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Et le Cavaliere s’arrêta à Afragola

Publie le vendredi 23 décembre 2005 par Open-Publishing

de ALBERTO STATERA Traduit de l’italien par karl&rosa

Avec quel culot le président du Conseil aurait pu inaugurer aujourd’hui en grande pompe la Grande Vitesse entre Rome et Naples, après le grave accident ferroviaire de Roccasecca, justement sur la directrice Sud ? Ainsi, l’évènement longtemps annoncé, auquel auraient dû participer aussi les ministres Pietro Lunardi et Giulio Tremonti, en une sorte d’inauguration de la campagne électorale sous le signe de la devise berlusconienne "Je suis en train de changer l’Italie", a été annulé au dernier moment.

Parce qu’il semble que, hélas !, l’Italie ne change jamais, perdue entre des rêves de Grands Ouvrages, de technologies, de pyramides infrastructurelles, de vitesses supersoniques, de milliards d’euros montrés sur le papier en direct de la TV et, dans la réalité, des voitures ferroviaires pleines de tiques, voire de scorpions, qui se recroquevillent en causant des morts et des blessés au-delà d’un feu rouge.

S’il était parvenu aujourd’hui à couper le ruban du premier "ouvrage de régime" arrivé, selon lui, à son achèvement, si à Roccasecca ce train de voyageurs à Petite Vitesse ne s’était pas recroquevillé, Silvio Berlusconi ne se serait pas arrêté à Eboli, mais un peu plus au nord, à Afragola.

C’est là, dans la petite ville de Campanie qu’on ne peut pas dire riante, bien qu’y soient nés des hommes illustres comme Domenico De Stelleopardis, supérieur provincial des Dominicains du Royaume des Deux Siciles et Luigi Ciaramella, le maire fasciste qui a vécu plus longtemps, que se trouve le "nœud final". C’est là que le rêve de la Grande Vitesse devient, more solito, Grande Lenteur, qui serait même tolérable si elle ne provoquait pas des morts et des blessés.

D’Afragola à Naples la marche est très lente. La Ferrari sur rail Colisée - Vésuve, qui en campagne électorale aurait dû être un cheval de bataille, la preuve de la devise "je suis en train de changer l’Italie", la devise que lundi soir le Berlusconi Furieux n’est pas arrivé à démontrer à "Porta a Porta", malgré les "feuillets" contenant sur le papier les Grands Ouvrages et les "petites aides" du vaillant présentateur, reste le rêve et le spot qui d’une fois à l’autre se brise sur de vieux trains éventrés, sur des enquêtes commandées par des ministres qui ne sont jamais achevées. Faute humaine ou panne mécanique ? A Afragola, le "nœud final" est la gare "en pont" dessinée par l’architecte Zaha Hadid. Elle n’est pas là, tout simplement. Si tout va bien, elle sera prête entre 2008 et 2010, mais entre imprévus, mise à jour des coûts et camorra, c’est plutôt difficile.

Et donc, la Ferrari sur rail immatriculée par le ministre des infrastructures Pietro Lunardi, dont la parole, on le sait bien, est plus rapide que la pensée, s’emballe et devient une FIAT 500 première série, celle dont les portières s’ouvraient à contrevent, à Gricignano, 19,6 kilomètres au nord de Naples. Luca Montezemolo [Pdg de Ferrari et président de Confindustria, le MEDEF transalpin, ndt], le pauvre, ne peut pas toujours faire le sceptique et c’est ainsi qu’il a avalisé, dans le voyage d’essai d’il y a quelques jours, l’image heureuse du ministre dit la "Taupe" à cause de sa passion quasi érotique pour les tunnels, pour la Ferrari à 300 kilomètres/heure. Mais, hélas !, il n’y a pas que le "nœud final" d’Afragola, il y a aussi le "nœud initial". Montezemolo habite les Parioli [quartier cossu de Rome, ndt] et pour se griser sur la Ferrari sur rail il devra pousser l’accélérateur parmi les banlieusards de la "Fr2", le chemin de fer normal reliant Rome à Tivoli, parce que la gare "en pont" de Rome Tiburtina, dessinée par l’architecte Paolo Desideri, n’est pas là.

