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VENEZUELA « Les journalistes doivent être au service de la démocratie participative »

Publie le mercredi 17 mai 2006 par Open-Publishing
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Réseau d’information et de solidarité avec l’Amérique latine

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Entretien avec Thierry Deronne, vice-directeur de Vive Tv, Venezuela
Thierry Deronne : « Les journalistes doivent être au service de la démocratie participative »
par Franck Gaudichaud , Fabien Cohen
17 mai 2006

Thierry Deronne, journaliste d’origine belge, est actuellement vice-directeur de la chaîne publique vénézuelienne VIVE TV. Il vit depuis 12 ans au Venezuela et possède une longue expérience de création de médias communautaires. Franck Gaudichaud et Fabien Cohen, membres de l’association altermondialiste « France Amérique latine » l’ont rencontré dans les locaux de Vive TV : Thierry Deronne nous livre ici ses réflexions sur le rôle des médias, leur fonctionnement, notamment au sein du processus bolivarien.

Quelle est selon toi la fonction de VIVE au sein du processus bolivarien ?

VIVE est une télévision de service public, c’est-à-dire une résistance à la télévision dominante commerciale, qui a seulement une logique de vente et qui est aux mains d’une minorité d’entrepreneurs. Ici, c’est la télévision des citoyens, c’est un espace public comme la santé, l’éducation. Il doit y avoir un service public de télévision. Le spectre radio électrique, c’est un bien public. C’est encore antidémocratique au possible : au Venezuela, 95 % du spectre radioélectrique est aux mains des médias commerciaux.
C’est un vol, un vol du bien public. Le début d’équilibre timide que l’on essaie de réaliser avec une deuxième chaîne publique comme VIVE est de faire en sorte que les citoyens ait un média qui leur sert à la fois d’élément d’information et d’auto information.
Maintenant, dans le cas du Venezuela, VIVE représente l’application de la Constitution qui parle de « participation » et de « protagonisme », c’est-à-dire que le peuple est sujet de son destin, en l’occurrence le message de cette télévision, c’est le peuple qui le produit, c’est aussi simple que cela.

Tu parles du peuple : y a-t-il un contrôle potentiel du peuple sur cette télévision publique vénézuélienne, ou le seul contrôle est-il gouvernemental ?

En ce qui concerne VIVE, il y a plusieurs formes de contrôle. D’abord, il y a ici ce que l’on appelle « una consultoria social » : c’est-à-dire que les mouvements populaires se réunissent tous les mois pour décider des orientations. Par exemple, les paysans nous ont fait remarquer que c’était bien de parler de la guerre contre les grands propriétaires mais qu’il fallait aussi parler de ce qu’ils proposent en termes de nouvelles cultures, par exemple, les cultures écologiques, ou encore se demander et expliquer : que sont-ils en train de mettre en place avec les terres qui leur ont été remises lors de la réforme agraire ?
Donc, les acteurs du mouvement social corrigent le tir tout le temps, ils analysent, évaluent nos programmes pour nous dire que c’est par là que cela doit aller. C’est un outil d’évaluation mais c’est un outil d’intervention intéressant. L’autre contrôle, c’est au moment des enquêtes et de la réalisation de tous les reportages, c’est la communauté qui donne le contenu essentiellement. Le journaliste, ce n’est pas le démiurge, qui avec tout son mépris social universitaire, va générer un discours dans lequel les gens sont censés entrer. Il va être le serviteur public, qui va seulement articuler les éléments de l’enquête participative. Et, c’est ce qui donne des reportages où le message vient de la population directement.
Et enfin, quand on organise des débats à VIVE, on établit un dispositif qui est loin de mettre au centre le journaliste, qui couperait la parole ou qui repartirait les thèmes ou les questions à qui bon lui semble. C’est au contraire une invitation faite au mouvement populaire lui-même, qui souvent amène des invités et expose des thèmes non prévus auparavant.
Et puis dans le dispositif de tournage, on a un cercle de chaises où les invités en prenant place en vis-à-vis ont d’office l’égalité de la parole. Il y a donc une communication relativement directe où la caméra est un instrument qui recueille la richesse de ce débat, mais ne va pas le déformer en se plaquant sur un visage qui devra répondre à cette caméra. La caméra se fait la plus discrète possible.

Est-ce que l’approche est essentiellement centrée sur la parole, ou y a-t-il une volonté d’esthétique propre ? Y a-t-il aussi une volonté de mettre en scène les gens, de monter - dans un sens précis - les sujets abordés ou est-ce avant tout très réaliste et direct ?

