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Comment rêve-t-elle sans jardin ?

Publie le mardi 23 mai 2006 par Open-Publishing
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de Gideon Lévy Traduction de l’hébreu : Michel Ghys

Tous deux étaient des prisonniers libérés. Un détenu les a présentés l’un à l’autre, ils se sont mariés et il leur est né une fille. Maintenant, Ataf Alian, la Jeanne d’Arc palestinienne, est à nouveau en prison, sans jugement. Avec le bébé.

Nous nous sommes rencontrés pour la première fois à Bethlehem, à l’hiver 1998. Ataf Alian venait alors d’être libérée d’une détention administrative, peu de mois après avoir achevé un terme de dix ans d’emprisonnement pour avoir préparé une voiture piégée et pour une agression contre une gardienne de prison. Elle était alors une héroïne locale : les 40 jours de sa grève de la faim en prison pour protester contre sa détention sans jugement, avaient alors mis le feu dans les Territoires. La Jeanne d’Arc palestinienne, comme on la surnommait alors, visage voilé, charismatique, avait déroulé son histoire, sa jeunesse communiste puis, adulte, son activité dans le Jihad Islamique, son frère battu à mort par des soldats en ’76 et son oncle touché par des tirs et mourant dans les bras de son père à elle, en ’48, dans leur village perdu de Houlda.

Dans un hébreu coulant à flot mais plutôt estropié, sa voix aiguë passant à travers le voile, elle avait alors parlé de son homme, le prisonnier de Jaffa, Hafez Koundous, jugé coupable de tentative de meurtre contre un Arabe de Jaffa qui avait vendu une terre du Waqf à des Juifs. Elle et lui se sont rencontrés deux fois dans leur vie : une fois à leur cérémonie de mariage qui avait eu lieu derrière les barreaux, et une fois lorsque Koundous avait été convoqué de sa prison à Beer Sheva pour amener sa bien-aimée à cesser sa grève de la faim. Entre-temps, ils se criaient de l’un à l’autre, entre les barreaux, quand ils étaient voisins de prison. Il lui a laissé en souvenir son blouson de cuir.

Après cela, nous nous sommes encore rencontrés à quelques occasions, une fois dans le jardin d’enfants bien tenu qu’elle avait créé dans la cour de sa maison à Bethlehem, le Jardin du Jihad, et une fois à une exposition d’ouvres de prisonniers qu’elle avait organisée dans sa ville. « Avec l’aide de Dieu » et « grâce à Dieu » sont fréquents dans sa bouche. En éclatant de rire, elle m’avait promis d’enlever son voile si je l’emmenais un jour visiter Tel Aviv. Elle portait un jeans et des bottes sous une élégante robe violette, mariée à la révolution et à son mari condamné à 27 ans de prison.

Les années ont passé. Cette semaine, nous nous sommes rendus dans le bureau de son nouveau mari, Walid Hodali, un prisonnier libéré lui aussi, après 12 années passées dans une prison israélienne. C’est un autre prisonnier qui les a fait se connaître à travers des lettres qu’il envoyait à tous les deux depuis la prison et voilà comment la roue tourne. Walid et Ataf se sont mariés il y a deux ans environ et il y a un an et demi, alors qu’Ataf avait déjà 41 ans, ils ont eu une petite fille, Ayesha. Maintenant, Ataf est à nouveau en prison : encore une détention administrative sans jugement, qui a déjà été prolongée une deuxième fois. Et cette fois, après une nouvelle grève de la faim de 16 jours, on lui a amené aussi sa fille en bas âge.

D’un précédent mariage, Walid Hodali a trois enfants en Jordanie, qu’il est empêché de rencontrer, en plus d’Ataf et Ayesha emprisonnées en Israël et qu’il n’est pas non plus autorisé à voir. Il ne lui reste que la photo qui sert d’économiseur d’écran à son ordinateur : Ayesha, un an et huit mois regardant virtuellement vers son papa. Feuilleton à l’eau de rose palestinien. La vie.

L’un à l’autre, nous nous en sommes fait la promesse :

Walid Hodali dit que la veille de leur mariage, ils se sont engagés l’un envers l’autre à ne plus militer dans aucune organisation, ni Jihad ni islamique, afin de ne plus mettre leur liberté en danger. Le matin, il travaille dans la société de distribution d’eau de Ramallah et l’après-midi, dans les bureaux de « Beit al-Maqdes », une association à vocation littéraire liée à l’Université de Bir Zeit. Du haut d’un moderne immeuble de bureaux du centre de Ramallah, dans des murs peints d’une couleur verdâtre, entre les bureaux d’une société d’informatique et d’une société de courtage, l’association publie des dizaines de livres pour enfants et pour adultes. On s’y affaire à traduire le livre d’Idith Zertal et Akiva Eldar, « Les seigneurs du pays ». Les murs sont couverts des livres et des périodiques déjà publiés, tous d’une remarquable facture.

