Accueil > Sonnerie d’alarme sur le téléphone portable

Sonnerie d’alarme sur le téléphone portable

Publie le dimanche 13 novembre 2005 par Open-Publishing
5 commentaires

http://www.monde-diplomatique.fr/20...

En deux décennies, l’usage du téléphone portable s’est répandu comme une traînée de poudre. Toutefois, certaines études révèlent que son utilisation prolongée ou l’exposition aux émissions des antennes-relais pourraient avoir des conséquences sanitaires néfastes. Ces arguments sont réfutés par une industrie qui, face à des enjeux économiques planétaires, semble avoir fait l’impasse sur le principe de précaution. Quant aux pouvoirs publics, ils sont aux abonnés absents.

Par Philippe Bovet
Journaliste.

Le téléphone portable est apparu en 1984. Fin septembre 2004, on dénombrait 42,8 millions d’usagers en France, contre seulement 16,2 millions six ans plus tôt. Mais, en septembre 2003, une étude de l’institut néerlandais TNO a montré que quarante-cinq minutes d’exposition en laboratoire à un rayonnement de 0,7 V/m (volt par mètre) émis par la téléphonie mobile ont des effets néfastes sur la santé (1). Deux associations - Pour une réglementation des implantations d’antennes-relais de téléphonie mobile (Priartem) et Agir pour l’environnement -, qui tentent d’encadrer le développement de la technologie sans fil, ont alors demandé au ministère français de la santé de réaliser une étude similaire à celle de TNO. Elles n’ont jamais obtenu de réponse.

Cet exemple, parmi d’autres, trahit l’étonnante passivité des pouvoirs publics quant à l’encadrement de cette technologie. De nombreuses études ont en effet été menées sur des animaux et des humains afin d’en connaître les effets. Quelques-unes ne démontrent rien. Mais d’autres laissent apparaître des résultats préoccupants (2). Elles demeurent néanmoins ignorées car, pour certains, « les contradictions entre les études traduisent une insuffisance de preuves, donc une bonne raison d’ignorer les avertissements (3) ». Or, aux Etats-Unis, des opérateurs ou des fabricants de mobiles sont poursuivis devant la justice par des utilisateurs intensifs du portable atteints de cancer du cerveau.

En fait, deux types d’exposition sont induits par la technologie cellulaire : l’exposition à laquelle l’utilisateur se soumet volontairement quand il utilise son téléphone ; et l’exposition aux ondes émises par les antennes-relais fixées sur le haut des immeubles, des châteaux d’eau ou des pylônes.

Ces ondes touchent aussi les non-usagers. Elles ne seraient pas sans conséquences sur les personnes vivant à proximité des antennes et plus particulièrement sur les populations dites sensibles, comme les enfants, les malades ou les personnes âgées. Ces ondes provoqueraient des migraines, des pertes de mémoire, des nausées, fatigues et pertes de sommeil, voire des cancers, tumeurs ou œdèmes du cerveau. Le 5 décembre 2001, le ministre de la santé Bernard Kouchner avait déclaré à propos des trente mille antennes alors implantées sur le territoire national : « Ce développement soulève régulièrement des questions quant aux risques sanitaires liés à l’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par ces appareils . » Mais, au-delà de remarques de cet ordre, il n’y aura pas de réelle intervention de la puissance publique.

Près de six cents études ont été réalisées ou sont en cours sur les effets sanitaires des ondes électromagnétiques : « La plupart sont largement financées par les opérateurs. (...) Une note datée de mars 2001 de la Direction générale de la recherche du Parlement européen dénonce les efforts des opérateurs visant à persuader les chercheurs de “carrément modifier leurs résultats pour les rendre en harmonie avec le marché” (4). »

Il est inquiétant de constater l’omniprésence de certains experts, qui ne manquent jamais de remettre en cause les études sur les dangers du portable, et le manque de recul de certains médias médicaux - le supplément sur la téléphonie mobile publié au début de 2003 par l’hebdomadaire Impact médecine a ainsi été financé par l’opérateur Orange.

