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Pour Roberto Ferrario et Bellaciao : contre le délit d’opinion politique en France

Publie le mercredi 8 novembre 2006 par Open-Publishing
9 commentaires

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de Philippe Marlière Maître de conférences en science politique à l’université de Londres

Roberto Ferrario est un militant de gauche qui, depuis 2002, anime l’un des sites politiques les plus intéressants que je connaisse http://bellaciao.org/fr/ . Cet espace de diffusion, d’analyse et de débat constitue l’un des plus beaux succès sur internet, comme en témoigne sa fréquentation impressionnante (23 millions de visites à ce jour). Je m’y rends quotidiennement et j’en retire toujours une lecture intéressante ou un commentaire de lecteurs qui me fait réfléchir. Ce qui est remarquable chez Roberto et ses amis de Bellaciao (puisqu’il s’agit d’un collectif), c’est qu’ils ouvrent leur site aux diverses philosophies et tendances de la gauche : anti-libéraux, anti-capitalistes, réformistes, communistes, socialistes, Verts, libertaires, etc. C’est très rare et cela mérite d’être souligné. Depuis plus d’un an, ils accueillent généreusement les articles que je leur adresse.

Roberto vient d’être mis en examen par le Tribunal de Grande Instance de Saint-Nazaire, à la suite d’une plainte déposée par les chantiers navals de la même ville. Que reproche-t-on à Roberto ? D’avoir mis en ligne sur le site de Bellaciao un communiqué de l’USM-CGT : « La flibusterie des temps modernes ». De quoi s’agit-il ? Treize Polonais employés en sous-traitance dans ces chantiers navals ont saisi la CGT locale pour faire valoir leurs droits systématiquement bafoués par leur employeur : mois de salaire impayés, non-paiement des heures supplémentaires (ces ouvriers travaillaient en moyenne entre 220 et 245 heures par mois pour quelque 1.200 euros de rémunération), pas de congés payés, pas de remise de bulletins de salaire, paiement en liquide d’une partie des salaires (non déclarée par l’employeur). Ils ont dénoncé la menace au renvoi dont ils ont été l’objet s’ils saisissaient un syndicat, ainsi que le rapatriement précipité en Pologne d’un travailleur victime d’un grave accident de travail, qui ne bénéficiait d’aucune couverture sociale. On reste ébahi, choqué, sonné par cette longue liste (raccourcie par mes soins) d’entraves aux règles les plus élémentaires du droit du travail français. On se pince, on croit rêver : cela ne se passe pas dans un pays éloigné, dans un pays pauvre, qui ne possède ni législation sociale, ni Etat de droit pour la faire appliquer : Non, cela se passe en France aujourd’hui !!!

Mais ce n’est pas tout : les chantiers navals de Saint-Nazaire ne contestent pas les faits, avérés, mais estiment « diffamatoires » certains qualificatifs contenus dans le communiqué (« flibusterie », « banditisme patronal », « esclavage moderne » et « actes mafieux perpétrés sur le site »). Il faut avoir l’estomac bien accroché pour encaisser la suite : l’USM-CGT de Saint-Nazaire et Roberto ont été traduits en justice : le syndicat, pour avoir, rédigé un communiqué dont les chantiers navals ne contestent rien sur le fond ; Roberto pour avoir diffusé une information sur le site de Bellaciao. Notons que ladite information a été reprises par de nombreux médias sans que ceux-ci ne soient inquiétés. Seul Roberto a été mis en examen car l’USM-CGT est une personnalité morale. Les intentions sont claires : en 2006, on cherche toujours à museler l’activité syndicale. Mais pourquoi inculper Roberto, à titre individuel, alors que Bellaciao est un collectif international ? Parce qu’on cherche à abattre la cheville ouvrière de ce site. A travers Roberto, on cherche à se débarrasser de Bellaciao. Autre « découverte » qui fait froid dans le dos : dans notre France contemporaine, le pluralisme politique, les idées de gauche, celles qui prônent un égalitarisme exigeant, dérangent. Elles dérangent tellement qu’il faut trouver un prétexte pour tenter de les réduire au silence. On s’en prend donc à leurs porte-parole les plus actifs, ceux qui sont publiquement identifiés.

