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Cycle de conférence avec Elisabeth Hardouin-Fugier autour de son livre

Publie le samedi 15 avril 2006 par Open-Publishing
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Cycle de conférence avec Elisabeth Hardouin-Fugier autour de son livre :
"Histoire de la corrida en Europe du 18e au 21e siècle"

La stratégie de la corrida consiste à infliger des souffrances au taureau pour qu’il se défende, mais sans le tuer immédiatement, afin que le spectateur ait le temps de jouir du spectacle. Il s’agit, pour le matador, de "maintenir la vie dans la souffrance". Telle est aussi la définition que Michel Foucault donne de la torture.

ARÈNES ANTIQUES, ÉPONGES À FOULE, PLAZA DE TOROS, POMPES À FINANCES

Au contraire des arènes antiques, conçues comme des éponges à foule, qui circule gratuitement, les arènes de corrida, avec leur mur d’enceinte circulaire soigneusement clos, s’affichent comme une pompe à finances. Une entrée unique, parfois même des accès ciblés selon le coût des places : ombre/soleil, suffisent à montrer l’extrême rentabilité de la corrida, aujourd’hui parfaitement documentée par l’enquête d’un historien économiste (A. Shubert). La Royauté et l’Église s’approprient rapidement les immenses bénéfices de ces spectacles, qu’ils attribuent habilement à l’entretien des hôpitaux, dont ils avaient la charge. Les tauromachies royales, différentes des corridas, sont de coûteux spectacles de prestige offerts au peuple. La corrida, au contraire, est un très rentable impôt volontaire, comme la loterie naissante ou, en Angleterre, les paris aux courses.

"TOUTES DEUX TIENNENT À LA BARBARIE"

Au moment où est publiée la première codification de la corrida (1796), signée par le matador Pepe Hillo, un secrétaire d’ambassade français, amoureux de l’Espagne, Jean- François Bourgoing, unit dans une même dénonciation la corrida et les exécutions de l’Inquisition "toutes deux tiennent à la barbarie... une vertu chrétienne sert à l’une et à l’autre de motif et d’excuse : par l’une (Inquisition), la foi s’arme de rigueurs contre l’incrédulité ; par le produit de l’autre, (corrida) la charité vient au secours des malheureux : ...est-il nécessaire de dire que l’une est l’Inquisition et l’autre, le combat de taureaux ? Sur la foi de cette déclaration et d’autres témoignages, mais aussi grâce à d’excellentes études actuelles sur les exécutions publiques, (R. Bertrand) l’auteur (EHF) montre que la corrida suit exactement le schéma d’une exécution publique.
Les supplices constituent une "valeur ajoutée" à un acte de justice pour l’homme, à une denrée, la viande, pour l’animal. Les deux "spectacles" déplacent des foules immenses (100 000 à Londres, XVIIIe s.).Chaque étape de l’exécution de justice se retrouve dans la corrida, depuis la préparation cachée (supplices : question/sciage des cornes ; drogues) des condamnés jusqu’à leur mise à mort. On relève : l’isolement des victimes, (en chapelle/en toril), la castration symbolique (cheveux/cornes ), le déguisement (varié pour le condamné, couleur de l’éleveur pour le toro), les "supplices additionnels" en cas de rébellion, (brûlures/ banderilles de châtiment), le retournement du public en faveur du condamné, si le bourreau rate la mise à mort, la clameur de la foule en délire devant les trophées brandies, (tête/ oreilles et queue), la liesse populaire "on boit de la bière de potence".
Rien ne manque à la similitude des violences et des réactions de la foule. Les voyageurs du XVIIIe siècle, allemands, anglais et italiens expriment unanimement leur horreur de la corrida.

LES "FASCINANTES ATROCITÉS" ROMANTIQUES

Le préromantisme, en particulier anglais, met à la mode la sublimation esthétique de l’horreur, " l’horriblement beau". La description d’une corrida dans le Childe Harold de Byron (1812) lance le genre, et souligne le piment que tout spectacle sanglant apporte à la tension et à la jouissance sexuelles. Les ingrédients de la corrida sont désormais en place. L’Europe fabrique une Espagne romantique, peuplée de brigands et de valeureux toreadors. La génération de l’après-Terreur française, popularise la corrida en littérature ; Théophile Gautier et surtout Prosper Mérimée, ami de la future Impératrice Eugénie de Montijo, qui introduit la corrida en France, dans les fourgons d’un dictateur. Ils donnent l’esthétique comme éthique.
Ce néronisme, souvenir de Néron brûlant pour jouir du spectacle, est présenté comme une nouveauté par une pseudo-philosophie française actuelle

