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Le film ‘Munich’ : je lance un défi à Steven Spielberg

Publie le samedi 28 janvier 2006 par Open-Publishing
12 commentaires

de Robert Fisk* in The Independent 21.01.06

Le film ‘Munich’ de Steven Spielberg est absolument génial ! Tiens, bizarre ; j’entends déjà grommeler certains lecteurs... Le film ne passera en Grande-Bretagne qu’à partir de vendredi prochain. Mais, aux Etats-Unis, des Arabes qui vivent là-bas ont condamné ce film qui traite de l’assassinat en série de Palestiniens après le massacre d’athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich, en 1972, en le qualifiant de "diatribe anti-arabe qui déshumanise tout un peuple souffrant de sa dépossession et de son occupation".

Des organisations juives ont insinué que Spielberg aurait déshonoré ses racines juives en portraiturant des agents du Mossad en tueurs criminels et en proie au doute, qui finissent par mépriser leur propre pays.

"Il doit y avoir là quelque chose d’intéressant...", me suis-je dit à moi même en prenant place dans mon fauteuil, de l’autre côté de l’Atlantique, m’apprêtant à regarder le film à grand spectacle (avec force assassinats et flots d’hémoglobine) du célèbre metteur en scène...

Il y a beaucoup d’endroits où vous fermez les yeux : l’assassinat des athlètes, entrecoupé de scènes dans lesquelles le tueur en chef "Avner" est en train de copuler avec sa femme dans un appartement new-yorkais ; l’assassinat israélien d’une call-girl hollandaise qui a séduit un tueur du Mossad en vue de le liquider : elle marche, nue et répandant généreusement son sang sur le plancher de sa péniche, s’efforçant de respirer à travers la blessure causée par une balle en pleine poitrine... Ah, et puis il y a aussi le Cliché Moyen-oriental de l’année.

C’est quand "Avner" - dans une scène totalement fictionnelle - parle avec un réfugié palestinien armé, qu’il liquidera plus tard. Il lui demande : "Entre-nous, Ali... les oliviers de ton père, ils te manquent vraiment ?"

Ben voui, je veux, mon neveu : "Ali", il a une sacrée nostalgie des oliviers de papa !.. Posez cette question à n’importe quel Palestinien habitant les bidonvilles de torchis de Ein el-Helwé, de Nahr-el-Bared ou de Sabra et Chatila, au Liban, et vous obtiendrez la même réponse. Il s’agit là d’une scène aux grosses ficelles et qui se traîne en longueur, où l’approche cultivée et philosophique d’Avner est mise en contraste avec la colère brute et frustre du Palestinien.

Et il y a un tas d’autres âneries. Le meurtre on ne peut plus réel, par la même fine équipe du Mossad, d’un garçon de café marocain parfaitement innocent, en Norvège, a disparu du film - évitant ainsi, j’imagine, l’embarras qu’aurait causé la nécessité de montrer un des assassins se planquant dans l’appartement de l’attaché militaire israélien en Norvège, à Oslo [tiens, décidément, Oslo ?... Ndt]. Une planque dont la révélation n’a pas précisément apporté un immense service aux relations israélo-scandinaves...

Reste que le film de Spielberg a franchi une ligne jaune fondamentale dans le traitement hollywoodien du conflit moyen-oriental. Pour la toute première fois, on voit des espions / assassins israéliens de haut vol non seulement se poser des questions sur leur rôle de vengeurs, mais prendre carrément conscience du fait que la doctrine "pour un œil, un œil ; pour une dent, toute la gueule", ça ne marche pas, c’est immoral, c’est atroce.

Le résultat de l’assassinat d’un des tireurs palestiniens - ou d’un Palestinien sympathisant avec les tueurs de Munich, c’est tout simplement que six autres Palestiniens prennent leur place.

L’un après l’autre, les membres du commando des liquidateurs du Mossad se font eux-mêmes prendre en chasse et dégommer. Avner en vient même à estimer qu’à chaque fois qu’il liquide un Palestinien, cela coûte un million de dollars.

Et puis, il y a la fin du film : le surveillant d’Avner, au Mossad, vient à New York afin de le persuader de rentrer en Israël, mais Avner l’envoie promener après qu’il ait été incapable d’apporter la moindre preuve de la culpabilité des Palestiniens abattus ; alors il décline, écoeuré, l’invitation que lui fait Avner de venir partager le pain et le sel avec lui, à sa table.

