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LA JUSTICE BRITANNIQUE CONFIRME LE DROIT DES CHAGOSSIENS AU RETOUR

Publie le samedi 13 mai 2006 par Open-Publishing
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Une victoire historique
Publié dans l’édition du samedi 13 mai 2006
Temoignage.

La Haute Cour de Londres a fait sensation jeudi en renversant, pour la première fois dans l’histoire de la Grande-Bretagne, non pas un mais deux décrets-lois signés de la reine visant à priver les Chagossiens du droit de vivre dans leur pays. La communauté des Réfugiés des Chagos, en lutte contre son expulsion de l’archipel, vient de remporter une immense victoire.

CHAGOS

DANS un jugement historique du 11 avril 2006, la Haute Cour de Londres a condamné comme "irrationnelle" et "illégale" la décision britannique du 10 juin 2004 prise par décret-loi à l’encontre de la communauté chagossienne. "L’idée qu’un ministre puisse, par le moyen d’un décret-loi (“order in council”) de prérogative royale, exiler toute une population d’un territoire anglais d’Outre-mer, en proclamant qu’il le fait pour “la paix, l’ordre et la bonne gouvernance” de ce territoire, est à nos yeux répugnant".
Ainsi s’expriment le “Lord Justice” Hooper et “Mr Justice” Cresswell dans le jugement de 38 pages qui invalide la décision de l’administration de Tony Blair, signée de la reine, prise contre le jugement du 3 novembre 2000 par lequel cette même Cour avait pour la première fois affirmé le droit au retour des Chagossiens.

Expulsés dès 1965

Pour comprendre la portée de cette immense victoire, il faut se reporter une quarantaine d’années en arrière. À la demande du gouvernement des États-Unis d’Amérique - qui veut installer une base militaire dans cet archipel de 65 îles situé au cœur de l’océan Indien - le gouvernement britannique, par le décret-loi du 8 novembre 1965, constitue le British Indian Ocean Territory (B.I.O.T), une entité territoriale spécifique regroupant l’archipel des Chagos et trois îles séparées des Seychelles. Puis un autre décret-loi, en avril 1971, décida de l’expulsion des 1.500 à 2.000 ilois vivant sur l’archipel des Chagos. Les premiers départs avaient été organisés dès 1965 et l’expulsion se prolongea jusqu’en 1973. La communauté des Ilois connut l’exil et des conditions de vie misérables à l’Île Maurice, tandis qu’une autre partie s’exilait aux Seychelles. Après des années d’abattement et de désarroi, les Ilois redressèrent la tête et organisèrent leur lutte. Le Groupement des Réfugiés des Chagos, dont Olivier Bancoult est le président, mène la résistance sur le plan international depuis 1989. Il est à l’origine de la contestation juridique des décrets-lois du gouvernement britannique, qui a toujours privilégié dans l’affaire des Chagos une procédure de prérogative royale, permettant au gouvernement de se passer du Parlement.
C’est donc la deuxième fois que la Haute Cour de Londres sanctionne cette procédure. Une première fois, en novembre 2000, elle a invalidé - suite à un recours des Chagossiens - le décret-loi de 1971 organisant l’expulsion de l’archipel. Prenant acte de cette décision, le ministre britannique des Affaires étrangères, Robin Cook à l’époque, avait pris un nouveau décret-loi autorisant le retour des Chagossiens dans l’archipel, à l’exception de Diego Garcia (où se trouve la base militaire).

Le Foreign Office "déçu"

En 2004, après un changement de gouvernement à Londres et à la demande insistante des Américains, le décret-loi du 10 juin interdit l’existence de quiconque sur ces îles, connues officiellement en tant que territoire britannique de l’océan Indien (B.I.O.T). D’où un nouveau recours des Chagossiens, que la Haute Cour confirme dans leur droit au retour. Le Foreign Office, qui s’est dit "déçu" par le jugement, a 28 jours pour faire appel.
Le jugement rendu avant-hier ajoute qu’"en vertu de la BIOT Order de 1976, la Couronne a retenu le droit de légiférer directement pour le Territoire et le droit d’émettre une nouvelle constitution pour le Territoire, mais l’autorité législative de la Couronne sous cette prérogative n’est pas illimitée". La Haute Cour affirme aussi que "le pouvoir d’émettre une nouvelle Constitution pour le Territoire ne permet pas à la Couronne d’obtenir l’exclusion continue des habitants du Territoire qui ont été illégalement enlevés ou exclus".
Les avocats des Chagossiens, Richard Gifford et Sir Sydney Kentridge, ont notamment soutenu que même si Diego Garcia devra rester une zone interdite, en raison de la base militaire qui s’y trouve, leurs clients devraient avoir le droit de retourner dans les autres îles, distantes de plusieurs dizaines de miles nautiques.

