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Maroc : Genèse d’une indépendance

Publie le jeudi 23 mars 2006 par Open-Publishing
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Maroc
Genèse d’une indépendance

Il y a 50 ans, le 2 mars 1956, le Maroc parvenait à son indépendance. Cette libération du protectorat colonial fut rendue possible par les luttes indépendantistes des décennies précédentes.

En 1912, la signature des traités de protectorat découpe le Maroc en régions sous domination française et espagnole. Prétextant l’incapacité du pouvoir central à rembourser les emprunts contractés auprès des grandes banques, la France et l’Espagne officialisent la colonisation par ce traité. Le protectorat, jugé moins coûteux et plus facile à mettre en place qu’une annexion directe, s’appuie sur les autorités locales et le pouvoir du sultan afin d’instaurer une domination globale, en les associant aux différentes politiques mises en place. Ce sera d’ailleurs une constante de la politique française. Il faudra néanmoins plus de 22 ans pour imposer une pacification des tribus traditionnellement hostiles à tout pouvoir central. L’épisode le plus connu, la guerre du Rif, a nécessité l’emploi de 800 000 hommes lourdement armés pour venir à bout d’une des premières grandes insurrections anticoloniales.

Pour autant, dès les années 1930, une contestation de la politique coloniale a émergé, cette fois dans les villes, à partir de la bourgeoisie urbaine et de jeunes intellectuels. Le Comité d’action marocaine, créé en 1934, élabore une plateforme modérée exigeant la stricte application du protectorat et, notamment, la suppression du dahir berbère, qui soumettait les régions berbérophones à une juridiction française, instaurant de fait une administration directe. Le refus des autorités, les déceptions de la politique du Front populaire, le choix stratégique du grand patronat européen de s’appuyer sur les « féodaux » ont progressivement fermé l’espace d’une négociation dans le cadre du protectorat. La Deuxième Guerre mondiale a accéléré ce processus.

Actions armées

En 1944, la formation du parti de l’Istiqlal (« Parti de l’indépendance », PI), dirigé par Alal El Fassi, réformateur libéral et religieux, et par Ben Barka, représentant de la jeune garde moderniste, unifie tous les groupes nationalistes et présente un manifeste où apparaît, pour la première fois, l’exigence de l’indépendance du Maroc dans son intégrité territoriale, sous l’égide du sultan. Ce parti, lié à des élites sociales et intellectuelles brimées par l’ordre colonial, cherchait à s’appuyer sur le sultan dans son combat nationaliste. Ce dernier, de son côté, a pris conscience du danger d’être associé à l’ordre colonial, son rôle se cantonnant à approuver les décrets imposés par la Résidence - les autorités françaises - en cas de contestation majeure. En 1947, le PI annonce qu’il défend l’indépendance et il remet un mémorandum exigeant une révision des rapports franco-marocains, considérée par la Résidence comme une rupture unilatérale du traité établissant le protectorat.

Mais, derrière ces évolutions, c’est l’ensemble du nouveau climat social et politique qu’il faut avoir en tête. Dès 1945, les idées d’indépendance progressent dans tous les grands centres économiques. L’Union générale des syndicats confédérés du Maroc recrute massivement dans les milieux ouvriers, en même temps que se développent, dans tout le pays, des cellules nationalistes. En décembre 1952, l’assassinat du syndicaliste tunisien Ferhat Hached aboutit à de véritables émeutes ouvrières et populaires. L’ordre colonial en profite pour démanteler les partis, la presse et les organisations syndicales nationalistes. En même temps, il soutient un mouvement d’opposition au sultan, mené par le pacha de Marrakech, El Glaoui, représentant les « féodaux » devenus, à l’ombre du protectorat, de grands propriétaires fonciers dirigeant le pays d’une main de fer.

Le 20 août 1953, après de nouvelles journées d’émeutes, le roi est exilé. Il est remplacé par un sultan fantoche, Ben Arafa, candidat des féodaux et de la France. Cette situation ouvre la voie à une radicalisation politique et armée de plus en plus incontrôlable. En août 1955, plus d’un an après Diên Biên Phu et alors que l’Algérie est entrée en guerre, une nouvelle forme de résistance voit le jour à travers la formation d’une Armée de libération du Maroc (ALM), qui passe à l’action dans le Rif et le Moyen Atlas. Elle connaîtra un développement rapide, une branche agissant au Nord et l’autre au Sud. L’ALM se fixe pour objectif de lutter contre le colonialisme et les féodaux, mais aussi de combattre jusqu’à la libération totale de tout le Maghreb. Dans les villes, le Croissant noir, impulsé par des militants proches du Parti communiste et de la Moundamma syrria (organisation secrète proche du PI), mène des actions armées avec un véritable soutien populaire.

Monarchie

Pour l’État français, il s’agit dès lors d’éviter l’ouverture d’un nouveau front, alors que la situation en Algérie s’enlise. Des contacts sont pris, à Aix-les-Bains, avec les nationalistes du PI. Le roi, ayant obtenu l’allégeance des caïds qui l’avait déposé, revient d’exil. Le 7 décembre 1955, le premier gouvernement marocain, mené par Barek Bekkai, homme du roi connu pour sa modération et chargé de négocier l’indépendance, est constitué. L’effondrement de l’autorité administrative et la poussée de l’ALM accélèrent l’abolition du traité de Fès instaurant le protectorat. « L’indépendance dans le cadre de l’interdépendance » est signée le 2 mars 1956 avec la France, le 7 avril avec l’Espagne.

Mais la lutte ne finit pas. Les années qui suivent sont celles d’un combat intense, où se jouent la construction politique de l’État indépendant, sa configuration institutionnelle et son rapport à l’ancienne métropole. Pour celle-ci, il s’agit de mettre fin aux actions armées, d’empêcher la mise en place d’un gouvernement moderniste et progressiste qui ne se contenterait pas d’une indépendance formelle. Très vite, la France optera pour une monarchie forte.

Le roi Mohammed V, associé par le PI à la lutte pour l’indépendance, jouit d’une popularité réelle, mais les partis nationalistes encadrent, de près ou de loin, toutes les forces organisées et disposent d’une assise de masse. L’Union marocaine du travail (UMT), syndicat nationaliste, possède à lui seul près de 500 000 adhérents. Une fois acquise l’indépendance, la question du pouvoir et de son partage est donc posée. La décision de la direction du PI de désarmer l’Armée de libération et les organisations urbaines militaires, par tous les moyens - y compris l’assassinat et la répression des noyaux irréductibles -, va peser.

Le soutien à la mise sur pied des Forces armées royales (FAR), sous l’autorité exclusive du prince, dès mai 1956, en recyclant les officiers et les troupes coloniales, sera également lourd de conséquences. Le PI apportera ainsi une crédibilité et une légitimité à un courant sécuritaire qui en manquait cruellement. Cette force de frappe et les services de police permettront à la monarchie - surtout au futur roi Hassan II - de construire l’architecture d’un pouvoir sans partage, contrairement aux vœux des nationalistes.

Chawqui Lotfi

2006-03-16 23:16:47

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