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Haditha : Un "My Lai" irakien

Publie le dimanche 4 juin 2006 par Open-Publishing
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de Al Faraby

Les tueries de Haditha, ville située à 250 kilomètres au nord-ouest de Bagdad, où vingt-trois civils irakiens, dont sept femmes et trois enfants ont été décimés dans leur maison par des marines, constituent un nouveau massacre de civils commis par l’armée américaine d’occpation en Irak.

Pas de doute. Reste à savoir s’il s’agissait d’un « simple » comportement barbare de soldats déchaînés ou, pire, de véritables représailles ?

Quelle que soit la réponse, après l’enquête publiée par le magazine Time et les images vidéo fournies par une organisation irakienne de défense des droits de l’homme, l’ONG Hammurabi, l’affaire de Haditha est bien partie pour porter un nouveau coup sévère à l’image de l’armée américaine. Si besoin était, est-on tenté de dire, tant les récits d’exactions dans les prisons irakiennes et ceux des opérations de « nettoyage » menées dans des villes comme Falouja ont déjà largement terni sa réputation...

L’histoire est si terrible et sérieuse que l’armée américaine vient d’envoyer des enquêteurs spéciaux du service des enquêtes criminelles de la Navy en Irak pour tirer au clair cette affaire qui date de novembre 2005.

Le 19 novembre, en effet, des soldats en patrouille de la compagnie Kilo (de la 1re division des marines) sont la cible de l’explosion d’une mine placée au bord de la route à Haditha. Un des leurs, le caporal Miguel Terrazas, est tué. Dans la première version de leur rapport d’opération, reprise à l’époque par l’armée d’occupation, quinze civils auraient aussi succombé à l’explosion. Quant à la riposte de la compagnie, elle aurait entraîné la mort de huit « combattants ennemis ».

Mais voilà, selon les témoins irakiens de Haditha et des médecins qui ont reçu les corps des victimes, les civils, membres de trois familles des environs du lieu de l’attentat, étaient criblés de balles et leur décès ne pouvait en aucun cas avoir été occasionné par l’explosion d’une mine.

Après des protestations irakiennes relayées par des journalistes, les marines engagés ont modifié leurs témoignages pour leurs supérieurs et prétendu que les civils avaient été tués quand ils poursuivaient des assaillants. Or, les images vidéo tournées au lendemain des faits ne montrent aucun impact de balles sur les façades extérieures des maisons en question. En revanche, à l’intérieur, c’est le capharnaüm : les murs sont troués de balles et couverts de sang.

Bref, les faux témoignages des marines eux-mêmes mais plus encore les accusations de la population locale et surtout d’une enfant rescapée accablent les soldats.

Selon la fillette qui a survécu avec un petit frère blessé, après l’explosion, les marines sont entrés dans leur maison : « Ils sont allés dans la pièce où mon père priait, raconte-t-elle, j’ai entendu des coups de feu. Ensuite, ils sont revenus dans le salon. Ils ont achevé mes grands-parents (...). Et ils nous ont tiré dessus » - les enfants auraient été sauvés par des adultes les protégeant de leurs corps.

Pour le moment, et même si elles font ressurgir, à une autre échelle, le souvenir de May Lai - ce village vietnamien où des GI ivres de violence avaient massacré des centaines de paysans désarmés -, les tueries de Haditha sont toujours qualifiées par l’armée américaine de... « dommages collatéraux »

Un habitant de Haditha se souvient

Les habitants de Haditha sont bien loin de la polémique qui enfle à Washington. Six mois après les faits, ils tentent seulement de faire le deuil.

"J’ai regardé à travers les rideaux. Ils sont entrés de force chez nos voisins et j’ai entendu plein de coups de feu. J’ai cru que notre maison serait la suivante", se souvient Abou Hassan, qui refuse de livrer son identité complète par peur de représailles.