Cela suggère, pour la première fois sur le grand écran, que la politique israélienne à base de militarisme et d’occupation est immorale. Le fait que la caméra se déplace vers la gauche des deux hommes et saisisse une image digitalisée reconstituée des Tours Jumelles, vues à travers la brume, c’est ce que j’appelle personnellement "un grincement".

"Ouais, Steve, n’en fais pas trop tout de même...", me suis-je dit intérieurement ; "merci, mais on avait compris !"

Mais voilà le principal : ce film déconstruit intégralement le mythe de l’invincibilité et de la supériorité morale d’Israël. De ses alliances sulfureuses, aussi - un des personnages les plus sympathiques est un patron âgé de la mafia française qui aide Avner - et son présupposé arrogant que, de tous les pays, lui seul a le droit de pratiquer les assassinats d’Etat.

Peut-être qu’inéluctablement et sans le savoir, l’auteur du roman d’où le film Munich est tiré - George Jonas, qui a écrit Vengeance - a-t-il fait merveille pour déconstruire Spielberg lui-même. "On n’atteint pas à un haut niveau moral en restant neutre entre le bien et le mal", dit-il.

Ce qui rebute pas mal de gens, qui ne vont pas voir ce film, c’est le fait qu’il "traite des terroristes comme des gens comme vous et moi... Dans leur effort afin de ne pas diaboliser des êtres humains, Spielberg et Kushner (Tony Kushner, le scénariste en chef) finissent par humaniser des démons".

Certes. Mais c’est bien là le problème, non ?

Appeler des êtres humains "terroristes" ne les déshumanise en rien, quoi qu’ils aient pu faire.

La question "pourquoi ?" - strictement interdite après les crimes contre l’humanité du 11 septembre 2001 - est pourtant bien exactement la question que pose n’importe quel flic sur le lieu de n’importe quel crime - "quel était le mobile" -, non ?

La coïncidence est sans doute voulue : Aaron Klein a pondu un nouveau bouquin sur Munich, aux éditions Random House. Comme l’a fait observer un recenseur, il donne des mêmes truands du Mossad une description suggérant une équipe plutôt de tueurs de sang-froid que de mercenaires en proie au doute.

Dans un contexte tout à fait différent, il est intéressant d’apprendre que ce Klein, capitaine dans une unité du renseignement de l’armée israélienne, se trouve être également, voyez-vous, le correspondant de Times Magazine à Jérusalem, spécialisé dans les questions militaires...

J’en déduis que cette auguste revue pro-israélienne ne va certainement pas tarder à nommer un militant du Hamas au poste de correspondant chargé des questions militaires en Cisjordanie...

Mais peu importe ; là n’est pas la question. Ce qui fait problème, pour certains, ce n’est pas le fait que Spielberg change les traits de ses assassins - ni même le fait que Malte tienne lieu de Beyrouth et Budapest tienne lieu de Paris, dans le film - mais bien, en revanche, le fait que l’entièreté de la structure de supériorité morale d’Israël soit soumise à un examen critique impitoyable et amer ; vers la fin du film, Avner fait irruption au consulat d’Israël à New York, persuadé que le Mossad a décidé de lui faire la peau, à lui aussi...

Bon : chose promise, chose due. Voici mon vrai défi, que je lance à Spielberg.
Un ami musulman m’a écrit un jour pour me recommander le film La Liste de Schindler, mais en me demandant si le metteur en scène lui donnerait une suite, en faisant un film relatant l’épopée de la dépossession des Palestiniens qui fit suite à l’arrivée des réfugiés de Schindler en Palestine...

Eh bien, non. En lieu et place, Spielberg a sauté quatorze année, jusqu’à Munich, tout en disant au cours d’une interview qu’à ses yeux, le véritable ennemi, au Moyen-Orient, c’est "l’intransigeance".

C’est faux.

Le véritable ennemi, au Moyen-Orient, c’est celui qui vole leur terre aux autres.

Aussi, à mon tour de poser une question : aurons-nous une épopée spielbergienne sur la catastrophe palestinienne de 1948 et la suite ? Ou bien - comme ces réfugiés aspirant désespérément à un visa, dans le film Casablanca - nous faudra-t-il attendre, attendre, et encore... attendre ?

