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Grigori Perelman, génie russe indifférent à la gloire

Publie le lundi 28 août 2006 par Open-Publishing
8 commentaires

Grigori Perelman, génie russe indifférent à la gloire

24/ 08/ 2006

Par Boris Kaïmakov, RIA Novosti

Nous avons parfois l’impression que plus rien ne peut nous étonner. Eh bien, détrompons-nous. Originaire de Saint-Pétersbourg, le Russe Grigori Perelman a brillamment remporté le défi lancé par Henri Poincaré, allant jusqu’à pénétrer les secrets de la création divine. Bouleversant le monde entier, le chercheur s’est vu attribuer la médaille Fields, le "Nobel des mathématiques", agrémentée d’une prime d’un million de dollars. Mais - le monde n’en revient toujours pas - le génie russe a renoncé à la gloire mondaine et s’est enfermé dans son petit appartement de la banlieue de Saint-Pétersbourg, comme s’il disait : je n’ai pas besoin de la médaille ni de l’argent et, plongé dans l’infini, je m’extasie devant ma propre découverte.

Digne fils de son père dont les manuels de physique ont servi de tremplin à tous les spécialistes de cette science, il est aussi le digne fils de la science mathématique russe qui s’est forgée une solide réputation dans la communauté mondiale. La Russie a toujours chéri ses mathématiciens, et son système d’enseignement des mathématiques fut l’un des meilleurs du monde. Les olympiades mathématiques d’importance locale, régionale et nationale réunissaient les meilleurs élèves qui revenaient chez eux bardés de diplômes et de prix et s’étant taillé un créneau, quoique minuscule, dans la communauté mathématique. L’école russe, Grigori Perelman en a connu toutes les étapes. Parmi les lauréats de l’olympiade nationale, il a été envoyé en 1982 à une olympiade internationale où il n’a pas trouvé d’égal. Le jeune Grigori a alors décroché une médaille d’or. Il avait 16 ans et n’a pas refusé la distinction.

En Union soviétique, il existait un réseau d’écoles secondaires spécialisées dans les mathématiques et la physique, placées sous la tutelle des meilleures universités, dont l’administration n’hésitait pas à téléphoner aux parents des meilleurs élèves pour leur proposer de rembourser entièrement les frais de scolarité. Ce système persiste partiellement jusqu’à nos jours, et il arrive que d’excellents élèves s’inscrivent à l’université en évitant le concours d’entrée. Si la communauté mathématique russe continue à soigner ses talents, la science ne mourra jamais sur nos terres. En effet, Grigori Perelman est rentré en Russie après avoir étudié dans plusieurs universités américaines pour rejoindre l’institut Steklov de Saint-Pétersbourg.

Evitons d’idéaliser la communauté mathématique où l’on trouve des passions plus violentes que celles entourant les premières danseuses du Bolchoï. Quand Grigori Perelman a publié en 2002 son premier article sur la "conjoncture de Poincaré", il doutait lui-même, semble-t-il, de la justesse de ses preuves. Un génie doute toujours, jamais un esprit médiocre. Et il a passé quatre longues années à attendre la reconnaissance de ses preuves. On voit bien que ses confrères n’étaient pas pressés. Le verdict a été signé par les trois meilleurs mathématiciens du monde : Gang Tian, Bruce Kleiner et John Lott. Soucieux de chaque pouce de leur réputation scientifique, les chercheurs ont annoncé que malgré quelques imprécisions ou erreurs peu signifiantes les preuves de Perelman étaient correctes.

La nouvelle a sidéré le monde entier, aussi bien les initiés que les profanes. Marcus du Sautoy, de l’université d’Oxford, estime que la "conjoncture de Poincaré" est "un problème central des mathématiques et de la physique, une tentative de comprendre la forme de l’Univers". Et Grigori Perelman l’a comprise. La presse spécialisée internationale est aujourd’hui unanime à affirmer qu’en démontrant la "conjoncture de Poincaré", Grigori Perelman s’est hissé parmi les grands génies du passé et du présent.

http://fr.rian.ru/analysis/20060824/53101973.html

Messages

  • Petite imprécision : le prix d’un million de dollars n’est pas lié à la médaille Fields, mais à la fondation Clay, qui a en effet promis cette somme à qui résoudrait un problème dans une certaine liste, et la conjecture de Poincaré y figure. Mais il faudrait que Perelman réclame cette somme, et il ne la réclame pas, pour le moment.

