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Les esclaves ont repris le pouvoir

Publie le mardi 1er juillet 2003 par Open-Publishing
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« Les esclaves ont repris le pouvoir »
La lutte des Mac Do de Strasbouirg-Saint-Denis

Par Tikay - Zamia

Le 15 fevrier 2002, les salariés du restaurant McDonald’s [1] de
Strasbourg-Saint-Denis, à Paris, en grève depuis le 24 octobre 2001
(soit 115 jours), avaient remporté une victoire totale après la plus
longue grève jamais engagée chez McDonald’s et dans le secteur de la
restauration rapide. McDo, avait cédé sur l’ensemble des revendications
des grévistes, à savoir : départ du franchisé, réintégration des cinq
licenciés, paiement des jours de grève à hauteur de 45 %, promesse par
voie de protocole de ne pas exercer de représailles pour faits de grève ?.

Grâce a leur unité et à leur détermination dans la lutte, et avec l’aide
de leur comité de soutien, ils ont su faire plier leur gérant et
McDonald’s qui n’avaient pas lésiné sur les méthodes crapuleuses
(tentative de commencer un chantier en pleine grève, huissiers en
permanence, vigiles provocateurs, communiqués de presse mensongers,
propositions de dessous de tables ?).

Il ne faisait aucun doute que ce conflit, de par ses formes d’action
(manifestation, blocages d’autres McDo se mettant eux mêmes en grève,
occupations ?) et sa conclusion victorieuse, aurait des répercussions
dans le monde du travail, en particulier dans tous les secteurs où le
travail précaire et la répression anti-syndicale s’imposent comme norme
sociale.

Le conflit est né sur un sentiment très fort d’injustice suite à des
licenciements arbitraires : quatre salariés de l’équipe encadrante qui
avaient débrayés une demi journée tombaient sous le coup d’une procédure
de licenciement se voyant accusés du vol d’un million de francs. La
plupart des salariés s’étaient alors mis en grève par solidarité. Ce
conflit est revenu sur un certain nombre d’idées préconçues. Non les
jeunes ne refusent pas de s’organiser, non ils ne craquent pas aussi
facilement malgré les pressions, comme le disait un des grévistes : « la
dignité n’a pas de prix », et non ils ne sont pas aussi individualistes
qu’on aurait pu le croire.

A partir de cet acte de solidarité d’une trentaine de salariés et à
partir de cette volonté de prouver leur innocence, la rencontre avec des
salariés d’autres secteurs précaires et avec des militants chevronnés
avait permis non sans mal de résister à la stratégie de pourrissement de
la direction. Les structures syndicales ou politiques ont été réticentes
à prendre le train de cette aventure, pour de multiples raisons : peu de
cotisants potentiels et des salariés peu « stables », l’accusation
d’être des voleurs que la direction leur avait collée (le pénal sur
l’accusation de vol suit toujours son cours), des énergies difficiles à
canaliser dans des modes d’actions peu orthodoxes ?.

Pendant un an l’équipe du Mac Do est restée la même avec un nouveau
franchisé, à ceci près que les départs qui se sont effectués pendant ce
laps de temps ne furent pas remplacés, les salariés sont donc passés
d’une cinquantaine à 28 avec la même charge de travail ! ! !. Personne
ne comprenait la stratégie du franchisé et de Mac Do France (vol de
marchandise par les sbires du franchisé, société de vigiles payée
jusqu’à quatre fois son prix normal, non réparation des machines en
panne ?), tout a été fait pour couler la boîte ou dégoûter les salariés
afin qu’ils démissionnent d’eux mêmes. L’élément déclencheur de la
nouvelle grève de cette année a été la procédure de licenciement à
l’encontre du sous-directeur (un avis négatif de l’inspection du travail
a été rendu fin mai 2003) qui avait apporté son témoignage de soutien
lors du premier conflit.

Mais la colère était déjà présente et ne cessait de croître car les
salaires étaient régulièrement payés en retard (jusqu’à 15 jours), ils
n’étaient jamais complet voire divisés par deux - les salariés faisant
énormément d’heures supplémentaires pour combler le manque de personnel,
ils ont mêmes été accusés d’en faire volontairement ?

Le 11 mars 2003, toute l’équipe se remit en grève en occupant
immédiatement, jour et nuit, le Mac Do. Les camarades du collectif de
solidarité qui avait suivi et soutenu pour certains en 2002, les
salariés de l’entreprise de nettoyage Arcade (groupe Accor) et qui pour
d’autres s’étaient remobilisés peu de temps auparavant pour soutenir une
grève d’un Pizza Hut sur les grands boulevards à proximité du Mac Do, se
sont reconstitués en comité de soutien.

Il ne fait aucun doute que cette grève a été préparée (prévue) par Mcdo
France (le franchisé n’est que l’homme de main) pour pousser à bout ces
réfractaires et terminer définitivement ce conflit social sans précédent
par un échec pour les salariés.