Ce matin, si tout avait bien marché et si à Roccasecca ce train tout à fait normal ne s’était pas écrasé, il aurait fallu à Berlusconi 1 heure 27 pour aller de Rome à Naples, une vingtaine de minutes de moins que ce qu’il a toujours fallu aux banlieusards depuis le début du XX siècle.

"Si tout avait bien marché". Parce qu’un groupe de sénateurs du Centre-gauche avec à sa tête Luigi Zanda, sûrement pas berlusconiens, mais bien préparés et tout autre que des jeteurs de sort, étaient très inquiets pour la sécurité de 52% du gouvernement actuel (50 Berlusconi, le reste les deux ministres) et pour les prochains voyageurs normaux, à cause de "la drastique réduction de la pré-exploitation", décidée pour permettre au premier ministre d’inaugurer, avant les élections, au moins un des Grands Ouvrages si affirmativement et imprudemment promis.

En substance, la pré-exploitation est la période d’essai de la nouvelle ligne, réduite de six à un seul mois, pour ne pas aller au-delà des élections, prévues le 9 avril prochain, de telle sorte que la Grande Vitesse Rome - Naples fût le résumé de "l’Italie qui (que Berlusconi) change". La preuve sur rail que ces instituts scientifiques, qui chiffrent à 0,03% (source, Cresme [Centro Ricerche Economiche Sociologiche e di Mercato]) la réalisation réellement achevée des ouvrages, dignes de pharaons, promis par Berlusconi il y a cinq en direct de la TV, mentent. Les systèmes de sécurité, jamais expérimentés auparavant, fonctionneront-ils à 300 kilomètres/heure, si même les systèmes traditionnels ne fonctionnent pas à peu de kilomètres à l’heure, comme le fait soupçonner l’accident de Roccasecca ?

Verra-t-on les feux rouges ? Et qu’arrivera-t-il entre les kilomètres 178 et 192, entre Pastorano, Capua et Santa Maria La Fossa, où des affaissements sont signalés ? Pour ne rien dire des barrières antibruit, qui semblent un peu instables. Sûr qu’elles ne tomberont pas par sur la Ferrari à 300 à l’heure ? Dieu nous en garde, la technologie est indiscutable, si elle est bien expérimentée elle peut probablement éviter des accidents comme celui d’hier.

Mais plus de trente sénateurs, qui posaient avant l’accident de Roccasecca un problème de sécurité de la Grande Vitesse, en dénonçant la hâte d’une inauguration prématurée et électoraliste, en gâchant la fête infrastructurelle de Berlusconi, proposent aussi quelques autres interrogations de bon sens. Combien a coûté, pour savoir, la Grande Vitesse Rome - Naples jusqu’au "nœud final" d’Afragola, tandis que les Chemins de fer sont au bord de la faillite, n’arrivent pas à s’occuper de l’entretien et à garantir la sécurité même sur les lignes - escargot ? De combien ont-ils augmenté les coûts depuis 1991 jusqu’à aujourd’hui ? Quel a été le coût réel au mètre ?

Plus ou moins par rapport à des ouvrages similaires en France, en Espagne et en Allemagne ? Vaut-il la peine de gagner vingt petites minutes entre Rome et Naples, quand à Roccasecca on s’écrase aux abords d’une gare ? Les comptes sont bloqués depuis dix ans, quand l’ancien juge Ferdinando Imposimato, dans une relation à la Commission Antimafia, quantifia en dix mille milliards de lires (5 milliards d’euros) le gâteau de la camorra, entrée dans le business par les sous-traitances sur la Rome - Naples. Un gâteau ainsi partagé : six dixièmes aux partis, tous sauf Refondation communiste et la Ligue, quatre dixièmes à la camorra, à des affairistes et à divers porteurs de serviettes.

L’album de famille, tout entier, de Tangentopoli [le système de corruption du monde politico financier italien découvert au début des années 90 par l’enquête Mains propres, ndt]. Mais ce n’étaient que des miettes. La nouvelle comptabilité est inconnue, il n’y a pas de mise à jour actuarielle, il n’y a que des lires, pas d’euros.

Ce qui compte aujourd’hui est de couper des rubans, ce 0,01 de Grands Ouvrages achevés par le gouvernement Berlusconi, tandis que toute l’Italie voyage à une seule voie et risque parfois sa vie dans une voiture recroquevillée.

 http://www.repubblica.it/2005/l/sez...