"La reine devrait présenter des excuses"

Jeudi, quelques dizaines de Chagossiens attendaient le jugement avec leurs amis à l’extérieur du tribunal. À l’annonce du verdict, Olivier Bancoult a fait au “Guardian” cette déclaration : "Bien que nous soyons un petit peuple, nous avons toujours eu foi en notre combat. Ce que le gouvernement britannique nous a fait est illégal et notre but est de retourner aussi vite que possible. Nous allons chercher de l’aide de partout pour ce retour. Nous avons vécu au Chagos pendant plusieurs générations et nous avons maintenant le droit de retourner sur le lieu de notre naissance. Je pense personnellement que la reine devrait présenter des excuses".
Olivier Bancoult était accompagné de représentants du Groupe international pour les droits des minorités (MRGI), dont une responsable a estimé qu’il s’agit "d’une victoire légale impressionnante pas seulement pour les Chagos mais pour tous les peuples dépossédés".
Les Chagossiens seront de retour à Maurice le dimanche 21 mai et depuis hier, toute la communauté prépare un accueil triomphal à sa délégation.
Joint hier à Londres par téléphone, Olivier Bancoult a exprimé à “Témoignages” "ses plus vifs remerciements et sa gratitude à tous les amis et soutiens réunionnais, aux Portois, à leur maire et aux élus portois qui nous ont soutenus". Certains de ses amis portois auront à cœur de se rendre à Maurice la semaine prochaine pour prolonger cette solidarité (voir encadré).
Sur la décision de justice, Olivier Bancoult a ajouté : "C’est un jour sans précédent, un événement historique de grande portée. La Cour a dit “Un gouvernement peut gouverner mais n’a pas le droit de déporter une population”".

P. David

Messages

  • Parti Communiste réunionnais

    Deux décrets royaux renversés

    "Cher ami,
    C’est avec un sentiment d’intense émotion que je tiens, au nom du Parti communiste réunionnais et en mon nom personnel, à vous exprimer nos plus vives félicitations pour le brillant et exceptionnel succès que le peuple Chagossien vient d’obtenir devant la Haute Cour Royale britannique.Avec raison, les observateurs soulignent que, dans la longue Histoire du Royaume Uni, c’est la première fois que les juges de la Haute Cour renversent deux décrets royaux. Ces deux décisions soulignent combien ces deux décrets étaient iniques en ce qu’ils tentaient, par une ultime manœuvre dilatoire, de priver votre peuple de ses droits imprescriptibles.
    Au lendemain de la reconnaissance, par le président de la République Française, des terribles souffrances et des graves conséquences de la déportation de plusieurs millions d’Africains, il nous apparaît symbolique que votre peuple, arraché à sa terre africaine aux 18ème et 19ème siècles puis exilé de son archipel au 20ème siècle, voit enfin reconnaître, au 21ème siècle, son droit à retourner sur les terres de ses ancêtres.
    Avec vous, nous formons des vœux pour que le gouvernement britannique entende la voix de la raison et renonce à son droit d’appel.
    Le 21 mai, lors de votre retour à l’Île Maurice, nos pensées iront vers vous et votre peuple dont, soyez-en assurés, nous partageons l’émotion. Vous voudrez bien leur dire alors toute l’admiration des Réunionnaises et des Réunionnais pour l’opiniâtreté et la détermination dont, en dépit de conditions souvent dramatiques, le peuple chagossien a su faire la preuve tout au long de ce demi-siècle de luttes".
    Sincères sentiments d’amitié.

    Élie Hoarau, secrétaire général

  • Paul Vergès, président de la Région Réunion :

    "Un long combat exemplaire"

    "C’est avec une grande satisfaction que j’ai pris connaissance du jugement de la Haute Cour de Londres prononçant en faveur des Chagossiens le droit de retour sans condition sur leur archipel natal.
    Cette décision, qui est sans conteste une décision historique, permet enfin aux Chagossiens de retrouver leur terre natale après plus de 3 décennies d’exil.
    Aussi, au nom du Conseil régional de La Réunion, je tenais à vous féliciter pour ce long combat exemplaire mené sans trêve durant ces nombreuses années, aboutissant aujourd’hui à la reconnaissance des droits les plus fondamentaux du peuple chagossien".

  • La municipalité portoise :

    "Une avancée historique"

    "Les liens qui unissent la communauté chagossienne et la Ville du Port sont maintenant anciens et chaque étape de cette poignante histoire est suivie avec toujours beaucoup d’émotion par notre municipalité.
    C’est pourquoi nous accueillons avec une vive satisfaction la décision de la Haute Cour de Londres qui rétablit pour les Chagossiens le droit de retourner dans leur archipel. Cette avancée historique, obtenue suite à d’incessantes et légitimes luttes pour faire reconnaître leurs droits, ouvre
    de nouvelles perspectives pour les Chagossiens.
    Nous saluons la détermination, le courage, la solidarité, la persévérance,
    toutes ces valeurs qui caractérisent les Chagossiens et qui les ont guidés dès le début de leur exil forcé.
    Nous savons que le combat que mènent les Chagossiens est une entreprise difficile face à deux des plus grandes puissances mondiales, mais cette entreprise doit trouver son aboutissement. Nous serons à leurs côtés pour les accompagner dans la défense de cette juste cause : retrouver la terre de leurs ancêtres, retrouver la terre qui les a vus naître.
    En ce jour historique, la Ville du Port partage le bonheur des Chagossiens.
    Alors qu’ils reviennent à peine d’un voyage émouvant dans leur archipel,
    cette victoire marque un tournant décisif pour l’avenir de ce peuple déraciné.
    Ils ont maintenant à écrire un nouveau chapitre de leur histoire : le retour vers l’archipel. Pour organiser ce retour, il leur faudra obtenir d’importants moyens pour créer les conditions propices à l’installation sur place des familles chagossiennes avec toutes les infrastructures que cela suppose dans ce 21ème siècle.Cette nouvelle étape nécessitera une forte mobilisation générale, une sensibilisation de l’opinion publique internationale, une détermination de tous ceux qui militent pour le "respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes" (Charte des Nations-Unies, art.1, par.2), une solidarité sans faille de tous les amis des Chagossiens. La Municipalité du Port appelle les Portois ainsi que tous les Réunionnais à être de ceux-là".