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Nucléaire : Chronique d’un désastre annoncé

Publie le lundi 12 janvier 2004 par Open-Publishing

A savoir avant la manifestation nationale du 17 janvier : il existe un point de vue antinucléaire dissident pour une sortie immédiate du nucléaire car l’accident grave peut arriver demain.

M. Jacques Bouchard prend la défense du nucléaire dans un article au titre très clair " Cesser les querelles inutiles à propos du nucléaire " (Le Monde, 11 avril 2002) et répond à M. Hubert Reeves, qui, dans "L’énergie nucléaire a-t-elle un avenir ?" (Le Monde 2 avril 2002) conclut que vraisemblablement elle n’en a pas, contrairement aux énergies renouvelables qui ont maintenant toutes leurs chances. Le recours aux énergies renouvelables (et aussi aux économies d’énergie), c’est le scénario du courant majoritaire des antinucléaires pour une sortie différée du nucléaire, à l’allemande. On pourrait penser que, Le Monde, faisant équitablement son travail d’information a exprimé ainsi les deux points de vue qui se partagent l’opinion française aujourd’hui. Or il existe un point de vue antinucléaire dissident, jamais exprimé dans Le Monde, pour une sortie immédiate du nucléaire car l’accident grave peut arriver demain.

Evidemment on imagine difficilement M. Bouchard, président de la Société française d’énergie nucléaire, de surcroît directeur au CEA, remettre en cause l’électronucléaire français. Tout de même, dans un article occupant près de trois colonnes, à propos de l’opposition au nucléaire dire que "Tchernobyl y est certainement pour une part", mettre en cause "l’absence de perception sensorielle expliquant aussi une relation difficile entre l’homme et la radioactivité" tout cela étant psychologique. Et rien d’autre comme s’il accréditait le discours officiel sur les conséquences de Tchernobyl en ex-URSS en reprenant le rapport de l’UNSCEAR 2000 ? D’abord la partie irréfutable, parmi ceux qui sont intervenus tout au début sur le réacteur en détresse 30 morts, un peu plus d’une centaine de cas de maladies des rayons chez ces " liquidateurs ", environ 1800 cas de cancers de la thyroïde chez les enfants et les adolescents, (cela devrait se poursuivre dans les décennies à venir est-il dit), ensuite l’insoutenable conclusion : "Pour la grande majorité de la population il est improbable qu’elle soit l’objet de conséquences sanitaires sérieuses qui résulteraient d’une irradiation due à Tchernobyl". Ce grossier mensonge n’a pas pris et les médecins, les "responsables" toutes catégories qui tentent de le propager sont considérés pour ce qu’ils sont : des commis voyageurs du nucléaire. De prestigieux professeurs ont nié tant de choses après Tchernobyl, tout d’abord les malformations congénitales puis la détérioration de la santé des enfants, nié aussi les cancers thyroïdiens qu’ils ont été obligés d’admettre ensuite, tout ce beau monde a menti et ment encore aujourd’hui en voulant systématiquement ignorer l’état sanitaire des populations obligées de vivre sur les territoires contaminés de l’ex-URSS. Mais il n’y a plus de "rideau de fer", les témoignages se succèdent (Nathalie Nougayrède Le Monde, 20 mai 2000, Les enfants de Tchernobyl face à "la mort invisible") et les citoyens, plus sensés que ne le pensent les autorités, se rendent bien compte que la nourriture provenant de sols contaminés par la radioactivité (certes, du point de vue sensoriel pour parler comme M. Bouchard, elle a la même apparence que la nourriture "propre") rend les enfants du Bélarus malades car ils incorporent les radioéléments nocifs d’une façon chronique. Les experts disent que les doses engagées sont trop faibles pour avoir un effet. Pourtant les enfants des zones contaminées ne vont pas bien, des nouveaux-nés meurent de malformations cardiaques, et c’est l’un des mérites du Pr. Youri Bandazhevsky, condamné par un tribunal militaire et actuellement emprisonné au Bélarus, d’avoir montré le rôle du césium 137 dans l’émergence des pathologies chez les enfants (cardiopathies, cataractes, troubles endocriniens, détérioration de l’immunité etc.).
[Le bilan de la catastrophe de Tchernobyl oscillera entre 40 000 et 560 000 morts, voir davantage, selon les estimations.]