* Traduit de l’anglais en français par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique
(transtlaxcala@yahoo.com). Cette traduction est en Copyleft.

Traduction : Marcel Charbonnier*

Messages

  • Merci d’avoir traduit cet article de Robert Fisk, Monsieur Charbonnier.

    • Je vien de sortir de la salle de cinema...et j’en revien toujours pas...
      J’insiste sur le fait que certaines scenes prennent au coeur, car bien qu’habitué a des films a fort taux d’hemoglobine, il faut se souvenir que l’horreur est une realité....et j’ai eu du mal a retenir un sentiment indescriptible, melangeant horreur, pathetique et pitié...tristesse, non pas pour les victimes, mais pour ce monde d’abrutis...car nous ne sommes que des abrutis...

      j’peut pas continuer l’article...mais je sait que beaucoup de personnes ont ressenti la meme chose que moi...alors lisez bien les prochains commentaires

      Adam - Villiers syr marne

    • Même ressenti pour moi ,ce film est très beau malgrè l’horreur qu’il relate.
      Il m’a encore plus ouvert les yeux d’autant plus que ce conflit m’a toujours interressé.
      Je suis partie le voir 2 fois et j’ai le sentiment que plus je le vois plus il me touche...les acteurs et actrices sont fabuleux, la morale de ce film met une bonne claque à tous ceux qui vont voir ce film en ayant des idées toutes faites. En réalité, tous ces conflits sont secondaires dans ce film c’est la souffrance morale et physiques des humains qui est bouleversantes.
      J’espère que ce film touchera beaucoup de personnes et qu’il nous poussera tous à 1 reflexion sur la paix...
      Tout cela explique pourquoi il pousse à la polemique !
      Biz and Peace !!!

  • Spielberg est sans doute le meilleur cinéaste du monde, mais déjà son dernier film , "guerre des mondes", j’avais aimé pour la beauté des images, mais pas pour le contenu.

    A propos des films qui parlent des choses qui fachent, il faut rappeler que Chaplin avait fait un beau film au sujet du dictateur Hitler. "le Dictateur" (1942 je crois)

    Un simple coiffeur qui est confondu avec le Fuhreur.
    C’etait un film qui parlait de l’actualité de l’époque.

    Le film "Lord Of War" , américain aussi, est selon moi bien meilleur sur la forme et sur le fond.

    Un film qui dit "le terrorisme, c’est mal", au sujet des attentats de 1972, c’est quand même moins courageux je trouve, mais sans doute aussi moins risqué commercialement.

    Le parallèle avec la situation actuelle est trop limpide, mais aussi trop empreinte de cette bonne conscience de ceux qui savent que les méchants ne savent pas qu’ils sont en fait contre eux.

    Je peux me tromper, mais je pense que déjà, "la guerre des mondes" de Spielberg était déjà un film de propagande, qui détournait le message du roman initial (WELLS), à savoir qu’une menace venu de l’exterieur, après avoir tout dévasté, était vaincue par surprise par des microbes (des gens petits)

    Spielberg , ses meilleurs films, c’est dans les années 70 : "DUEL" et "LES DENTS DE LA MER"
    Spielberg est bien un Requin et un Tueur, un millionnaire doué.
    Mais ça, c’est un avis partial qui n’engage que moi.

    jyd

  • Qu’est-ce pour nous mon coeur...

    Qu’est-ce pour nous, mon coeur, que les nappes de sang
    Et de braise, et mille meurtres, et les longs cris
    De rage, sanglots de tout enfer renversant
    Tout ordre ; et l’Aquilon encor sur les débris ;

    Et toute vengeance ? Rien !... - Mais si, toute encor,
    Nous la voulons ! Industriels, princes, sénats :
    Périssez ! puissance, justice, histoire : à bas !
    Ça nous est dû. Le sang ! le sang ! la flamme d’or !

    Tout à la guerre de la vengeance, à la terreur,
    Mon esprit ! Tournons dans la morsure : Ah ! passez,
    Républiques de ce monde ! Des empereurs,
    Des régiments, des colons, des peuples, assez !

    Qui remuerait les tourbillons de feu furieux,
    Que nous et ceux que nous nous imaginons frères ?
    À nous, romanesques amis : ça va nous plaire.
    Jamais nous ne travaillerons, ô flots de feux !