Et il est vrai qu’au bout de trois mois de grève avec occupation, le
conflit est lourd à supporter : il est plus difficile d’élargir les
soutiens étant donné qu’il n’y a plus l’effet novateur d’une première
longue grève chez Mac Do, on n’est plus en campagne électorale, il faut
trouver pas mal d’argent pour pouvoir durer (beaucoup de collectes de
solidarité ont été organisées le long des manifs parisiennes), c’est la
deuxième grève toujours sur le même Mac Do (la direction joue le
pourrissement en les isolant et en déclarant que se sont toujours les
mêmes « excités » , des « voyous » « des délinquant du travail », « 
qu’il n’y rien à en tirer » ?). Les salariés sont eux toujours aussi
actifs dans des blocages de Mac Do, dans le soutien à apporter à
d’autres salariés souhaitant se mettre en grève (Mac do de la porte
saint Cloud ou de Boulogne) ou déjà en conflit (cuistots des pub de la
chaîne Frog, salariés en grève de Pizza Hut de Bonne-Nouvelle qu’ils ont
soutenus activement avant d’être eux-mêmes en grève) ou dans d’autres
actions comme les deux nuits de blocage des camions de livraisons pour
les Mac do à LR Services ou l’occupation d’un des centres de recrutement
de Macdo.

Les soutiens continuent de développer à leur échelle la solidarité en
confectionnant des tee-shirts, des autocollants, tout ce qui peut
s’attaquer à l’image Mac do, en organisant aussi des concerts de soutien
ou autres manifestations. La CGT est plus investie dans la lutte cette
année grâce notamment à des volontés individuelles passant outre les
lourdeurs bureaucratiques et l’encroûtement des permanents, mais il
subsiste souvent des conflits entre la radicalité des grévistes et les
stratégies du syndicat.

Aujourd’hui un salarié est inculpé de « rebellion et outrage » envers
les forces de l’ordre suite à une action de solidarité organisée le 30
mai auprès des salariés du Mac Do de Marcel Sembat (Boulogne) il devrait
passer en procès le 02 juillet 2003.
Le combat continue

Apportons quelques éléments pour essayer d’aller un peu plus loin sur
les raisons de cette résistance ?

On constate que les conditions de travail sont les mêmes dans tous les
restaurants et les griefs sont les mêmes partout de la part des salariés
 ? il y a toutefois une différence entre les restaurants appartenant « 
directement » à Macdo France et ceux appartenant à des franchisés dans
lesquels la pression sur les salariés est accrue, ce système tendant
d’ailleurs à se généraliser - mais les grèves se déclenchent souvent
avec l’arrivée d’une nouvelle direction vis à vis de laquelle il n’y a
pas encore de relations sociales (chez Macdo on est tous copains, on
tutoie son patron, les conflits sont donc plus difficiles à assumer), en
plus la plupart des parachutages de franchisés ou directeurs sont fait
pour « nettoyer » l’équipe en place. La raison est que lorsque le
turn-over ne se fait pas naturellement, on utilise les grands moyens
pour dégoûter les salariés jusqu’au licenciement.

Le turn-over est une nécessité pour des groupes comme Mac Do, il permet
notamment comme le soulignait un gréviste d’effacer toute « mémoire
sociale » comme le souvenir des luttes par exemple et toute
appropriation ou attachement à un restaurant. L’embauche des étudiants ,
comme dirait l’un d’eux « je suis exploité mais je fais juste ça
quelques mois, je suis étudiant, mon avenir n’est pas à ici » est le
rêve pour Macdo, elle permet d’avoir une main d’oeuvre qui ne
s’identifie pas comme un salarié de cette entreprise, son identité
n’étant pas travailleur mais étudiant (Pas de lutte de classes sans
conscience de classe ! !). Mac Do cherche aussi à embaucher des frères,
soeurs, cousins, amis renforçant un système d’auto-soumisssion et
d’auto-contrôle se retournant parfois contre lui en cas de conflit où la
direction se trouve face à une équipe soudée.

Mais il faut noter également que beaucoup d’étudiants voir lycéens
abandonnent leurs études du fait de la difficulté de concilier les deux
fonctions en grimpant parfois dans la hiérarchie Mac do pour se
retrouver quelquefois jusqu’au siège social (rarement les personnes
d’origines étrangères). C’est pourquoi les salariés qui ont déclenché et
porté cette grève sont quasi tous des salariés de l’équipe encadrante
(des temps pleins, parfois 13 ans d’ancienneté, et donc une équipe très
soudée), et pour les équipiers le pas à franchir était donc plus facile.
Ce sont donc quelque part les moins précaires dans ce système qui
organise la précarité, qui se sont bougés.

C’est par ailleurs une population issue de l’immigration et des
quartiers populaires dans lesquels une certaine culture de
l’insoumission à certaine forme d’autorité se développe.

Jeunesse urbaine stigmatisée par le discours de l’Etat, (la direction
rappelle régulièrement que les grévistes sont des « délinquants », des
sauvageons), cette lutte nous rappelle que ce sont avant tout des
prolétaires, ils ne s’identifient d’ailleurs pas à l’image médiatique de
« jeunes de banlieue » et qui dans le travail se retrouvent souvent dans
des secteur type MacDonald’s. Dans cette grève, c’est donc une
résistance face aux formes moderne d’exploitation, et aussi une
expression politique de jeunes qui n’ont généralement pas la parole.

Dans ce conflit sur leur lieu de travail et face à une autorité, le
rapport aux syndicats et aux organisations politiques est lui aussi
atypique. Ne pouvant pas rester isolé, le mouvement ne faisant pas non
plus tâche d’huile chez les employées de Macdo, les grévistes ont su
utiliser les syndicats, comme forme incontournable de protection et de
négociation (tant que le rapport de force n’en est pas à pendre les
patrons par les pieds), ainsi que le rapport avec les militants
solidaires (passant par exemple au travers du comité de soutien) avec
lesquels a pu se créer un lien de solidarité mais où aucune chapelle
politique n’a pu manipuler les grévistes.

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