En France, les normes sur les émissions maximales des antennes-relais vont de 41 V/m à 61 V/m selon la technologie employée. Dans la pratique, les antennes émettent de 3 à 10 V/m. Pourquoi alors des maximales si élevées ? D’une part, ces recommandations ne prennent en compte que les effets thermiques des ondes émises et pas les éventuels effets sanitaires. D’autre part, ces plafonds autorisent le développement d’une technologie de plus en plus sophistiquée au fil des générations d’appareils. Pourtant, les maximales d’exposition sont de 3 V/m au Luxembourg, de 4 V/m en Suisse ou de 0,5 V/m en Toscane.

Certains pays ont pris des mesures pour interdire l’implantation d’antennes à proximité des lieux sensibles. En France, lorsque celles-ci émettent à proximité d’écoles ou d’hôpitaux, la législation demande seulement aux opérateurs de prendre des mesures afin que les rayonnements soient le plus faible possible ! Quant aux quelques maires qui ont tenté d’interdire les implantations d’antennes sur le territoire de leur commune - Vallauris, Villeneuve-Loubet ou Saint-Raphaël -, ils ont bien souvent été déboutés, notamment par le Conseil d’Etat (5).

Les offices de HLM offrent souvent aux opérateurs des sites élevés intéressants pour le maillage de leurs réseaux, et les locataires sont souvent démunis face aux décisions du bailleur. « On accumule sur les mêmes populations divers handicaps : le chômage, la crise du logement, les nuisances dues au bruit ou encore la possible proximité d’industries polluantes, explique Mme Janine Le Calvez, présidente de Priartem. Ces différentes nuisances ont les mêmes effets, elles engendrent des problèmes neurologiques, des leucémies notamment infantiles... Comment prouver alors la part engendrée par la téléphonie mobile ? »

Les installateurs et réparateurs d’antennes de portables se trouvent aussi soumis aux fortes émissions des relais. Les opérateurs font appel à de multiples sous-traitants, qui préfèrent ne pas se manifester plutôt que de perdre des contrats. « Les syndicats et les comités d’hygiène et de sécurité sont très silencieux sur le sujet, souligne la présidente de Priartem. Tout comme la médecine du travail. Or, dans le cadre des maux liés à l’amiante, c’est par les maladies professionnelles que l’on est arrivé à quelque chose. Mais, avec l’amiante, le lien de causalité était facile à établir entre un produit et ses effets... Au bout du compte, les opérateurs ont tous les droits. Le seul responsable sera l’Etat, qui a bradé le principe de précaution. »

En mars 2003, une charte a été signée entre la Mairie de Paris et les trois opérateurs nationaux (Orange, Bouygues Telecom et SFR) afin d’encadrer les émissions des antennes-relais de la capitale, où 1 081 nouvelles installations sont prévues en 2005 (6). Aucune association n’a participé à l’élaboration de ce texte qui prévoit une exposition moyenne de 2 V/m sur 24 heures, avec des pics à 4,6 V/m. Ces normes parisiennes représentent un mieux par rapport à la réglementation nationale, mais elles ne satisfont pas les associations.

En avril 2004, l’Association des maires de France (AMF) et les opérateurs regroupés au sein de l’Association française des opérateurs mobiles (AFOM) ont présenté le Guide des bonnes pratiques entre maires et opérateurs, un document réalisé par l’AMF « à la demande des opérateurs ». « Cette charte n’a aucune valeur juridique, précise Mme Dorothée Quickert-Menzel, chargée de mission à la Confédération du logement et du cadre de vie (CLCV). C’est de l’information qui ne va que dans un sens : aider les maires à implanter leurs antennes. » Là encore, aucune des associations nationales n’a été associée à ces travaux.

