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M. Seillière,Un vent de réforme souffle,mais pas assez fort

Publie le mercredi 2 juillet 2003 par Open-Publishing

M. Seillière : "Un vent de réforme souffle, mais pas assez fort"

Satisfait du projet sur les retraites, le président du Medef estime, dans un entretien au Monde, que la France est devenue un pays "réformable" où "le gouvernement, l’administration et une partie de l’opinion s’enhardissent". Mais selon lui, M. Raffarin aurait dû aller "plus vite".

L’Assemblée nationale achève l’examen du projet de loi sur les retraites. Que pensez-vous de la méthode employée par le gouvernement ?
La nécessité de réformer les grands systèmes sociaux, le premier d’entre eux étant la retraite, s’est imposée. Le gouvernement a donc avancé, selon sa méthode. Il a cerné les contours de sa réforme au terme d’une période qu’il a voulue longue (concertation, consultation, négociation), ce qui a déclenché des réactions sociales fortes. Il a tenu tranquillement sa position, jusqu’à ce que la réaction s’apaise et que le Parlement donne au projet sa forme législative. Pour la première fois depuis des décennies, la volonté de réforme d’un gouvernement l’emporte sur la somme des réactions négatives, corporatistes, extrémistes, de refus et de blocage. Dans l’histoire économique et sociale de notre pays, c’est une page qui se tourne. Nos idées, lancées avec la refondation sociale en 2000, ont porté.

Vous jugiez la société française difficile à réformer. Elle l’est donc aujourd’hui...
Ce qui s’est passé sur les retraites montre que l’opinion est prête, aujourd’hui, à des évolutions. Oui, nous sommes dans un pays réformable, qui reconnaît que l’organisation sociale "modèle 1945" doit évoluer.

La méthode du gouvernement peut-elle s’appliquer à d’autres dossiers ?
A la faveur de cette première réforme, le gouvernement, l’administration et une partie de l’opinion s’enhardissent. A l’opposé, la méthode du blocage assortie de grèves et de manifestations se dévalorise. Ce mouvement prend place dans un contexte européen : réforme de la politique agricole commune, réforme des institutions, réforme en Allemagne. Et l’accord modifiant le régime des intermittents du spectacle, signé avec la CFDT, la CFTC, et la CFE-CGC, montre qu’un vent de réforme souffle, même s’il n’est pas encore assez fort.

Pourtant, le gouvernement ne semble pas vouloir choisir entre ceux qui "s’enhardissent" et ceux qui "bloquent". M. Raffarin souhaite même "l’apaisement social"...
Le gouvernement a sa méthode, son style, son calendrier. A l’évidence, il a choisi la voie de la réforme, alors que le gouvernement de Lionel Jospin s’y opposait, même si le Medef regrette qu’il ne se soit pas engagé plus tôt et qu’il n’y soit pas allé plus fort et plus vite.

Le plan Fillon n’est financé que pour un tiers à l’horizon 2020. Faudra-t-il augmenter les cotisations retraite ou allonger encore leur durée ?
La réforme ne traite qu’une partie du problème. En 2008, nous retrouverons les syndicats, le gouvernement et l’opinion pour décider de la suite. Le gouvernement fait confiance à la croissance et à la démographie française pour alléger la charge des indemnités chômage et faciliter ainsi le financement des retraites. Nous jugeons cette perspective aléatoire.

Dans quel état d’esprit abordez-vous les négociations sur l’emploi des seniors, la pénibilité du travail et la formation ?
Nous avons proposé, avec quatre syndicats sur cinq, une réforme profonde des voies et des moyens de la négociation sociale, qui prévoit un encouragement fort à la négociation sociale dans l’entreprise, quelle que soit sa taille. Nous souhaitons qu’elle se déroule aussi bien avec des délégués du personnel que des mandatés syndicaux, et que celle-ci puisse être dérogatoire à l’accord de branche ou interprofessionnel. A condition qu’elle corresponde à une volonté majoritaire dans l’entreprise et qu’elle n’aille pas contre la loi.

