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Chômage Radioscopie d’un mal très français

Publie le jeudi 11 septembre 2003 par Open-Publishing

A l’heure où Jean-Pierre Raffarin défendait, jeudi à Londres, l’idée d’un plan européen de relance de la croissance et de l’emploi, le gouvernement redoute de voir 10 % de la population active privés de travail. Le Nord et le Sud sont les plus touchés, la précarité s’aggrave.

Confronté à une hausse régulière du chômage depuis dix-sept mois, Jean-Pierre Raffarin cherche à reprendre l’initiative sur le dossier de l’emploi. Attendu à Londres, jeudi 11 septembre, le premier ministre va plaider pour l’initiative de relance européenne auprès de son homologue britannique, Tony Blair. OAS_AD(’Middle’) ; Ce projet, initié avec Gerhard Schroeder, devrait aussi être évoqué le 18 septembre à Berlin, lors d’un séminaire gouvernemental franco-allemand.

Pour le gouvernement français, dont les syndicats critiquent l’"absence" de toute politique de l’emploi, il y a urgence à occuper le terrain, quand la cascade de plans sociaux accrédite l’idée d’une impuissance des pouvoirs publics. D’autant que l’économie française ne crée plus d’emplois. Au deuxième trimestre, l’emploi salarié dans le secteur concurrentiel non agricole a pratiquement stagné (+ 7 000 postes), après une perte de 48 000 au premier trimestre, selon les statistiques définitives de l’Insee publiées jeudi. Les licenciements dans l’industrie expliquent cette dégradation.

A quelques mois des élections cantonales et régionales du printemps 2004, le chômage, longtemps escamoté par la réforme des retraites, reste bien le premier dossier social français. Il touche près d’un actif sur dix (9,6 %), pénalise toutes les classes d’âge et affecte l’ensemble du territoire - sans que les directions régionales du travail et de l’emploi entrevoient des signes d’amélioration.

Le Nord et le Sud sont les plus touchés. La géographie du chômage révèle de surprenantes permanences. Quelle que soit la conjoncture, la moitié nord du pays et les régions méditerranéennes sont, depuis des lustres, les plus affectées. En mars 2003, six régions sur 22 affichaient un taux de chômage à deux chiffres : le Nord - Pas-de-Calais, la Picardie, la Normandie, le Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte d’Azur et la Corse. Les plus épargnées restent le Limousin, emblématique du "désert français", l’Alsace et la Franche-Comté - ces deux dernières, très vite touchées par la récession allemande, continuant toutefois de souffrir de la hausse du chômage.

Avec le ralentissement économique, les écarts entre régions se réduisent. Fin 2000, près de 9 points séparaient le taux de chômage le plus faible du taux le plus élevé. Aujourd’hui, il y a moins de 6 points entre les 6,9 % du Limousin et les 13,7 % du Languedoc-Roussillon. Les statistiques recouvrent, au demeurant, des réalités très diverses. La crise des industries traditionnelles, attestée par les plans de licenciements de Metaleurop et de Comilog, pèse sur le marché du travail dans le Nord - Pas-de-Calais. A l’inverse, un tissu de PME préservé des grandes mutations économiques et le dynamisme de l’emploi ont permis au Languedoc-Roussillon de mieux résister au chômage. Retrouver du travail est moins difficile dans l’Hérault - qui bat le record départemental du chômage (14,8 %) - que dans le Nord (12,2 %).

Chômage des jeunes : les non-qualifiés d’abord. Avec 410 900 demandeurs d’emploi de moins de 25 ans en juillet, la France est l’un des plus mauvais élèves européens en matière d’emploi des jeunes. Des premiers plans Barre, au milieu des années 1970, aux contrats-jeunes de François Fillon, tous les gouvernements se sont attaqués au problème avec des résultats mitigés : dès que la conjoncture se dégrade, le chômage des moins de 25 ans repart - en un an, il s’est accru de 4, 2 %.

Près d’un jeune actif sur cinq est demandeur d’emploi. Mais comme la majorité des moins de 25 ans poursuivent leurs études, le chômage frappe, en réalité, moins d’un jeune sur 16. Les moins de 25 ans restent deux fois moins longtemps que leurs aînés au chômage et sont peu exposés au chômage de longue durée.

En revanche, une étude de l’ANPE, publiée au mois de février, a montré qu’ils sont particulièrement touchés par la précarité. En juin 2002, pointe le chercheur Jean-Louis Zanda dans son "portrait statistique", les moins de 25 ans représentaient 14 % des chômeurs, mais 27 % des demandeurs d’emploi enregistrés et 25 % des sorties du chômage. Ces proportions n’ont pas fondamentalement varié. Pour les moins de 25 ans, l’alternance de courtes périodes de chômage et d’emplois à durée limitée est pratiquement devenu la règle et les difficultés d’insertion sont directement liées au niveau de qualification.

Des seniors en difficulté. Il ne fait pas bon perdre son emploi à l’approche de la cinquantaine. Malgré la volonté réaffirmée du gouvernement d’inciter les entreprises à garder leurs salariés proches de l’âge de la retraite et de faire de l’emploi des seniors une cause nationale, les statistiques sont impitoyables. A la fin juillet, 366 500 personnes de 50 ans et plus étaient inscrites à l’ANPE - soit 2,7 % de plus qu’un an auparavant. C’est dans cette tranche d’âge que l’ancienneté moyenne au chômage est la plus longue, et que le risque de basculer dans le chômage de longue durée (plus d’un an) ou de très longue durée (deux ans et plus) est le plus fort.

Chez les cadres, le retour à l’emploi après 50 ans est jugé "quasi impossible". "Huit mois après s’être inscrits comme demandeurs d’emploi, 55 % des cadres âgés de 30 à 49 ans ont retrouvé un travail, analyse Jacky Châtelain, directeur général de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC). Cette proportion tombe à moins de 10 % chez les quinquagénaires. Les habitudes de recrutement sont très ancrées et, à partir de 45 ans, la discrimination joue à plein." Compte tenu de la persistance des difficultés économiques, les seniors ont peu de chances de voir leur situation s’améliorer rapidement.

Une précarité accrue. Au-delà des difficultés structurelles, pointées mois après mois, les statistiques mensuelles du ministère du travail mesurent mal un phénomène pourtant massif : la précarité. Le chômage frappe d’abord les salariés les plus fragiles : travailleurs intérimaires - qui, dans l’industrie automobile, servent de variable d’ajustement aux fluctuations de la demande - et salariés en contrat à durée déterminée. Entre juillet 2002 et juillet 2003, les licenciements économiques ont diminué de plus de 16 %. Dans le même temps, les entrées au chômage à la suite d’une fin de CDD progressaient de 8,1 %. En juillet 2003, elles concernaient plus de 118 000 personnes.

Or les salariés précaires sont aussi les chômeurs les moins bien protégés. Ils peinent à accumuler les durées d’activité suffisantes pour pouvoir être indemnisés. La dernière convention d’assurance-chômage leur complique la tâche. Aujourd’hui, un chômeur indemnisé sur deux par l’Unedic (plus d’un million de personnes) est issu du travail précaire. Selon FO, les entreprises d’intérim versent 1,4 million d’euros en cotisations chômage. Mais les allocations versées aux travailleurs précaires représentent, elles, quelque 7 milliards d’euros...

Claire Guélaud

http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3224--333482-,00.html