Les enfants particulièrement vulnérables

On assiste à un développement généralisé des technologies sans fil. On parle du wi-fi pour des réseaux sans fil à haut débit et sur courtes distances ; du Bluetooth, un standard de communication entre de multiples appareils électroniques, dont les téléphones portables ; du WiMax, un wi-fi à très haut débit pour les longues distances. Sans oublier des brouilleurs d’ondes pour désactiver les téléphones portables, là où ils sont indésirables. Le ministère de la santé soulèvera-t-il un jour la question de cette pollution électromagnétique (7) ? « Entre la puissance des lobbies et les enjeux de santé publique, soupire Mme Le Calvez, les pouvoirs publics ont incontestablement choisi le moins-disant sanitaire. »

Les associations ne demandent pas la remise en cause de la technologie cellulaire, très prisée par le public, mais l’encadrement de son développement. « Nous nous sommes mobilisés non pas contre une technologie, mais contre une manière de faire, précise Mme Quickert-Menzel. Les opérateurs détiennent tout : la technique, le personnel, les rapports... »

Une étude publiée le 11 janvier 2005 par le National Radiological Protection Board britanique (NRPB) (8) a par ailleurs appelé à la plus grande vigilance en ce qui concerne l’utilisation de téléphones portables par les enfants de moins de huit ans, particulièrement vulnérables : « Leur boîte crânienne n’est pas encore complètement formée, leur système nerveux pas complètement développé, et les radiations pénètrent plus loin dans leur cerveau. »

Il n’en a pas moins fallu la mobilisation vigoureuse de Priartem et d’Agir pour l’environnement, réclamant à la même époque la suspension immédiate de la vente d’un portable aux formes ludiques - le Babymo -, explicitement destiné aux enfants âgés de 4 à 8 ans, pour que Carrefour (avec célérité) et le Bazar de l’Hôtel de Ville (avec plus de difficultés) réagissent en retirant de la vente le Babymo.

Distributeur de ce combiné produit en Chine par l’industriel chinois CK Telecom, la société monégasque ITT, plus sensible au développement d’un nouveau marché qu’à la santé des générations futures, a porté plainte contre les deux associations, « pour avoir mené contre elle des campagnes actives de dénigrement », avant d’être déboutée par le tribunal de grande instance de Paris.

En fait, la téléphonie cellulaire devrait être considérée comme un complément de la téléphonie fixe et non comme son remplaçant pur et simple. Si les pouvoirs publics s’investissent dans le domaine de l’automobile et du tabagisme, il leur reste un rôle à jouer en matière de téléphonie mobile.

Philippe Bovet.

(1) TNO : Toegepast-Natuurwetenschappe lijk Onderzoek (Organisation pour la recherche scientifique appliquée) et La Lettre de Priartem, no 10-11, Paris, novembre-décembre 2003 .

(2) « Cellular and cordless telephones and the risk for brain tumors », European Journal of Cancer Prevention, Limbourg (Belgique), août 2002 ; « Prevalence of headache among hand cellular telephone users in Singapore : a community study », Environmental Health Perspectives, Cary, NC (Etats-Unis), novembre 2000.

(3) Jean-Pierre Lentin, Ces ondes qui tuent, ces ondes qui soignent, Albin Michel, Paris, 2001.

(4) Le Point, 25 avril 2003.

(5) A l’inverse, à Port-de-Bouc, France Télécom n’a pas obtenu la suspension de l’arrêté municipal interdisant l’installation d’antennes dans un rayon de 300 mètres autour des sites sensibles.

(6) Voir : Agir pour l’environnement

(7) Les ondes émises par la téléphonie mobile sont des micro-ondes pulsées, une nature d’ondes qui n’est pas comparable aux ondes radio ou télévisées.

(8) Cette étude est aussi appelée « Deuxième rapport Stewart », du nom de l’expert anglais William Stewart, qui, en 2000, avait publié un premier rapport peu alarmiste et était revenu sur sa position cinq ans plus tard, notamment en ce qui concerne la question des enfants. Voir, entre autres, The Guardian, 5 avril 2005, et Powerwatch.org

Messages