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LE DELAI DE GRÂCE

Publie le lundi 17 mars 2003 par Open-Publishing
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Ce matin, ce que nous craignons et que les gens d’ici, les Irakiens,
attendaient, est arrivé : la nouvelle résolution du Conseil de Sécurité
donne
le feu vert pour la guerre.

Nous venions d’apporter des lettres aux ambassades des quatres États membres
du Conseil de Sécurité représentés ici. Nous leur demandions de les faire
parvenir aux plus hautes instances de leur gouvernement. Mais qui
sommes-nous, nous les signataires de cette lettre, qui exprime le voeu de ne
pas recourir à la guerre comme solution du conflit. Nous nous laissons aller
à rêver que notre lettre est la goutte d’eau qui fera déborder le verre de
la
résistance à la guerre... Mais qui sommes-nous ? Des fous qui croient
pouvoir
faire quelque chose contre cette machine de guerre qui compte par tonne les
instuments d’anéantissements et investit des milliards pour défendre des
soi-disant droits internationaux. Mais ici, dans le Camp de la Paix à
Bagdad,
nous ne sommes pas du tout "quantité négligeable", parce que nous sommes
avec
des êtres humains venus de tous les pays possibles, des Indiens-Sioux aux
Australiens, tous aussi fous, qui essaient de changer des rêves et des
utopies en réalité, et qui veulent encore croire en l’instinct de survie de
l’Être Humain.

Je ne voulais pas parler de nous, mais des Êtres Humains qui sont ici, des
femmes et des enfants irakiens qui ont obtenu un délai de grâce. Leur a-t-on
accordé ce délai, parce qu’on espère que pour sauver leur vie, ils
s’engageraient éventuellement contre leur gouvernement ? C’est peu probable
qu’ils le fassent. On a assez répété en Occident qu’ici, il n’y a aucune
démocratie. Sur ce point, il me semble que le peuple irakien se trouve
derrière son président, non pas parce qu’il approuve l’occupation du Koweit,
mais parce que le retrait du Koweit, dicté par des politiciens ociidentaux,
ressemblerait à une défaite, à une humiliation. Une de plus dans la longue
chaîne des humiliations que les peuples arabes ont dû accepter de la part du
soi-disant Occident chrétien.

Que cela nous convienne ou non, l’honneur et la dignité sont ici des
concepts
pour lesquels un homme est prêt à donner sa vie, et une femme, son fils.

C’est avec des sentiments mélangés que, sur l’invitation de l’Oragnisation
pour l’Amitié, la Paix et la Solidarité, nous sommes allés visiter
aujourd’hui une île sur le Tigre. C’est vendredi, jour de repos pour les
Musulmans.

Les familles vont en pique-nique, les jeunes sont assis en cercle, chantent
et
frappent des mains. Des couples, manifestement amoureux, marchent, se tenant
pudiquement par la main. Qu’est-ce que les gens pensent, ressentent,
espèrent
 ? Des projets d’avenir pour les quelques semaines de délai qu’ils leur
restent encore ? Ou pour un avenir commun quand le cauchemar sera terminé ?
Est-ce vraiment un cauchemar pour les mères qui courent après leurs enfants,
nettoyés comme des poupées, ou pour les jeunes filles habillées sport et
élégantes qui s’amusent en chantant ? Le petit garçon balancé dans les bras
de son père est encore trop jeune pour sentir la menace. Les familles
sont-elles venues ici pour jouir le plus possible de la nature, qui sera
peut-être contaminée et détruite ? Des groupes de jeunes jouent au foot.
Tout
à l’air si normal ; on pourrait être n’importe où. Les gens cachent-ils leur
peur ? Refoulent-ils leur peur pendant que le temps avance et que le délai
de
grâce accordé raccourcit ? Ou bien ont-ils une foi inébranlable dans la
victoire de leur armée, prête au combat ? Il semble qu’ils ne ressentent pas
la certitude de vaincre, ni qu’ils ne la simulent. Personne ne se montre
très
euphorique, mais on ne ressent pas non plus l’accablement. On s’attend à
tout.

Ecrit par Maylène, à Bagdad, Irak, le 29 novembre 1990.

Certains n’ont rien appris de l’Histoire.

http://www.forget-me.net
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