Ce 19 novembre 2005, quatre frères sont morts chez les voisins d’Abou Hassan. Il a d’abord eu peur en entendant non loin de chez lui l’explosion d’une mine, fatale à un marine, ce jour-là. "J’ai regardé quelques minutes plus tard et j’ai vu des marines tirer de loin sur deux maisons. Puis ils sont entrés dans ces maisons et j’ai entendu des fusillades. Ils se déplaçaient en petits groupes", raconte-t-il. "Un groupe s’est rendu chez mes voisins plus de deux heures après l’explosion de la bombe. Après leur entrée, il y a eu plein de coups de feu. La mère a commencé à crier ’mes fils, mes fils’. Elle a continué à crier longtemps après leur départ", dit-il. "Nous avons essayé de la calmer mais il n’y avait rien à faire."

D’après Abou Hassan, les marines ont tué les quatre fils adultes de cette femme - Djamal, Chassib, Kahtaan et Marouane. "Les Américains sont entrés et ils ont jeté une grenade dans la salle de bains. Ils ont tué mon père dans la cuisine. Puis ils nous ont tiré dessus. J’ai fait semblant d’être morte", raconte Safa Younis, adolescente de 12 ans, seule rescapée d’une famille de huit personnes, dont le témoignage sur un enregistrement vidéo a été diffusé par l’organisation irakienne de défense des droits de l’homme, Hammurabi.

"Maintenant, les enfants s’enfuient lorsqu’ils voient des Humvees américains. Je suis un adulte de 47 ans et je suis aussi terrifié. Quand je vois encore des snipers américains sur les toits des habitations, je change de direction", conclut Abou Hassan.

L’enquête confirme l’implication des marines

Six mois après les faits, les mises en cause s’accumulent contre l’armée américaine, soupçonnée d’avoir tué 24 civils, dont des femmes et des enfants, en novembre 2005, dans la ville irakienne de Haditha (nord-ouest de Bagdad) en représailles après la mort d’un de ses hommes. Après les révélations de la presse, les accusations des élus et les aveux, à demi-mots, du Pentagone, le New York Times enfonce le clou dans son édition du 31 mai en dévoilant les conclusions de l’enquête militaire sur cette affaire.

Le colonel Gregory Watt, l’officier en poste en Irak qui a conduit cette enquête en février et en mars, est parvenu à la conclusion que les victimes ont été exécutées par balle, vraisemblablement par les marines, victimes d’une embuscade de la guérilla. Parmi les pièces à conviction citées, des certificats de décès contredisant les affirmations du Pentagone, qui soutenait que les civils avaient trouvé la mort lors de l’explosion d’une mine. "Toutes les victimes irakiennes portaient des traces de blessures mortelles par balle, dans la tête ou la nuque", affirme le New York Times, confortant la thèse que les GI, aveuglés par la rage d’avoir perdu l’un des leurs lors d’un attentat la matinée précédant le massacre, se sont livrés à des exécutions sommaires à Haditha avant de tenter de dissimuler leurs agissements.

Face aux critiques croissantes, la Maison Blanche s’était engagée, mardi 30 mai 2006, à informer les Américains des résultats de l’enquête militaire ouverte sur cette affaire.

De plus en plus de médias américains comparent déjà cette tuerie à celle de My Lai, le 16 mai 1968 au Viêtnam, lorsque des militaires américains avaient tué un demi-millier de villageois. Un massacre qui avait à l’époque fortement ému l’opinion publique américaine et ébranlé le moral des soldats engagés dans le conflit vietnamien tout en motivant le combat des pacifistes.

"Le massacre de Haditha a porté davantage atteinte aux objectifs des Etats-Unis en Irak que le scandale des exactions à la prison d’Abou Ghraïb", a affirmé pour sa part John Murtha, membre démocrate à la Chambre des représentants et ancien marine.

Selon des informations parues dans la presse, les enquêteurs devraient demander des inculpations pour meurtre, homicide par négligence, manquement au devoir et rédaction d’un faux rapport. La revue Time, qui a révélé cette affaire en mars, affirme que trois officiers, dont un commandant de compagnie et un commandant de bataillon, ont d’ores et déjà été relevés de leurs fonctions.

Dans sa première réaction publique à cette affaire, le président George W. Bush s’est dit, mercredi 31 mai 2006, "troublé". "Ceux qui ont enfreint la loi, si la loi a été enfreinte, seront punis", a-t-il promis.

http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=3137

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