Accueil > "La mobilisation des intermittents montre qu’il n’y a pas de

"La mobilisation des intermittents montre qu’il n’y a pas de

Publie le vendredi 4 juillet 2003 par Open-Publishing

Entretien avec Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT
LE MONDE | 04.07.03 | 14h20
"La mobilisation des intermittents montre qu’il n’y a pas de trêve sociale",
affirme M. Thibault.

Le texte de cet entretien a été relu et amendé par M. Thibault

Quel bilan en faites-vous ?

Les conditions dans lesquelles cette loi est adoptée sont plus importantes
que le vote de l’Assemblée en soi. Cette réforme est contestée par une
majorité de la population. Elle a provoqué une mobilisation sans précédent
depuis des années, et nous venons de remettre, avec l’UNSA, la FSU et FO,
les 350 000 premières pétitions aux députés. Le gouvernement passe outre. Il
va traîner cette décision comme un boulet. Dès septembre, l’avenir des
retraites sera de nouveau d’actualité avec la négociation concernant les
retraites complémentaires du secteur privé. Il n’y a donc rien de réglé avec
cette loi.

La mobilisation était forte et vous n’avez pas fait reculer le gouvernement.
Une victoire de "la rue" est-elle possible ?

Bien sûr. Il faut apprécier le niveau de mobilisation obtenu au regard des
outils syndicaux dont nous disposons. Huit Français sur dix considèrent
aujourd’hui que les syndicats défendent plutôt bien leurs intérêts, ce qui
prouve que nous ne sommes pas en décalage avec l’opinion publique. Il existe
une prise de conscience nouvelle pour renforcer un syndicalisme
interprofessionnel, ouvert et qui favorise l’implication du plus grand
nombre de salariés. Il y a des créations de syndicats d’entreprise, un
courant d’adhésions à la CGT, des syndicalistes engagés à la CFDT qui nous
regardent d’un ¦il nouveau... Tout cela est prometteur. Je remarque que le
président de la République, en expliquant que le gouvernement prendrait le
temps de discuter sur la Sécurité sociale, admet, de fait, que toutes les
réformes ne passeront pas à la hussarde.

Si le gouvernement maintient cette politique, quelle peut être la voie pour
la CGT ?

Ce scénario-là montrera vite ses limites. L’opinion publique considère, très
largement, que les grandes questions, notamment sociales, méritent d’être
débattues avec tous les intéressés. La légitimité des élus nationaux ne
suffit pas pour imposer des choix émanant du seul champ politique. Nous
devons faire progresser l’exigence de démocratie sociale avec, notamment, le
principe de l’accord majoritaire dans les négociations et élargir nos
capacités d’intervention syndicale au service d’un plus grand nombre de
salariés et de leurs intérêts communs.

Le gouvernement a-t-il, selon vous, tiré les enseignements du 21 avril
2002 ?

Justement, son attitude constitue une contre-réponse à ce qui s’est passé le
21 avril en France. Le gouvernement actuel est issu d’une vraie crise
politique. Or il agit comme si l’opinion était favorable, aujourd’hui, aux
théories libérales du Medef. Ce n’est pas le cas. Et ce n’est pas en faisant
preuve d’autoritarisme et de brutalité qu’il va inverser cette situation.
Nous n’avons pas, en tant que syndicat, toutes les réponses appropriées qui
doivent émaner des politiques. Mais nous ne cessons de répéter que ce qui se
passe actuellement n’aide pas à redonner du crédit aux dirigeants
politiques. Cela peut même alimenter une nouvelle fois des réponses qui
seraient dramatiques pour notre démocratie. L’attitude du gouvernement peut
amplifier cette crise de la représentation politique tant qu’on ne
s’interrogera pas plus sur le contenu même des réformes.

Un peu de négociation, un peu de mobilisation : la CGT n’est-elle pas restée
au milieu du gué ?

Il faut savoir conjuguer les deux : une bonne mobilisation et une bonne
négociation qui doit se dérouler de manière transparente et selon des règles
démocratiques. Le dernier bilan de la Commission nationale de la négociation
collective montre que la CGT n’a jamais signé autant d’accords.

Oui, mais au niveau national la confédération ne s’engage pratiquement
jamais, contrairement à la CFDT...

Vous remarquerez que les positions défendues par la CFDT sont contestées
jusque dans ses propres rangs. Sa direction perd son sang-froid jusqu’à
vouloir refaire l’histoire sur le dossier des retraites. Elle me semble
atteinte du syndrome de l’avant-garde éclairée. C’est le contenu des
négociations, apprécié par les salariés, qui doit déterminer l’attitude
syndicale. Tout le monde doit accepter, en interne comme en externe, plus de
démocratie.

Quelles seront les possibilités de travail avec les autres syndicats à
l’avenir ?

L’ensemble du syndicalisme va devoir tirer des enseignements à partir des
événements de ces dernières semaines. La loyauté de certains syndicats a
fait défaut malgré un engagement unitaire sur les retraites. Même si
l’exercice sera plus difficile, l’unité syndicale demeure un objectif. Le
décalage entre la représentativité syndicale et la réalité sociale apparaît
évident. Le travail avec de nouveaux acteurs comme l’UNSA et la FSU a
produit un mouvement significatif.

N’y a-t-il pas des raisons de douter de l’action syndicale, avec l’échec du
mouvement ?

Il n’y a pas de raisons de désespérer, au contraire. Je vois un potentiel
supplémentaire pour le syndicalisme. Nous ne sommes pas dans un pays
nordique, dans un pays où la codécision existe. Ici, les syndicats doivent
s’imposer. On voudrait nous cantonner à un syndicalisme de résistance, alors
qu’il nous faut parvenir à un syndicalisme acteur du progrès social. C’est
le cas pour les intermittents.

Quelle doit être la réponse du gouvernement à leurs revendications ?

Il doit entendre les professionnels, prendre des mesures concrètes mettant
fin aux abus des employeurs dénoncés depuis plus de dix ans. Et, dans
l’attente, maintenir les règles actuelles applicables aux salariés déjà très
précarisés. La nouvelle convention aurait pour conséquence d’exclure un
intermittent sur trois du système d’indemnisation. Une partie importante de
la création culturelle de notre pays dépend de la décision du gouvernement.
La mobilisation sans précédent des professionnels du spectacle montre qu’il
n’y a pas de trêve sociale.

Propos recueillis par Rémi Barroux