Cette démarche vise, ni plus ni moins, à sanctionner le délit d’opinion de gauche. Roberto, la gauche égalitaire, l’Italie : quel merveilleux programme ! Quand la nouvelle de la mise en examen de Roberto m’est parvenue, m’est revenu à l’esprit cet épisode personnel. J’ai eu la chance d’habiter en Italie, le plus beau pays du monde, au début des années 90. Un jour, je marchais dans une rue de Florence en compagnie de ma fille qui devait avoir neuf ans à l’époque. Celle-ci chantait à tue-tête ce chant de résistance et d’espoir : Bellaciao ! A un moment, nous croisâmes un groupe de personnes qui sortait d’une église. Manteaux de fourrure pour les dames et beaux costumes et feutres mous pour les messieurs. Je me souviendrai à jamais du regard de haine et de dégoût que m’adressa cet échantillon de la bourgeoisie florentine.

Pugni alti !

Signez la pétition :

http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=27394#petition

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Messages

  • Très bien dit Philippe Marlière, il serait tout à fait injuste, ridicule et hallucinant qu’un tribunal condamne Roberto et Bellaciao pour avoir laissé mettre en lumière des pratiques d’un autre âge, quand le Code du Travail n’existait pas, et dénoncées par la CGT. Heureusement que ce syndicat ne mâche pas ses mots, qu’il sait appeler un chat, un chat. Résultat des courses, si la CGT s’ouvrait à toutes les composantes de la société (les derniers entrés : les chômeurs), c’est-à-dire aux étudiants, mères au foyer, retraités...le nombre de ses adhérents grossirait.

  • La justice est de plus en plus instrumentalisée en France, lorsqu’il s’agit de nuire, de porter atteinte, de museler, son adversaire politique ou idéologique. C’est ce que je pourrais apppeler un "détournement de démocratie". C’est ainsi que certains élus ou groupes de pression tentent de noyer ceux qui ne pensent pas comme eux sous des avalanches de procès. Or il faut bien se défendre. Et pendant qu’on s’épuise à réunir l’argent nécessaire, à puiser toute son énergie pour contrer des attaques fallacieuses, on dispose de moins de temps et d’argent pour jouer son role citoyen. Tout procès intenté dans cette optique devrait pouvoir faire l’objet de sanctions financières et de droits civiques conséquentes, car les préjudices moraux et financiers sont énormes lorqu’on est victime de telles attaques. C’est une dimension qui malheureusement est très peu prise en compte losque de telles affaires arrivent devant la justice. Espérons que la jurisprudence, à défaut de la loi, pourra rapidement faire évoluer la question.

    Intruse

    • Un copain m’avait signalé l’intervention du professeur Raynaud dans l’emission d’Alain Finkielkraut "Répliques" sur France-Culture.
      Le dit professeur à propos de l’affaire Redeker évoquant les critiques dont RR a fait l’objet parle d’interventions "facheuses". Il s’apprêtait à citer "Bellaciao" lorsque Finkielkraut l’a coupé. Il y revient cependant pour dire que de facheuses on a eu "pires" interventions sur le site où oeuvre Roberto. C’est au tour de Ben Saïd et de Finkielkraut de dialoguer, dérive sur l’Islam. Lorsque la parole revient à Raynaud il dit qu’il est du devoir politique à un certain moment de "faire taire la complexité"... Edifiant, n’est-ce pas. La logique libérale mène in fine au stalinisme. CQFD.
      Ce qui n’est pas moins édifiant c’est que le débat ait été porté sur une affaire montée de toute pièce. A l’heure d’aujourd’hui un seul individu a été interpellé par la Police, puis relâché. Nous avons l’assurance qu’il agissait pour son propre compte et ne suivait pas les ordres de quelque ordre islamiste. Lors donc dans "Répliques" on glose, on devise, on délire à partir de l’affaire Redeker sur l’islamisme contre tout principe même de réalité. Une fois encore c’est une pure fiction journalistique et intellectuelle qui emporte le débat en France. La fiction telle est bien l’essence du spectacle. Si bien qu’on peut dire que le spectacle de la fiction journalistique et intellectuelle, largement répandu, est l’ennemi de la réalité. C’est à partir de ces fictions qu’un sentencieux et inquiétant "le devoir de la politique est de faire taire la complexité" se dit. Ne nous y trompons pas si ces sentences se disent c’est qu’elles sont mises en pratique. L’affaire des chantiers de St Nazaire est là pour le prouver. L’objectif avéré du pouvoir et de ses sbires est de crééer un écran de fumée squameux, une fiction de la société à partir de laquelle ils sèment le confusion dans les esprits sur les institutions mêmes dont la Justice. Ainsi laissent-ils des citoyens désabusés dans le combat de chacun contre tous, par le pouvoir même instillé, puisqu’il n’est plus de garants ni de la vérité, ni du règlement pacifique des différends. Un boulevard s’ouvre alors au pouvoir qui peut, par exemple, s’assoir sur les décisions de tribunaux qui récusent les décisions d’expulsions d’immigrés, l’exécutif expulse quand même. L’exécutif devient par la même le judiciaire et piétine le principe de séparation des pouvoirs. Nous entrons lors donc dans la totalitarisme. Et nous y entrons facilement puisqu’en amont Raynaud, Rdeker, Finkielkraut, Le Figaro auront brouillé les cartes en faisant croire à un péril islamiste.