LE MYTHE MÉDITERRANÉEN

Lorsque le spectacle est privé de son principal attrait ou "produit d’appel", l’éventration des chevaux par les taureaux, grâce à un caparaçon protecteur (1928), un cercle intellectuel se forme autour d’un matador érudit, Ignacio Sanchez Meijias, dont Lorca chante la mort dans l’arène. C’est l’époque où des fouilles archéologiques mettent à jour de superbes sculptures, représentant des taureaux, et des peintures rupestres préhistoriques. Désormais, toute image ancienne de taureau est donnée comme preuve d’une enracinement de la corrida dans la nuit des temps. Un écrivain espagnol renommé, Alberti, pousse l’artifice à l’absurde : "le philosophe athénien ignore qu’il décrit une corrida". Le taureau devient le signe identitaire de la civilisation méditerranéenne entière. C’est faux : l’Angleterre obtient des races taurines célèbres et l’Italie, qui élève des taureaux et jadis les martyrisaient comme partout, refuse la corrida, y compris les tentatives de Mussolini pour l’introduire.
Sous la poussée économique des éleveurs espagnols, la corrida s’introduit de force en France. Après un demi-siècle d’insuccès, la corrida espagnole, (vers 1894), au sein d’une crise politique, est prise comme fer de lance de l’identité provençale. Nîmes la romaine devient une capitale de l’espagnolade, au détriment des productions régionales, comme les vins et au détriment des taureaux camarguais, remplacés par des espagnols.

TOUT CROIRE POUR TOUT OUBLIER

Après la guerre, dans une frénésie générale de consommation, les partis politiques français ennemis - de Michel Droit à Georges Marchais, se retrouvent dans une louange unanime de la corrida. Un film de Braunberger, entièrement composé de montages aussi artistiques que fallacieux, s’intitule "documentaire" et fait passer pour vraie la fiction d’un spectacle où seul l’art serait présent. Les compte-rendus des plus grands journaux apprennent à ne pas voir. Dans le Monde, en quinze années de chronique, Lacouture fait croire à une forte dangerosité de la corrida pour le matador. Le chiffre issu de ses données est de 7000, oui sept mille, fois supérieur au chiffre réel (calcul établissant le rapport entre les nombres : matadors tués/ taureaux tués).
Personne ne veut alors comprendre le message délivré par Georges Bataille, dans son l’Histoire de l’Œil. C’est à une corrida qu’il situe le paroxysme de la jouissance procurée, non par des rapports sexuels habituels, mais par la mort violente de l’homme (le matador Granero) et du taureau. Après guerre, l’histoire venait de confirmer tragiquement le message du prophète Bataille, l’un des plus clairvoyant analyste du sadisme et de la violence.

LA CORRIDA DANS L’HISTOIRE DE LA VIOLENCE

Les arènes ne se limitent pas à hégerger les corridas, elles en façonnent le public et le spectacle. "La masse assise en face d’elle-même... se donne en spectacle à elle-même" Canetti, actualise en ces termes ce que décrivait jadis saint Augustin. La violence engendre la violence et s’alimente d’elle-même, en un éternel recommencement. En corrida, la mort de chaque taureau engendre le désir de la mort du suivant, exactement comme aux exécutions capitales, où l’un témoin dit :"on espère que la prochaine exécution ne décevra pas".
C’est en parfaite connaissance du spectacle que Simon Casas, entrepreneur en corridas, et généreux financier d’un colloque sur la corrida à l’École Normale (rue d’Ulm,Paris) écrit : "Nos cultures sont nées dans des bains de sang, celui qui coule dans l’arène en est une goutte de plus", comme si l’homme était voué à la destruction perpétuelle d’autrui. C’est donc bien dans l’histoire de la violence qu’il faut situer la corrida.

L’Histoire de la corrida en Europe s’appuie sur l’érudition infaillible de l’auteur, qui semble parfois s’éloigner de l’arène, mais c’est justement l’étendue exceptionnelle de ce champ de recherches qui permet de révéler les rouages et les enjeux de la corrida, jusqu’à présent ignorés ou occultés.

Programmation :

Perpignan (P.O/66)
Librairie Torcatis
10 rue Mailly
Vendredi 26 mai
à 17 h 30
Contact : flac66@wanadoo.fr

Béziers (Hérault/34)
Lundi 29 mai 2006
à 20h 30
à la Maison de la Vie Associative
5 rue du Général Margueritte
Conférence organisée par le COLBAC

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