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La direction d’Attac ne survit pas à la confirmation d’une fraude électorale

Publie le mercredi 30 août 2006 par Open-Publishing

de Sylvia Zappi

Les jours de Jacques Nikonoff à la tête d’Attac sont désormais comptés. Réuni en urgence, vendredi 25 août, lors de l’université d’été du mouvement, à Poitiers, le conseil d’administration a décidé de remettre son mandat, après la publication du rapport de l’économiste René Passet. Celui-ci a mis en évidence des "anomalies troublantes" et une "manipulation" des bulletins de vote de l’élection de la direction de l’association altermondialiste et de son président, Jacques Nikonoff, lors de l’assemblée générale de juin.

Le conseil d’administration doit mettre en place une commission de conciliation. Elle devrait proposer, mardi 29 août, un "comité exécutif provisoire" de 12 membres représentant à égalité les deux camps qui se déchirent dans l’association depuis plus d’un an.

"Cette instance se substituera au président et au bureau, qui lui remettront leur mandat, et elle dirigera l’association jusqu’à l’élection d’un nouveau conseil d’administration le 7 décembre", précise Bernard Cassen, président d’honneur d’Attac. "Pratiquement, le 29 août, Jacques Nikonoff ne sera plus président d’Attac", a sobrement constaté Pierre Khalfa, chef de file des opposants.

La conclusion du rapport de synthèse de René Passet, ancien président du conseil scientifique, rendu public jeudi, était en effet sans appel. Il donnait raison aux opposants à l’actuelle direction, emmenés par Pierre Khalfa et Susan George, qui avaient dénoncé un "trucage du vote des militants".

M. Passet, personnalité historique du mouvement, a réalisé la synthèse de trois rapports émanant de groupes d’experts indépendants chargés par l’association de faire la lumière sur le scrutin de la fin juin. Tous, avec des méthodes statistiques différentes, arrivent au même constat.

Tout d’abord, alors que le dépouillement du vote des adhérents s’est déroulé en deux phases - une première les 11 et 12 juin, une seconde, les 14 et 15 juin -, les lots de bulletins litigieux sont concentrés lors de la deuxième phase. Soit une fois connus les résultats du premier dépouillement, donnant l’opposition majoritaire. "Il est frappant d’observer à quel point les irrégularités sont datées", remarque ainsi l’expertise rédigée par Danièle Guillemot et Loup Wolf, du Centre d’études de l’emploi, et Laurent Davezies, professeur à l’université Paris-XII (Val-de-Marne).

Ensuite, les écarts troublants constatés ont tous favorisé les candidats pro-Nikonoff et fait plonger les amis de Pierre Khalfa et Susan George. Or, expliquent les expertises, ces écarts ne peuvent être dus au hasard. Les lots de bulletins ont été classés par ordre alphabétique, et il y a "fort peu de raisons que certaines lettres de l’alphabet soient plus affectées que d’autres" par les "anomalies statistiques", jugent unanimement les trois études. "On constate des écarts positifs ou négatifs dont la probabilité qu’ils aient pu spontanément se produire se mesure en cent millionièmes, en milliardièmes, en millionièmes de milliardièmes de chance et même, pour l’un d’eux - record absolu - en cent milliardièmes de milliardièmes de milliardièmes...", note ironiquement l’une d’elles.

Le jugement final de René Passet est cinglant. Il y a bien eu des "anomalies troublantes" qui ont "faussé le résultat des élections". "Jamais les écarts enregistrés et concentrés dans le temps n’auraient été possibles sans l’intervention providentielle de quelque "main invisible"...", insiste l’économiste. A ses yeux, même si les études statistiques n’ont "rien à nous dire sur l’identité des personnes responsables de cette malversation", il est évident que de nouvelles élections du conseil d’administration s’imposent. Elles doivent être confiées à une commission mixte composée des représentants des deux camps et se dérouler "sous contrôle extérieur", a-t-il préconisé.

Les opposants, confortés dans leur bagarre contre les "méthodes bureaucratiques" de Jacques Nikonoff, réclamaient depuis juin l’annulation de l’élection de ce dernier ainsi que celle du bureau qu’il a mis en place. Ils ont gain de cause. Une plainte contre X... pour fraude électorale devrait être déposée par le conseil d’administration dans les prochains jours.

Reste à déterminer quelle sera l’attitude du président déchu dans la préparation des élections internes à venir. René Passet en a appelé, jeudi, à "l’abnégation de tous". L’enjeu en est la survie d’une association forte de près de 30 000 adhérents.


LE MOUVEMENT ATTAC

CRÉATION.
Fondée en 1998 à la suite d’un appel du Monde diplomatique en faveur de la mise en place d’une "taxe Tobin" sur les transactions financières, l’association altermondialiste a vite rencontré un succès auprès de militants politiques, associatifs et syndicaux déçus par les partis traditionnels. Attac a joué un rôle majeur dans la campagne pour le non au référendum du 29 mai 2005 sur la Constitution européenne.

ADHÉRENTS.
Ils sont près de 30 000, regroupés dans 250 comités locaux répartis sur l’ensemble du territoire.

FONCTIONNEMENT.
Constituée à la fois de représentants de syndicats, associations et journaux, et de militants appelés "adhérents directs", l’association a mis en place un fonctionnement fondé sur le consensus. Son conseil d’administration est composé de 18 élus issus des associations et syndicats qui ont fondé l’organisation altermondialiste - le collège des fondateurs - et de 24 élus issus des rangs des adhérents.

PRÉSIDENT.
Jacques Nikonoff, administrateur civil à la Caisse des dépôts, a été "introduit" par le président d’honneur, Bernard Cassen, et élu, en 2003, en dehors des procédures habituelles, pour "assurer la continuité de la ligne politique d’Attac". Il était depuis très critiqué pour ses méthodes autoritaires et son fonctionnement clanique.

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