton détaché : « Et puis il y
a l’impact psychologique. Je me réveille souvent la nuit parce que
j’entends le tremblement de terre : après, je vois que tout est
immobile, en fait. J’ai entendu d’autres personnes dire la même chose.
C’est en train de devenir notre obsession commune ».

http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...

Messages

  • Devant un tel désastre, que fait la communauté internationale ? Que fait la France ?

    La croix rouge hésite à débloquer l’argent "bloqué" pour le tsunami (et placé)

    Il n’y a pas de touriste, il n’y a pas de pétrole ?

    Est-une raison pour abandonner ces malheureux ?

    Je demeure à Cannes. Que faire sur place qui leur parvienne ?

    Habituellement je passe par le Secours Populaire, mais je ne crois pas qu’ils aient d’antenne là-bas.

    Avec toute ma compassion

    Michèle DRAYE

  • Un ami m’a fait remarquer que les survivants sont en majorité des musulmans et que c’est pour cette raison que l’Occident reste indifférent à leur sort.

  • Je pense que ces personnes ne sont pas "Mediatiques" moins interessantes en ce moment que le prix de l’essence ou des transactions boursières. Pas une endroit touristique !!!
    Nous avons été "bassiné" pendant des semaines pour le tsunami (bien entendu là aussi il fallait aidé et faire un maximum pour ces personnes ) mais le eux n’habitent pas un endroit touristique !!! Ca ne fait pas partie de la terre ? que font les " Humanitaires " et les Journalistes ? Ce ne sont pas des humains qui sont là bas et qui souffrent !!!
    Après avoir lu cet article, j’ai honte pour moi, pour nous !!!
    Chataigne-631

    • Il est vrai que les Pakistanais ne sont pas très médiatiques, il est vrai que le pays n’est pas très touristique (sauf pour les alpinistes et les trekkers), il est vrai que les plages n’y sont pas aussi accueillantes qu’en Thaïlande.

      Mais il n’existe pas de complot occidental qui viserait à punir ces infâmes musulmans en leur refusant de l’aide. Les informations, quoique imparfaites, nous arrivent (et comment seriez-vous informés sans cela ?), l’aide humanitaire s’est mobilisée. Alors certes, pas aussi spectaculairement que pour le tsunami, mais il faut aussi ajouter que dans ce dernier cas, on en a fait trop, tant sur le plan médiatique que sur le plan de la mobilisation.

      Lors de l’annonce du séisme, j’ai tout de suite pensé que les premiers bilans qu’on nous donnait n’étaient pas sérieux (on parlait alors de quelques centaines de victimes). Je connais très bien cette région pour y avoir vécu deux ans et je sais trop combien les conditions de terrain y sont difficiles, même en temps normal. Je n’ai aucune peine à imaginer les difficultés insurmontables auxquelles sont confrontés les secours, et ce n’est pas le déversement de millions de dollars qui apporteront la solution miracle.

      Je me sens plus concerné par ce drame que beaucoup de mes concitoyens, pour tout un ensemble de raisons, mais j’ai du mal à accepter qu’on l’instrumentalise pour faire passer des critiques à deux balles sur une prétendue indifférence de l’occident, en ayant recours à des comparaisons dénuées de sens. ça ne permettra pas une meilleure mobilisation ici et ça n’aidera pas plus les Pakistanais là bas.

      Theoven