Walid Hodali est l’auteur de sept livres déjà, principalement sur la vie en prison. Actuellement, son projet littéraire, ce sont de courts récits qu’il écrit au nom d’Ayesha, sa fille. Le premier : comment c’est quand maman est arrêtée ; le second : le regard sur maman à travers la paroi de verre, lors de la visite en prison ; et la dernière : sur maman dont on prolonge une fois de plus la détention. Toujours à travers le regard observateur de la petite fille. « Je voudrais savoir : c’est quoi ça pour une maison, sans maman ? », écrit-il au nom de sa fille. Il explique que ce ne sont pas des histoires politiques.

Ramallah est bruyant et animé comme il ne l’a plus été depuis longtemps. Tel Aviv - Mouqata’a en une heure, sans être contrôlé à aucun barrage. Des images de mannequins sur d’énormes panneaux publicitaires, des embarras de circulation, des problèmes de stationnement, des restaurants où il est impératif de réserver sa table. Sur la tombe d’Arafat, dans la cour de la Mouqata’a, on construit un mausolée, l’entrée est libre pour tout le monde, sans qu’il y ait de contrôle. En attendant la fin des travaux du mausolée, il y a un échafaudage au-dessus de la tombe qui n’est qu’un sol en béton. Il faut demander aux ouvriers qui travaillent sur l’échafaudage où se trouve la tombe pour situer l’endroit où repose le père fondateur.

Les années 1990-2002, Walid Hodali les a passées dans une prison israélienne, pour atteintes à la sécurité pendant la première Intifada. 46 ans, originaire du camp de Jilazoun, il a étudié les mathématiques à Ramallah. En prison, il a élargi ses connaissances par l’étude de la littérature arabe. C’est là aussi qu’il a écrit ses livres. Son fils est mort de maladie, à l’âge de 14 ans, alors que lui-même était en prison et il n’a pas été autorisé à sortir pour aller à l’enterrement. Trois autres enfants à lui vivent avec leur mère en Jordanie et ils ne sont pas autorisés à venir dans les Territoires. Il n’est pas autorisé à sortir pour se rendre en Jordanie sauf s’il s’engage à ne pas revenir. Il ne lui reste que le téléphone et l’Internet. Cela fait six ans qu’il n’a pas vu ses grands enfants, depuis leur seule et unique visite à la prison d’Ashkelon. Autrefois, il était Fatah, puis il s’est rapproché du mouvement islamique, mais il dit n’appartenir à aucune organisation : le matin, l’eau et l’après-midi, la littérature. « On peut agir pour son peuple même sans mettre sa vie en danger. Ataf et moi, nous nous sommes promis de ne pas reprendre d’activités pouvant nous reconduire en prison. Pourquoi ? Parce que je hais la prison, une haine puissante. »

La renommée d’Ataf s’est diffusée en Cisjordanie et est arrivée aussi jusqu’à Walid. Chez cet homme doux et discret, un sourire embarrassé apparaît sur ses lèvres, quand il s’entend interroger sur les circonstances de son rendez-vous arrangé avec Ataf qu’il ne connaissait pas. Ce n’est pas tout à fait vrai : Ataf l’avait vu à la télévision et il l’avait vue, voilée, à la télévision. Un prisonnier et ami commun, Nidal Zaloum, convaincu qu’ils se convenaient bien, les a pressés de se marier. Le marieur emprisonné envoyait des lettres à elle et à lui ; tout le reste est déjà presque de l’histoire. Walid a téléphoné quelques fois à Ataf, trois ou quatre brèves conversations et le voilà amoureux. Puis Ataf a encore une fois été emprisonnée pendant un an et l’amour a été contraint d’attendre. A sa libération, il y a deux ans et demi par là, il lui a téléphoné pour la féliciter. Puis il a rassemblé son courage et s’est rendu chez elle, pour lui demander sa main. Deux ans plus tôt, Ataf s’était séparée de Hafez Koundous. Walid soutient qu’ils n’étaient que fiancés et pas mariés.

La famille d’Ataf consent au mariage.

Deux jours plus tard, ils se mariaient et emménageaient chez lui à Ramallah. Ataf a ouvert un cybercafé au centre de la ville, réservé aux femmes. Elle porte encore le voile. Walid est contre. Pour lui, il suffit à une femme musulmane de se couvrir les cheveux et le cou, mais il respecte la décision de son épouse. En ’78, Ataf m’avait dit : « J’aime beaucoup le voile depuis l’âge de 18 ans, mais je ne pouvais pas le porter. A l’époque, porter des vêtements religieux à Bethlehem, c’était quelque chose de bizarre. On était loin de la religion, ici. Les gens demandaient ’pourquoi t’habilles-tu comme ça ?’ et je ne voulais pas me battre pour ces choses avant l’heure. Je ne pouvais pas porter le voile mais il était dans mon cour, et quand j’ai senti que le moment était venu de le porter, je l’ai mis. C’était en prison, vers ’89-’90, et depuis lors, je suis avec ça ».