    Europe, Asie, Amérique, disparaissez.
    Notre marche vengeresse a tout occupé,
    Cités et campagnes ! - Nous serons écrasés !
    Les volcans sauteront ! Et l’Océan frappé...

    Oh ! mes amis ! - Mon coeur, c’est sûr, ils sont des frères :
    Noirs inconnus, si nous allions ! Allons ! allons !
    Ô malheur ! je me sens frémir, la vieille terre,
    Sur moi de plus en plus à vous ! la terre fond.

    Ce n’est rien ! j’y suis ! j’y suis toujours.

    Arthur Rimbaud
    http://20six.fr/basta

    • On dit que les poetes
      Finissent tous trafiquants d’armes
      On est 60 millions de poetes
      C’est ça qui doit faire notre charme

      Quand t’es dans le désert
      depuis trop longtemps
      tu te demandes à qui ça sert
      toutes ces règles un peu truquées
      qu’on te demande de respecter les yeux bandés.

      Devinez vous même le nom du chanteur qui a écrit à peu prêt cela.
      (paroles sans doute inexactes)

      jyd

    • (POEME POUR NOTRE TEMPS)

      POEME ANTIRACISTE : ABDELLATIF LAABI
      Enfin retrouvé ce poème que je recherchai depuis bientot 3 ans après l’avoir une fois entendu le Premier Mai 2003 . Partageons le .

      Je l’ai longtemps cherché ce poème entendu un jour de 1° mai 2003 et dit par Abdellatif Laabi en hommage à Brahim Bouarram assassiné par les sbires de Le Pen un beau jour de Mai . Le voilà retrouvé et à partager

      Les tueurs sont à l’affût

      Mère, ma superbe mon imprudente

      Toi qui t’apprêtes à me mettre au monde

      De grâce, ne me donne pas de nom

      Car les tueurs sont à l’affût

      Mère, fais que ma peau soit d’une couleur neutre

      Les tueurs sont à l’affût

      Mère, ne parle pas devant moi

      Je risque d’apprendre ta langue et les tueurs sont à l’affût

      Mère, cache-toi quand tu pries laisse-moi à l’écart de ta foi

      Les tueurs sont à l’affût

      Mère, libre à toi d’être pauvre mais ne me jette pas dans la rue

      Les tueurs sont à l’affût

      Ah mère, si tu pouvais t’abstenir attendre des jours meilleurs pour me mettre au monde

      Qui sait

      Mon premier cri ferait ma joie et la tienne

      Je bondirais alors dans la lumière comme une offrande de la vie à la vie*

      In Le Spleen de Casablanca, éditions de la Différence, 1996.

      * Poème à la mémoire de Brahim Bouarram, jeune Marocain jeté et noyé dans la Seine, le 1er mai 1995, par un groupe de skinheads venant d’une manifestation du Front national.

    • Le quotidien espagnol El Pais a publié le 25 janvier une interview de S. Spielberg où on lui pose la question : "Comment définiriez-vous votre attitude envers Israel ?". Voici la réponse :
      "Je suis un fervent défenseur d’israel depuis le jour où j’ai commencé à réfléchir en termes politiques et à développer mes conceptions morales, c’est -à-dire depuis tout petit. En tant que juif, je suis conscient de l’importance décisive de l’existence d’Israel pour nous tous ; et précisément par ce que je suis fier d’être juif, je suis préoccupé par la montée de l’antisémitisme et de l’antisionisme dans le monde. Dans mon film je pose des questions sur la guerre que mènent les Etats-unis contre le terrorisme, et sur les ripostes israéliennes aux intrusions palestiniennes. S’il le fallait, je serais prêt à mourir autant pour les Etats-unis que pour Israel".
      On relèvera notamment l’expression d’"intrusions palestiniennes". Ceci explique certaines choses...
      Henri.