Il y a un pluralisme de styles qui correspond à des temps de réalisation différents. Il est évident qu’il y a la forme la plus directe possible qui est, disons, par exemple, la rencontre entre une organisation populaire, qui dans les débats ou dans une action en direct, se manifeste à travers la caméra, et décide de ce qui va être dit, et ce qui doit être montré. C’est un rapport direct. Donc il n’y a pas une fabrication, par exemple au niveau du montage.
Par contre, quand il y a du montage - et cela n’est pas contradictoire - on lui donne beaucoup d’importance en tant qu’outil d’analyse. On se réfère ici au côté enquête d’un reportage.
La clé de tout, c’est le temps, la récupération du temps. Le temps de l’enquête, de l’analyse, le temps de la réalisation. On ne se dépêche pas, on prend le temps pour faire les choses. Cela passe par la rencontre justement, la rencontre humaine, il faut du temps et du respect. Il faut savoir attendre, on n’impose pas. Et puis vient le temps du montage, qui souvent est fait en association avec les sujets. Les sujets en tant que citoyens qui ont participé ont leur mot à dire. Très souvent, ceux qui montent travaillent en symbiose avec les gens concernés. Ils pensent, ils comprennent et ils peuvent monter en fonction de ce que les gens ont pensé dès le début de l’enquête. Et ce montage, on le fait dans le sens de la fluidité et non dans celui du marketing qui proclame « il faut que cela soit en rythme », une logique qui ne repose en fait que sur une vision commerciale des médias. En vérité, dans une télévision publique, on doit penser en termes de démocratie, c’est-à-dire pouvoir penser à ce que l’on voit et pouvoir agir par une réflexion où le montage a pour fonction d’ajouter et donner du sens. Dans ce cas, la vieille école du montage russe reprend toute signification quand on disait que deux images qui se rencontrent peuvent générer un sens qui lui est supérieur.
Cela a beaucoup de sens de montrer des réalités qui en surface paraissent éloigner et qui ensemble font réfléchir davantage. C’est le propre d’une pratique démocratique à travers un média.

Toi-même, tu as participé à la création de médias communautaires dans les quartiers populaires de Caracas : où est ce que l’on en est aujourd’hui de ce point de vue ?

Le boom des médias communautaires a tendance à continuer. On en était à 250 au début de l’année dernière et on en est à 350 actuellement. Et encore, on peut en ajouter parce que tous ne sont pas dans une démarche de légalisation. En France, on les appellerait « pirates », mais pas ici parce qu’il n’y a pas une logique de répression. Il y a simplement de la part de l’Etat une volonté de légalisation, légalisation qui correspond à une fréquence quotidienne sur une durée de 5 ans renouvelable, mais basée sur des critères que les médias communautaires - c’est-à-dire associatifs - déterminent. « Communautaires » ici, cela veut dire « quartiers populaires », « communauté paysanne », etc. Donc les médias communautaires ont négocié avec l’Etat après l’arrivée de Chavez au pouvoir et ils ont demandé des garanties légales afin d’éviter la déviation de ces médias, pour empêcher que cela devienne des chaînes locales commerciales (phénomène vécu dans d’autres pays), pour éviter qu’un petit groupe ne prenne le pouvoir. Pour exister légalement, il faut que 80% des programmes produits viennent de la communauté elle-même. Cela suppose une formation permanente qui permet le renouvellement des gens qui y participent. Et concernant le boom de ces médias, si cela continue à évoluer ? Oui, parce qu’on en voit surgir dans tout le pays, surtout des radios. Nous avons organisé des rencontres, des sortes de Congrès des médias associatifs et on découvre tout le temps de nouvelles initiatives. Certains sont nés durant le FSM avec la « Callapa », c’est-à-dire un travail collectif destiné à filmer le Forum selon différents angles de vision.
Et un dernier élément important : le gouvernement n’exige pas de faire de la propagande de Chavez. On ne passe pas ses discours. C’est intéressant comme sédimentation de la démocratie, du sens critique, de la prise de paroles par des citoyens qui n’ont pas de compte à rendre à un pouvoir. Même s’il est vrai que nous vivons une révolution, et que la plupart des médias associatifs au Venezuela appuient ce processus révolutionnaire, cela n’est pas de l’ordre de la propagande.

Je suppose que vous n’êtes pas dépendant de l’audiométrie mais, pour autant, est-ce qu’il y a une analyse audiométrique des émissions de TV VIVE et quelle est son importance ?

Nous n’avons pas encore les moyens de telles mesures : par exemple de salarier une équipe qui pourrait statistiquement faire ce travail, mais on a de nombreux signes empiriques. L’audience de VIVE a grandi et c’est ce que l’on peut constater par le nombre de coups de téléphone... S’il y a un programme sur les travailleurs, il y a des appels de personnes qui se solidarisent et on a du ajouter des téléphones parce qu’on n’arrivait pas à répondre à tous les appels. Ca, c’est une chose. Des gens viennent aussi nous voir, avec des projets sous les bras, pour nous proposer de faire des programmes dans leur quartier. Parfois, ils viennent de très loin. Enfin, le site Internet est un autre moyen de voir qu’effectivement il y a de plus en plus de gens qu nous regardent... Il y a aussi les lettres que l’on reçoit en nombre croissant.

Un tel processus de démocratisation des médias, de création de médias communautaires ou encore l’exemple de Telesur [1] -qui est là pour donner une dimension latino-américaine alternative à CNN- semblent partie intégrante des processus de luttes en cours : quelle est ton opinion là-dessus ? S’agit-il d’un mouvement de fond et durable selon toi ?