    Sa réaction est intéressante. On n’en connait pas les raisons. Cela fait penser au retrait d’Alexandre Grothendieck, autre immense génie mathématique (de nationalité française), qui, déçu par la communauté, et scandalisé par le versement de crédits militaires à certains instituts, a disparu presque sans laisser de trace (il vivrait actuellement vers Montpellier).

    Le directeur d’un institut Russe suggère que, peut-être, Perelman n’est pas tout à fait sain d’esprit (" Je ne saurais dire où finit l’originalité et où commence autre chose"). Dans un pays où, il n’y a pas si longtemps, on internait en asile les esprits dissidents, ce soupçon est désagréable.

    L’article ci-dessus souligne avec raison l’excellence du système éducatif soviétique. Il ajoute que ce système subsiste partiellement. Je crois qu’on peut douter de la partie optimiste de ce jugement. Le système libéral maffieux qui a ruiné la Russie a en particulier ravagé l’enseignement, et beaucoup d’enseignants, en particulier, sont dans une relative misère.

    Après tout, il y a peut-être dans ce fait une part d’explication de l’attitude de Perelman.

  • Question à 1 EURO :

    Qui est foutu d’expliquer en terme simple ce qu’est cette fichue conjecture de Poincarré ?

    C’est pas moi qui paie.

    • Il y a une manière de différentier les formes qui tient compte, par exemple, des "trous".
      De ce point de vue, un "tore" (une bouée) n’est pas une sphère (un ballon). on peut passer "au travers d’une bouée sans la crever, bien sur, c’est pour ça que c’est une bouée. On passe le corps dans "le trou".
      Dès qu’on dessine une courbe fermée (un genre de petit cercle ou quasi) sans points doubles sur une sphère, on peut, en la rapetissant, la réduire à un point.
      Ce n’est pas vrai pour un tore. On peut y dessiner un cercle (sur sa surface) qu’on ne pourra pas rapetisser jusqu’à un point (pour le moment, on n’a pas le droit de déformer le tore)...
      Il suffit de faire "le petit tour" de la bouée .

      Il y a des trucs mathématiques qui redent compte de ça et qu’on appelle les groupes d"homologie. Les groupes d’homologie de la sphère et ceux du tore sont différents.

      Mais il y a des tas de formes dans l’espace, plus qu’on ne peut imaginer quand on n’est pas spécialiste. Et un nombre infini de groupes d’homologie différents.

      La conjecture de Poincaré (avec une seule "r") dit que, si une forme a les mêmes groupes d’homologie que la sphère, c’est une sphère, à une gentille déformation près (un ballon un peu dégonflé, ou avec une hernie...).

      Après il y a la question des dimensions. Les mathématiciens considèrent des formes plates (dimension deux) des formes de l’espace "normal) dimension trois, des formes de l’espace par exemple relativiste (dimension quatre) et ...avouons-lé, des formes dans des espaces avec un nombre quelconque de dimensions.

      La conjecture de Poincaré a été démontrée il y a déjà trente ou quarante ans par Smale pour les espaces de dimension supérieure à cinq.
      Je crois que pour deux, c’est assez évident. Les cas difficiles sont trois et quatre.
      Et là, j’ai une petite incertitude : Perelman a démontré Poincaré pour n=3, et je pense que d’autres ont déjà démontré ça pour n=4 il y a quelque temps, mais à dire vrai, je ne suis pas certain à 100% que ce soit fait (pour n=4)...

      En tous cas, ce genre de maths consiste en une exploration fantastique des formes spatiales, et je crois que (pour les rares spécialistes de ce genre de trip) c’est particulièrement beau...
      Comme souvent en maths, l’important n’est pas tellement le résultat (on s’endoutait que la conjecture était vraie) mais toute la théorie qu’il a fallu développer pour le prouver, et qui servira à de nombreux autres développements.

      Boudine, Marseille