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11 Septembre, 1973 ... 2003

Publie le jeudi 11 septembre 2003 par Open-Publishing

"Je paierai de ma vie la loyauté du peuple (...). D’autres hommes surmonteront cette période sombre et amère où la trahison prétend s’imposer"
( Salvador Allende )

A la veille du 30e anniversaire du coup d’Etat militaire du général Augusto Pinochet, qui a renversé Salvador Allende, le président chilien, Ricardo Lagos, a rendu hommage mercredi 10 septembre à son prédecesseur qui s’était suicidé le 11 septembre 1973. OAS_AD(’Middle’) ; Une plaque portant son nom a été inaugurée dans le salon Independencia où Allende, premier président marxiste arrivé au pouvoir par les urnes, se tira une balle dans la tête avec le fusil d’assaut AK-47 que lui avait offert Fidel Castro.

La cérémonie était présidée par Ricardo Lagos, deuxième président socialiste de l’histoire du Chili, en présence de la veuve de Salvador Allende, Hortensia Bussi, leurs filles Isabel et Carmen ainsi que le chanteur-compositeur Silvio Rodriguez et l’ex-président du Nicaragua Daniel Ortega. Elle s’est déroulée sans incident mais des carabiniers ont fait exploser un paquet suspect déposé près d’un monument à la mémoire d’Allende, situé en face du palais présidentiel de la Moneda, suscitant un peu de remous dans l’assistance.

"Salvador Allende fut un homme politique qui aimait son pays, croyait dans la démocratie, cherchait à promouvoir les changements sociaux et consacrait sa vie aux plus pauvres", a déclaré Isabel Allende, présidente de la Chambre des députés. Le président Lagos ne s’est pas exprimé lors de la présentation de la plaque, portant l’effigie de l’ancien président et la devise : "Maîtres de nos propres destins". Au nom du gouvernement, le ministre de l’intérieur, José Miguel Insulza, a rappelé le "sacrifice clair et conscient" d’Allende le matin du 11 septembre 1973. Peu avant de mourir, Allende avait lancé un dernier message radiodiffusé, entré dans l’histoire : "Je paierai de ma vie la loyauté du peuple (...). D’autres hommes surmonteront cette période sombre et amère où la trahison prétend s’imposer".

La fille d’Allende a souhaité que "plus jamais" ne se produisent au Chili les violations des droits de l’homme perpétrées par le régime militaire qui firent plus de 3 000 morts et des dizaines de milliers de disparus. Interrogée par des journalistes, sa mère a déploré pour sa part que "le Chili soit un pays pas encore réconcilié" où "la démocratie reste limitée". Après des décennies de silence, le Chili s’est enfin plongé ces dernières semaines dans un travail douloureux d’introspection collective sur le régime Allende (1970-1973) et les années de plomb de la dictature militaire.

La victoire posthume de Salvador Allende
sur le général Pinochet

"Nous ne nous sommes pas rendu compte à l’époque que toute l’histoire passait par Salvador Allende, que l’histoire, c’était lui." La réflexion sous forme de regret, si ce n’est d’autocritique, est de Patricio Guzman, qui achève à Paris un long métrage documentaire sur le président chilien renversé par le général Augusto Pinochet.
Patricio Guzman est l’auteur d’un monument du cinéma militant des années 1970, La Bataille du Chili, une passionnante trilogie - trois fois une heure et demie - qui retrace les riches heures du gouvernement d’Unité populaire (UP) et la marche inéluctable vers le coup d’Etat. OAS_AD(’Middle’) ; "A l’époque, je voulais montrer les visages anonymes, les milliers de sympathisants et militants engagés dans la tourmente politique", rappelle le réalisateur, fier de pouvoir présenter bientôt en salles un portrait chaleureux du président déchu. Aucune chaîne publique française n’a soutenu ce Salvador Allende, produit par Jacques Bidou avec des partenaires belges et espagnols.
"Allende était un parlementaire classique, raconte Patricio Guzman, mais il n’avait pas froid aux yeux. Il était capable à la fois du petit geste susceptible de nouer un lien affectif avec ses électeurs et du grand geste de portée historique. C’est lui qui a bâti l’UP avec de l’énergie et de l’humour. Au pouvoir, c’est lui qui maintenait l’unité des sept partis de l’UP. Il y avait une distance abyssale entre Allende et les autres dirigeants. Le 11 septembre 1973, nous sommes devenus orphelins."

Le cinéaste chilien rappelle la vitalité de Salvador Allende, sillonnant le pays au cours de ses campagnes électorales : ""J’ai 65 ans, bien vécus", disait Allende, sans reculer devant le sous-entendu machiste." Le documentaire aborde pour la première fois "la grande histoire d’amour" avec sa secrétaire Miria Contreras, "Payita", qui resta au palais présidentiel de la Moneda jusqu’au dénouement. Le suicide du président interpelle toujours les proches et les militants. Un de ses amis le regrette devant la caméra, car il aurait préféré un Salvador Allende vivant, pouvant prendre la tête de la résistance.

"Sa sépulture est devenue un lieu de pèlerinage", précise Patricio Guzman. La personne chargée de l’entretien amène à la fondation Salvador-Allende, installée dans le vieux Santiago, les nombreuses lettres laissées par les fidèles. Pourtant, "la dictature a essayé de broyer toute trace d’Allende. La gigantesque machine de la diffamation a fonctionné d’emblée, de manière brutale. Si la mémoire d’Allende est restée vivante, elle a été confinée dans l’intimité des foyers. La jeunesse respecte l’intégrité symbolisée par sa mort, mais n’en connaît pas les antécédents. Il n’y a toujours pas de véritable biographie d’Allende, avec une recherche auprès de témoins et de sources diverses, à l’anglo-saxonne", soupire le réalisateur.

