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Liberté, Egalité, Fraternté ?

Publie le mardi 8 novembre 2005 par Open-Publishing
3 commentaires

de Bernard Lallement

Nonobstant le tragique de la situation, entendre notre flamboyant Premier ministre décréter le couvre feu alors qu’une grande majorité de nos banlieues flambent ne manquerait pas d’humour.

Ne faudrait-il pas rire de la bête comme le proposait Brecht si nos libertés publiques n’étaient en cause ? Même au plus fort des évènements de mai 68, le général de Gaulle n’avait pas envisagé une telle mesure d’exception.

Promulguée afin de pallier « un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou « en cas d’événements présentant (...) le caractère de calamité publique », la loi du 3 avril 1955, qui sera donc en application, avait été votée pendant la guerre d’Algérie afin de faire face à la rébellion des mouvements d’indépendance. Triste ironie du sort, les jeunes qui forment le gros de la population de nos cités sont, pour la plupart, les enfants et les petits enfants des immigrés venus de nos anciennes colonies. Symbole, s’il en faut, de l’échec de toute une politique d’intégration dans lequel droite comme gauche ont leur part de responsabilité.

« La politique d’intégration du gouvernement ne serait pas comprise s’il ne s’y ajoutait la volonté ferme et entière, dans le domaine économique et social comme dans le domaine politique et dans le domaine administratif, d’offrir des chances égales à tous ceux, quelle que soit leur origine, qui naissent sur le sol algérien. » Cette belle déclaration de principe n’est ni du président de la République ou de Dominique de Villepin mais.... de François Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Pierre Mendès-France, du 19 juin 1954 au 23 février 1955.

La déclaration d’urgence n’avait été déclarée qu’une seule fois sur le territoire métropolitain, au moment du « putsch des généraux »

Recourir à de telles extrêmités en dit long sur le désarroi du gouvernement pour résoudre la crise, non des banlieues qui en sont le révélateur, mais bien celle de notre société dans sa globalité. D’ailleurs, le reste des propositions du Premier ministre, comme le rétablissement du niveau des subventions aux associations, diminuées par Jean-Pierre Raffarin, alors qu’elles étaient auparavant déjà insuffisantes montre bien l’incompréhension des pouvoirs publics face à une situation qui, manifestement, les dépasse.

Pourtant en 1995, le candidat Jacques Chirac, publiait un livre programme au titre évocateur « La France pour tous » dans laquelle il faisait une très juste description du ressentiment de nos cités, telle que nous pouvons le percevoir aujourd’hui. « Quand trop de jeunes ne voient poindre que le chômage ou des petits stages au terme d’études incertaines, ils finissent par se révolter » écrivait-il tout en précisant combien la « fracture sociale (...) menace l’unité nationale.

Dix ans plus tard le même homme, devenu président de la République, au dixième jour des émeutes, et après une réélection à plus de 80 % des suffrages, ne peut balbutier que des paroles hésitantes à la portée improbable. Le contre feu de l’urgence sociale aura été dévoré par quelque calandre égarée dans les greniers de l’Elysée.

Un seul mot vient à l’esprit : vacuité. Du pouvoir, comme du sens d’un monde que l’absence de repères et d’espoir mène tout droit au chaos.

Bernard Lallement

Article paru dans le blog SARTRE de Bernard Lallement

 http://sartre.blogspirit.com

Messages

  • autant il m’est arrivé de ne pas etre d’accord avec certains de vos article , autant votre analyse me semble totalement fondée .
    un aspect interessant est à relever dans l’intervention du premier ministre , il concerne l’ecole :
    "dans les ecoles de ces quartiers des enfants sont en rupture avec le systeme dés quatorze ans , il faut donc les orienter vers l’apprentissage ! "
    outre le fait que ceux qui sont en rupture a quatorze ans doivent l’etre à treize ans voir plus tot, j’ai lu par ailleurs que certains pretendaient deceler dés l’age de trois , quatre ans , les marques quasiment genetiques de cette incapacité à l’ecole ! pourquoi de villepin ne va t il pas au bout de sa logique , pour certains l’ecole devrait donc etre zappée !
    une contradiction apparait aussitot , nombre de jeunes des cités reussissent leur etudes et termine leur cursus à bac + 4 ou +5 , et ils se retrouvent au chomage alors que ceux qui ont fait les memes etudes mais qui s’appellent dupont ont du boulot , va t on leur proposer de rentrer en apprentissage à 22 ou 23 ans ?
    claude de toulouse .