    • Etat de siège
      Ici, aux pentes des collines, face au crépuscule et au canon du temps

      Près des jardins aux ombres brisées,

      Nous faisons ce que font les prisonniers,
      Ce que font les chômeurs : Nous cultivons l’espoir.
      ***
      Un pays qui s’apprête à l’aube.
      Nous devenons moins intelligents car nous épions l’heure de la victoire :
      Pas de nuit dans notre nuit illuminée par le pilonnage.
      Nos ennemis veillent et nos ennemis allument pour nous la lumière dans l’obscurité des caves.
      ***
      Ici, nul " moi ".
      Ici, Adam se souvient de la poussière de son argile.
      ***
      Au bord de la mort, il dit :
      Il ne me reste plus de trace à perdre.
      Libre je suis tout près de ma liberté.
      Mon futur est dans ma main.
      Bientôt je pénètrerai ma vie, je naîtrai libre, sans parents,et je choisirai pour mon nom des lettres d’azur.
      ***
      Vous qui vous dressez sur les seuils, entrez, buvez avec nous le café arabe.
      Vous ressentiriez que vous êtes hommes comme nous.
      Vous qui vous dressez sur les seuils des maisons, sortez de nos matins,
      Nous serons rassurés d’être des hommes comme vous !
      ***
      Quand disparaissent les avions, s’envolent les colombes blanches blanches,
      elles lavent la joue du ciel avec des ailes libres,
      elles reprennent l’éclat et la possession de l’éther et du jeu.
      Plus haut, plus haut s’envolent les colombes, blanches blanches.
      Ah si le ciel était réel [m’a dit un homme passant entre deux bombes]
      ***
      Les cyprès, derrière les soldats, des minarets protégeant le ciel de l’affaissement.
      Derrière la haie de fer, des soldats pissent - sous la garde d’un char -
      Et le jour automnal achève sa promenade d’or dans une rue aste telle une église après la messe dominicale.
      ***
      [A un tueur]
      Si tu avais contemplé le visage de la victime et réfléchi,
      tu te serais souvenu de ta mère dans la chambre à gaz,
      tu te serais libéré de la raison du fusil
      Et tu aurais changé d’avis :
      ce n’est pas ainsi qu’on retrouve une identité.
      ***
      Le siège est attente
      Attente sur une échelle inclinée au milieu de la tempête.
      ***
      Seuls, nous sommes seuls jusqu’à la lie,
      s’il n’y avait les visites des arcs-en-ciel.
      ***
      Nous avons des frères derrière cette étendue.
      Des frères bons. Ils nous aiment. Ils nous regardent et
      pleurent.
      Puis ils se disent en secret :
      " Ah ! si ce siège était déclaré. " Ils ne terminent pas leur phrase :
      " Ne nous laissez pas seuls, ne nous laissez pas. "
      ***
      Nos pertes : entre deux et huit martyrs chaque jour.
      Et dix blessés.
      Et vingt maisons.
      Et cinquante oliviers.
      S’y ajoute la faille structurelle qui atteindra le poème, la pièce de théâtre et la toile inachevée.
      ***
      Une femme a dit au nuage :
      couvre mon bien-aimé, car mes vêtements sont trempés de son sang.
      ***
      Si tu n’es pluie, mon amour
      Sois arbre rassasié de fertilité,
      sois arbre
      Si tu n’es arbre mon amour
      Sois pierre saturée d’humidité,
      sois pierre
      Si tu n’es pierre mon amour
      Sois lune dans le songe de l’aimée,
      sois lune
      [Ainsi parla une femme à son fils lors de son enterrement]
      ***
       ? veilleurs ! N’êtes-vous pas lassés de guetter la lumière dans notre sel, et de l’incandescence de la rose dans notre blessure
      N’êtes-vous pas lassés ? veilleurs ?
      ***
      Un peu de cet infini absolu bleu suffirait
      à alléger le fardeau de ce temps-ci
      Et à nettoyer la fange de ce lieu
      ***
      A l’âme de descendre de sa monture et de marcher sur ses pieds de soie à mes côtés, main dans la main, tels deux amis de longue date, qui se partagent le pain ancien et le verre de vin antique
      Que nous traversions ensemble cette route
      Ensuite nos jours emprunteront des directions différentes :
      Moi, au-delà de la nature, quant à elle,
      elle choisira de s’accroupir sur un rocher élevé.
      ***
      Sur mes décombres pousse verte l’ombre, et le loup somnole sur la peau de ma chèvre.
      Il rêve comme moi, comme l’ange
      que la vie est ici. non là-bas.
      ***
      Dans l’état de siège, le temps devient espace pétrifié dans son éternité
      Dans l’état de siège, l’espace devient temps qui a manqué son hier et son lendemain.
      ***

      Mahmoud DARWICH

      Traduit de l’arabe par Saloua Ben Abda et Hassan Chami. Edité par www.aloufok.net
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