Le Medef est-il prêt à faire des concessions aux syndicats sur la formation professionnelle ?
Il y a, en France, un déficit de formation. Elle est surtout développée dans les grandes sociétés et bénéficie aux salariés qualifiés. On doit installer l’obligation de formation dans toutes les entreprises. Elle est aussi nécessaire que l’investissement pour assurer la productivité. Nous devons donc développer un droit individuel à la formation offrant un certain nombre d’heures à chaque salarié. Pour que ce droit concerne l’ensemble des entreprises, il faut inciter les salariés à le mettre en œuvre en dehors du temps de travail déjà limité par les 35 heures. C’est ainsi que l’on généralisera la formation.

Ne faut-il pas réformer d’urgence l’assurance-maladie ?
Si, mais le système de santé n’est pas de la responsabilité des entrepreneurs. C’est un problème national. Son financement est assis sur des cotisations, mais aussi sur une contribution fiscale. Le Medef prendra la part que la révision des relations entre l’Etat et les caisses définira, mais quand il connaîtra clairement les axes d’une réforme conduisant à un système efficace et compatible avec les équilibres financiers.

Faut-il légiférer sur le service minimum ?
Le modèle "grève des services publics, blocage de la vie économique" empêche la France de construire sa croissance. Réglementer le droit de grève dans le service public est aujourd’hui souhaité par une partie croissante de la population. Le droit de grève est fondamental, mais il est réglementé dans tous les pays du monde. La continuité du service public est une question d’intérêt général sur laquelle doit se concentrer la volonté du législateur et des partenaires sociaux.

Après la réforme des retraites, quels enseignements tirez-vous sur l’évolution des syndicats ?
Nous avons un syndicalisme réformateur sur le modèle européen, qui accepte d’entrer en négociation, analyse et reconnaît la situation, identifie le domaine du possible et contribue à la réforme. Dans un paysage syndical français en forte évolution, trois organisations sont sur cette ligne : la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC. Force ouvrière, dont c’est pourtant l’histoire, en est pour l’heure absente. Quant à la CGT, elle mène un travail interne de réflexion et de réforme. Sur les retraites, elle a cherché sa voie, entre une volonté de résistance, de refus et une relative reconnaissance de la fatalité de la réforme.

Partagez-vous le relatif optimisme de M. Raffarin sur une reprise de la croissance ?
Le patinage artistique des prévisionnistes officiels est un vrai spectacle : 2,5 %, 1,3 %, 0,8 %... Nous, nous sommes constants dans nos estimations. La croissance sera faible cette année : nous retenons actuellement une hypothèse se situant entre 0,5 % et 0,8 %. Il vaut mieux dire au pays que la croissance est quasiment inexistante, que la reprise tardera et que l’adaptation est urgente et vitale.

Vous dénoncez souvent la perte d’attractivité de la France, ce que semblent démentir de récentes études...
Les chiffres que l’on brandit pour se rassurer sont trompeurs : on ne distingue jamais la vente de notre patrimoine d’entreprise à des étrangers et la création d’entreprises nouvelles par les capitaux étrangers. La France a d’énormes atouts : ses infrastructures, la formation des salariés, le dynamisme naturel des Français, le capital accumulé par plusieurs siècles d’innovation et de performances industrielles, la situation géographique, les modes de vie... Mais les 35 heures, les difficultés pour restructurer les entreprises en difficulté, la tendance au blocage des services publics, notre position de champion du monde des impôts, des taxes et des charges menacent notre attractivité. Dire que "la France est attractive" et ne rien corriger, c’est commettre une erreur pour notre avenir économique.

Propos recueillis par Rémi Barroux et Jean-Michel Bezat

Le texte de cet entretien a été relu et amendé par M. Seillière.