Le 29 septembre 2005, Ayesha est née. Son père dit que sa vie est divisée entre ce qu’il y avait avant le 29 septembre et ce qui vient après. Chacun son mois de septembre. Ataf emmenait chaque jour Ayesha à son travail au cybercafé. De temps en temps, celle-ci tirait sur son voile et le lui enlevait un instant. Lui qui écrit, elle qui gère un cybercafé, la naissance d’Ayesha : la vie leur souriait un instant. Un court instant.

La nuit du 21 décembre 2005, à deux heures, des soldats ont encerclé la maison. Walid pensait que la porte allait sortir de ses gonds sous les coups des soldats. Il était convaincu qu’ils venaient le chercher, lui. Il explique que tous ceux qui ont passé de longues années en prison en font des cauchemars. Aussi bien lui qu’Ataf en sont terrorisés. Des dizaines de soldates et de soldats sont entrés dans la maison. En voyant des soldates, il a compris qu’on venait la chercher elle, pas lui. « Nous blaguions souvent sur le fait que s’ils venaient m’arrêter, nous dirions aux soldats que je n’étais lié à rien et qu’ils l’emmènent elle. Mais quand c’est vraiment arrivé, j’ai imploré qu’ils m’arrêtent moi, cent fois moi, mais pas elle ».

Ayesha était sortie de son sommeil. Sa maman lui a donné un dernier baiser et a éclaté en pleurs. Ataf s’obstinait à l’emmener, disant que la loi l’y autorisait mais les soldates et les soldats ont refusé. C’est ainsi que la toute petite fille a été arrachée à sa mère.

Le lendemain, les voisines sont venues et ont proposé à Walid de prendre Ayesha pour s’en occuper. Mais Walid tenait à élever seul leur fille. Les deux mois qui ont suivi, Ayesha est restée collée à son père, dans la vie et dans la littérature. En prison, Ataf, revendiquant qu’on lui amène sa fille, s’est lancée dans une grève de la faim. Après 16 jours, les autorités de la prison de Neveh Tirtza ont cédé et l’avocate d’Ataf est venue chercher Ayesha pour la mener à la prison. Walid dit qu’il aurait préféré qu’Ayesha reste avec lui, « mais je ne pouvais pas lui dire non. Après 16 jours de grève de la faim, moi je serais allé lui dire non ? »

Ataf se retrouve avec Ayesha la plupart du temps dans leur cellule. Moments de qualité. Dans la cellule voisine, est détenue une autre mère palestinienne avec sa petite fille en bas âge. La semaine passée, une autre détenue palestinienne a eu un bébé : elle a accouché à l’hôpital, menottée. Walid a essayé d’envoyer des cassettes à sa fille mais les autorités de la prison l’en ont empêché. Seule l’avocate est autorisée à rendre visite à Ataf. Elle a été condamnée à six mois de détention administrative, qui ont été ramenés à quatre mois en comparution puis qui ont été prolongés d’encore six mois, lesquels ont eux aussi été ramenés à quatre. Le tout sans jugement, sans acte d’accusation, sans que personne sache au juste la nature des accusations portées contre elle.

Pourquoi l’ont-ils arrêtée ?

Walid Hodali : « Ils ont sûrement un rapport des Renseignements, inspiré par un collabo qui reçoit de l’argent pour donner des informations sur les gens. Je suis sûr qu’elle ne m’a rien caché et qu’elle ne militait dans aucune organisation interdite, mais avec son passé, c’est facile d’accuser faussement Ataf. »

Ayesha sourit aussi depuis l’étagère de livres qui se trouve dans le bureau de Walid. Il y a quelques semaines, quand, pour juger de la prolongation de sa détention administrative, ils ont emmené Ataf à la prison d’Ofer, à trois kilomètres de l’endroit où nous sommes maintenant assis, il est devenu comme fou : « A trois kilomètres d’ici ! Et je n’ai pu voir ni mon enfant ni ma femme ». De conversations par téléphone, il n’est bien entendu pas question. « Je ne peux pas comprendre comment mon enfant se retrouve maintenant en prison. Comment elle rêve sans jardin, et comment elle se réveille aux cris de ’L’appel ! L’appel !’ et se retrouve en isolement. Je ne peux pas comprendre comment elle va faire face à cela. » Ataf et Ayesha sont censées être libérées dans trois mois et une semaine, si on ne prolonge pas de nouveau leur détention. Et Walid compte les jours.

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=714407

Version anglaise : Not without my daughter

http://www.haaretz.com/hasen/spages/715026.html

Messages

  • Jacques Duclos disait qu’il n’etait pas honteux pour un militant d’aller en prison , mais si vous croyez en dieu , comme vous le dites , vous les geoliers , laissez les vivre !
    Ils se sont battus contre vous , c’est vrai , mais aujourd’hui , ils voudraient simplement qu’on les oublie un peu , pour pouvoir vivre un peu , juste un petits peu , avec leur enfant !
    c’est trop demander ?

    claude de toulouse .