    • Entièrement d’accord avec ça.
      C’est typiquement francais d’envoyer les gosses en échec scolaire en apprentissage ?
      Belle marque de respect pour ces jeunes (là encore, on soigne les conséquences et non les causes) et pour les travailleurs manuels.

      shamanphenix

  • En lisant cet article et la réaction qu’il suscite je ressens une sorte d’agitation intellectuelle qui tourne en rond dans un petit monde conventionnel qui s’habille sous les atours du dégout ou de la révolte :
    Retenir du Pouvoir que sa vacuité ou ses contradictions montre bien à quel point ce même pouvoir a réussi a endormir toute reflexion critique sur ce que l’on pourrait appeler "la volonté" ou plutôt " le mode de gestion" du domaine économique et social qui lui est imparti.
    Bien au delà du réveil que peuvent susciter les feux de banlieues chez les intellos endormis (qui venaient d’ailleurs juste de se rendormir après les débatouillages sur la "constitution européenne") il préexiste non seulement une situation mondiale tout à fait catastrophique à laquelle nous, en tant que citoyens de pays riches nous participons grandement mais aussi, plus près de nous , chez nous, un tissu social qui se vide régulièrement de tout sens et en tous sens. La banlieue en surchauffe n’est que la caricature expressive d’une diversité de luttes qui laisse indifférente une population aujourd’hui réveillée par la peur du désordre, du chaos. Certes le propre de l’esprit bourgeois c’est bien de cultiver de l’ordre inique et suicidaire pour que le chaos ne surgisse.
    Ainsi les luttes bien réelles mais aussi hautement symboliques des marins de la SNCM ou des traminots marseillais qui s’articulent autour de l’axe salariés/usagers seront rejointent par les luttes des agents EDF (du moins ceux qui ne se sont pas précipités sur les actions "offertes") des cheminots etc...Là on se bat essentiellement pour la défense du service public devant un pouvoir "politique" qui ouvre toutes grandes les portes du profit et du gaspillage collectif. On solde ce qui tient encore un semblant de trame dans le tissus social. On solde aussi l’avenir à tous les étages en prêchant dans le sens d’une croissance infinie, créatrice d’emplois et tout le bla bla, en sachant parfaitement que l’on se précipite dans une impasse (épuisement des ressources, pollution, réchauffement...) . On solde l’avenir aussi de manière encore plus immédiate en confiant l’essentiel de la recherche au privé dont le seul but est de rentabiliser à tout et n’importe prix (Les faucheurs d’OGM sont trainés en justice par des escrocs officiellement soutenus par nos ministres ) . Partout où la démocratie se met en marche elle est attaquée par le pouvoir - y compris par le pouvoir judiciaire (voir la décision du tribunal de Marseille sur le caractère politique donc illégal de la grève RTM) Ainsi tout ce qui peut apparaitre légitime au regard de citoyens "responsables" devient illégal et mérite à ce titre d’être réprimé.
    Dans l’épisode banlieue actuel on pourrait remarquer que tous ces jeunes perdus dans un espace politico social pas pensé pour eux sont d’autant plus perdus dans la mesure où ils cherchent plus à s’intégrer dans un monde visible et inaccessible qu’à le changer. Leurs gestes de destruction matérielle interpellent mais se situent complétement dans l’ordre capitaliste (on se bat entre pauvres, et on fait tourner la machine productrice pour renouveller les objets "sacrifiés"etc...) . Chez eux comme chez leurs ainés plus sages (bac +) le sentiment d’injustice ne conduit que très rarement à la révolte les uns et les autres sont empêtrés dans un modèle bourgeois sans cesse alimenté par les référents médiatiques, publicitaires...
    Au delà de notre société, notre civilisation est dans l’impasse. Les déshérités du tiers et du quart monde n’ont qu’un seul espoir -légitime !- Celui de s’intégrer dans ce qu’il ne perçoivent pas comme une désintégration collective...Il est urgent de travailler à un renversement des valeurs. Mais les autres, NOUS autres quel rôle on joue là dedans ?

    A.B.