C’est vrai qu’actuellement en Amérique latine, il y a en fait une intelligence collective qui joue à plein et qui a plus d’importance qu’avant, lors des prises de pouvoir de la gauche dans les années 70, avec des phénomènes de guérillas révolutionnaires qui ont eu aussi à transformer assez loin les structures.
Au Venezuela et en Bolivie pour prendre des exemples frappants, il y a des mouvements très collectifs, avec beaucoup de conscience politique à la clé. Cela indique, je ne dirais pas des processus irréversibles - on ne sait jamais - mais il est difficile d’imaginer qu’un peuple qui a autant de connaissances et qui a commencé à prendre l’habitude de participer aux affaires de l’Etat puisse revenir en arrière aussi facilement. Ou alors, il faudrait leur enlever le cerveau et le changer par un autre. ! L’histoire semble indiquer, en ce moment, que l’Amérique latine a cette prise de conscience collective, avec par exemple des luttes qui se font autour de la récupération des ressources naturelles en vu de les utiliser pour le développement national. C’est clair que cela signifie un haut degré de conscience.
Donc, dans ce sens là, il faut être un peu optimiste. L’empire lui est toujours archaïque, violent. Mais cette archaïsme montre peut être qu’il est lui-même au bout, politiquement, en tous cas ; il a perdu beaucoup d’influence par rapport, à ce qu’est devenu aujourd’hui le mouvement bolivarien en général ou en tout cas le mouvement d’unité latino-américaine. C’est frappant de voir la faible capacité de réponse politique de la part de Bush qui finalement ne sait utiliser que la force. Cela démontre une perte d’influence. Donc, les deux choses sont à mettre en rapport.
Je crois qu’il est plus difficile d’éradiquer cette révolution-ci, que si elle était basée que sur une prise de pouvoir par un petit groupe.

Et au niveau de la politique extérieure, comment vous représentez l’Europe à VIVE, car on a parfois l’impression qu’en Amérique latine, il existe aussi une forte désinformation sur ce qui se passe dans le vieux continent, sur ses mouvements sociaux et ses révoltes ?

En fait, on ne demande qu’à être mieux informés et à avoir de l’information de première main ! On a par exemple des contacts avec des collectifs de médias en France. Ainsi, un collectif de Marseille nous envoie des vidéos, des documentaires, des reportages qui nous font palper la France réelle, qui n’est pas celle de l’ambassade, de l’Alliance française, de Dior, etc. C’est déjà une démarche audiovisuelle.

Par exemple, nous avons été choqués de la manière dont les médias étrangers dominants ont parlé de l’explosion des banlieues françaises de novembre dernier, avec des analyses ignorant la pauvreté, la misère sociale. Qu’en a-t-il été au Venezuela ?

Je crois que nous sommes autant désinformés sur vous que vous l’êtes sur nous. Et ils ont autant intérêt à vous isoler de nous, que nous de vous. Empêcher l’identification des citoyens, c’est le secret pour maintenir la domination.
Je suis certain que s’il y avait de nombreuses chaînes publiques qui permettraient aux Brésiliens de s’identifier avec les Français ou à des Algériens avec des Vénézueliens de façon constante et dans tous les aspects de la vie, et que ce soit sur le plan économique, philosophique, du plus quotidien au plus historique ; on aurait évidemment très vite des effets politiques.
Et en ce qui concerne le Venezuela vis-à-vis de la France, il y a toujours eu ce désir de renouer avec l’époque de Rousseau et du siècle des Lumières !
Chavez dit « je suis un homme du XIXème siècle », et l’assume devant les journalistes. Il ne renie pas l’élan de « Liberté, égalité, fraternité ».
Pour lui, ce n’est pas du folklore, pour lui, c’est quelque chose qui est fondateur. C’est une idée qui n’est pas périmée du tout. Mais va savoir ce qu’est devenu ce concept de « République » en France. Il a un livre qu’il recommande souvent aux Vénézueliens, c’est « Les Misérables » de Victor Hugo. Il n’arrête pas de le dire aux Vénézueliens. Il le cite souvent aux ministres « Vous savez ce que Jean Valjean représente en Amérique latine, vous savez que nous sommes entourés de millions de Jean Valjean ».
C’est intéressant parce qu’il y a une espèce de fibre révolutionnaire très perdue peut être dans l’histoire en Europe mais qui, ici, cherche à créer un monde multipolaire. Alors l’Europe pourquoi pas ? Et on recherche le contact c’est vrai ! On le cherche à tâtons, en espérant pouvoir créer les ponts entre les mouvements sociaux des deux continents et les agrandir !

Propos recueillis par Franck Gaudichaud et Fabien Cohen.
Transcription : Renata Molina.

Notes :

[1] [NDLR] Chaîne de télévision sud-américaine lancée à l’initiative du président vénézuélien Hugo Chávez. En sont actionnaires l’Argentine, Cuba, l’Uruguay, le Venezuela et la Bolivie depuis peu. Consultez notre dossier sur Telesur : http://risal.collectifs.net/mot.php....

En cas de reproduction de cet article, veuillez indiquer les informations ci-dessous :
Source : France Amérique latine Magazine (http://www.franceameriquelatine.fr/), n°84, avril 2006.

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