La fondation Salvador-Allende, dirigée par sa fille Isabel Allende, présidente de la Chambre des députés (à ne pas confondre avec son homonyme, la romancière, nièce du président de la République), "expose dans une belle demeure les tableaux réunis par l’exil chilien, mais ne présente guère d’informations biographiques ou politiques", critique Patricio Guzman. Avec une certaine désolation, le réalisateur du Cas Pinochet souligne la "mentalité andine, bolivienne, renfermée", des Chiliens : "Il faut être discret, retenu, il faudrait oublier pour ne pas être qualifié de rétrograde."
"Le Chili est une île entourée de montagnes", selon Patricio Guzman. Jadis raillé pour son "socialisme de vin et d’empanadas", le moindre mérite de Salvador Allende n’aura pas été de mettre en branle tout un peuple et d’en partager les rêves avec le reste du monde.
Paulo A. Paranagua

Multiples hommages aux victimes
de la dictature chilienne

"Le plus dur, c’était les cris des femmes, les tortures, jour et nuit", raconte Patricio Negro, un des survivants de Villa Grimaldi, à Santiago, le principal centre de détention clandestine et de torture de la dictature du général Augusto Pinochet.
Prisonnier pendant cent jours avec sa femme et ses enfants, Patricio montre la maquette reproduisant les cellules de 1 m2, où étaient entassés les détenus, la salle où ils étaient torturés et le château d’eau où ils étaient conduits avant d’être exécutés, les yeux bandés en permanence. OAS_AD(’Middle’) ;

4 500 personnes y ont été torturées, 228 y ont disparu et 18 y ont été exécutées, dont un adolescent de 16 ans.

Dimanche 7 septembre, la visite guidée de Villa Grimaldi est un des nombreux hommages rendus aux victimes de la dictature à la veille du 30e anniversaire du coup d’Etat qui renversa le gouvernement socialiste de Salvador Allende et instaura, de 1973 à 1990, un régime qui fit plus de 3 000 morts et disparus. Quelque 500 personnes ont participé à l’émouvante cérémonie, parmi lesquelles d’anciennes victimes, des parents de disparus en larmes, et Pedro Guerrero, un ancien colonel à la retraite de l’armée de l’air, arrêté et torturé avec une centaine d’autres officiers accusés de "trahison à la patrie", pour s’être opposés au coup d’Etat.

Pour la première fois depuis trente ans, cet anniversaire a motivé un spectaculaire déploiement médiatique, avec des centaines de programmes de radio et de télévision, des articles dans toute la presse, consacrés au renversement d’un gouvernement démocratique. Alors que certains redoutent des incidents violents, le jeudi 11 septembre, le concert organisé, samedi, dans le stade national de Santiago en hommage à Salvador Allende et aux victimes de la dictature, devant quelque 40 000 personnes, a été un moment de grande ferveur. La veille, un autre concert avait réuni plus de 30 000 personnes avec la participation de nombreux artistes étrangers, dont le Cubain Silvio Rodriguez et Gilberto Gil, ministre brésilien de la culture. Symbole de la terreur, le stade avait accueilli près de 12 000 détenus au lendemain du coup d’Etat.

D’après un sondage publié début septembre, la majorité des Chiliens - 67,5 % - se montrent peu intéressés par cette commémoration. L’enquête menée par la fondation Futur, dirigée par le président du parti de droite Rénovation nationale, Sebastian Pinera, montre cependant que 82,8 % des Chiliens ont pris connaissance de l’importante couverture des médias. La moitié des personnes interrogées estiment avoir pris connaissance de nouveaux éléments d’opinion, notamment 73 % des jeunes, âgés de 18 à 24 ans. Cette soif d’histoire de la jeunesse chilienne est soulignée par de nombreux analystes, qui l’attribuent à l’arrestation du général Pinochet à Londres en 1998, à son retour polémique au Chili en mars 2000 et aux progrès accomplis par la justice chilienne dans les enquêtes sur les crimes pendant la dictature.
Cette page tragique de l’histoire continue de diviser les Chiliens. La commémoration a entraîné des frictions au sein de la coalition de centre-gauche au pouvoir, bien que le président Ricardo Lagos eût précisé qu’il ne s’agissait pas d’un hommage à Salvador Allende mais d’un geste ayant "un sens républicain". La plupart des parlementaires de la Démocratie chrétienne (membre de la coalition gouvernementale) ont refusé de participer à un quelconque hommage à l’ex-président socialiste, auquel leur formation était opposée, tout comme les partis de droite.

Le président Lagos a prévu un hommage privé, le 10 septembre, au palais présidentiel de la Moneda, en présence de la famille Allende. Le lendemain aura lieu la réouverture de la porte d’entrée qu’utilisait l’ex-président et par laquelle son cadavre fut retiré de la Moneda, après son suicide. Le palais présidentiel, fortement endommagé par les bombardements des putschistes, avait été reconstruit par le régime militaire, qui avait muré cette entrée.
Pour leur part, plusieurs membres de l’association des familles de détenus ou disparus ont entamé une grève de la faim contre toute mesure d’amnistie pour les anciens tortionnaires que pourrait prendre le président Lagos. Christine Legrand