      régis

  • Les faits parlent d’eux mêmes .
    De nombreux médias ont repris cette affaire.seul Roberto Ferrario est poursuivi.
    On connait la chanson de Béart “Le premier qui dit la vérité ,il doit être exécuté” “Après sans problème, parle le deuxième”

    Mais Roberto ! 23.000.000 de visites combien ça représente de visiteurs habitués et régulier du site ? je sais pas exactement, mais sûrement ça fait un paquet de camarades fidèles.
    Alors Roberto tu as du monde derrière toi ,il ne t’auront pas. Ils ne nous auront pas, nous sommes trop nombreux
    D’ailleurs s’ils ont voulu ce procès c’est qu’ils ont peur ! ils sentent le vent qui tourne et fraîchit sur leurs dérives délirantes de concurrence sauvage et du “tout est permis.”

    La question est : Le juge, la justice sera-t-elle suffisamment libre d’esprit , libre d’influence et de préjugés de classe (c’est vraiment le mot qui convient -préjugés- non ?) pour juger qu’il n’y a pas là d’infraction qu’il n’y pas lieu.
    Le droit du travail étaient bafoué (et de quelle manière !) à saint Nazaire et par conséquent dénoncer ces atteintes dans les termes employés était tout à fait adaptés à leur nature et qu’il était donc normal de les utiliser !

    De plus Bellaciao ne jouait le rôle que de support d’une opinion exprimée par un internaute.

    Bref si c’était moi le juge ,il y aurait : Non Lieu .

    Nous verrons cela ! restons vigilants !

    René de Montmorency

    • J’ai bien peur que vous soyez bien optimiste. Dire qu’il y a 23 millions de passages sur Bellacio ne signifie pas que "nous sommes trop nombreux" pour qu’"ils" nous aient... Je rappelle qu’à ce jour il n’y a "que" 5450 signatures sur la pétition en ligne... Mais peu importe, cette mise en examen n’est qu’un détail (ne pas comprendre "insignifiant") par rapport à d’autres décisions prises par "nos" dirigeants et "nos" juges...
      Chez nous, en Belgique, cela ne va d’ailleurs pas mieux. La preuve : le jugement en appel du 7 novembre 2006, concernant le belge (d’origine Alaouite) Bahar Kimyongür pour son appartenance à un groupe jugé terroriste par nos sociétés, le DHKC, alors qu’il n’a participé, de près ou de loin, à aucune action violente... mais bien à des protestations pacifiques pour dénoncer le terrorisme étatique sévissant en Turquie. Désormais, chez nous, et jusqu’à nouvel "ordre" (sic), exprimer une opinion contre les dirigeants de nos pays, ou d’un autre pays "ami", est considéré comme criminel... surtout depuis septembre 2001.
      Bahar vient de voir sa peine augmentée : 5 ans de prison ferme !
      Pour + d’infos, voir http://leclea.be
      @+
      ph br

      ps : pour rappel la ministre de la justice en Belgique est socialiste. Et à voir sa politique et ses discours mensongers, c’est à croire qu’elle est une cousine de Sarco...