Parmi ceux qui nient les effets sanitaires de Tchernobyl par action chronique des faibles doses de rayonnements on trouve des responsables en radioprotection et ce n’est pas étonnant. D’éminents professeurs de médecine, employés par le CEA ou membres du comité médical d’EDF, admettent difficilement les effets nocifs des radiations ionisantes sur le personnel EDF ou CEA et comme ils sont souvent chefs de services hospitaliers ou directeurs d’instituts gros utilisateurs de rayonnement, admettent difficilement les effets biologiques sur leurs propres personnels. Tous ces personnages ont servi d’experts dans les commissions internationales pour élaborer les normes de radioprotection concernant non seulement les travailleurs mais aussi la population, en symbiose avec le responsable français de la radioprotection, le Pr. Pellerin, inamovible pilier pendant des lustres quel qu’ait été le gouvernement de droite ou de gauche. Minimiser, voire nier les effets biologiques des faibles doses de rayonnement, ce parti-pris est une constante qui a accompagné le développement du parc nucléaire. Cette absence de prise en compte des effets nocifs des radiations a permis le développement massif de l’électronucléaire français (sans trop de vagues dans la population, malgré de violentes contestations locales). C’est aussi la raison pour laquelle les "autorités" françaises, sanitaires et politiques, n’ont pas appliqué les recommandations européennes visant à restreindre la consommation d’aliments contaminés en 1986 après Tchernobyl et ont tergiversé, avec l’aval de l’Académie des sciences, pour appliquer la directive européenne de mai 1996 entérinant l’abaissement des doses admissibles pour le public en situation normale (hors accident). Ce sont les mêmes " responsables " dont le Pr. Pellerin, qui ont usé de leur influence après Tchernobyl pour élaborer au niveau international des " normes " en cas de nouvel accident nucléaire, normes trois fois plus élevées que celles qui devaient régir quatre ans après Tchernobyl les évacuations d’habitants de zones contaminées en URSS - évacuations qui n’ont pas été effectuées. Ce sont ces "normes" qui nous seraient appliquées en cas d’accident chez nous

L’enthousiasme de M. Bouchard pour le nucléaire qui rappelle les grandes envolées des années 70, est un peu surprenant, même pour un directeur au CEA. Il semble ignorer que les verres qui renferment les déchets nucléaires, "très résistants à toute agression externe" affirme-t-il, peuvent cristalliser sous l’action du rayonnement et de la chaleur dégagée, perdant ainsi leur étanchéité (cristallisation de la silice amorphe mise en évidence par rayons X au CEA à la fin des années 60). Cette lacune dans ses connaissances, si elle existe aussi au niveau du vieillissement des aciers des cuves et des circuits d’un réacteur, des fissures, fuites et autres incidents résultant d’erreurs de conception répertoriées dans les divers incidents affectant le fonctionnement de nos réacteurs (comme la sous-estimation du risque d’inondation, du risque sismique, des actes de malveillance) expliquerait-elle sa cécité vis-à-vis des conséquences d’un accident nucléaire majeur ? Alors quelle perspective si d’emblée M. Bouchard ne tient pas compte de la possibilité d’un accident nucléaire chez nous pourtant admis par les "officiels" comme le montrent la distribution de pastilles d’iode au voisinage de nos centrales et la mise à jour des PPI (plans particuliers d’intervention) ?

En passant il dit : "L’énergie nucléaire a sa place, probablement pour une part très supérieure à sa place actuelle sur le plan mondial". Voilà une prédiction bien téméraire et s’apparentant à un vu pieux, en contradiction avec les prospectives de l’Agence Internationale de l’énergie atomique (AIEA) dont un des buts est pourtant de promouvoir l’énergie nucléaire. En effet, dans un document publié en juillet 2000 (Energy, Electricity and Nuclear Power Estimates for the Period up to 2020) l’AIEA indique que la part du nucléaire dans la production électrique mondiale qui a été de 16% en 1999 se situerait, en 2020, entre 9,5 et 12%. Par rapport à l’énergie primaire consommée mondiale l’électricité nucléaire qui n’a représenté que 5,4% en 1999 tomberait entre 3,6 et 4,8% en 2020. Voilà "une part très supérieure à sa place actuelle" qui diminue au cours du temps ! (Pour certains pays demandeurs de réacteurs nucléaires, le nucléaire civil est vu comme une avancée vers la technologie militaire, le nucléaire civil servant d’alibi). Pourquoi M. Bouchard veut-il nous enfermer dans le nucléaire ?

La France est le seul pays au monde qui dépende autant du nucléaire pour sa production d’électricité, 76,3% pour l’année 2000. Indépendance nationale, dit-on, alors que la dernière mine d’uranium a fermé en Limousin et que notre approvisionnement vient du Canada et d’Afrique (à moins que, sans le savoir, nous ayons récupéré des colonies ?) En l’an 2000 aux USA 20% de l’électricité est nucléaire, nos voisins du Royaume-Uni en sont à 23% et l’Allemagne à 30,1%. Le cas de l’Allemagne est intéressant car 51% de sa production électrique vient du charbon (houille 25,4%, lignite 25,9%). Le reste se distribue entre gaz (8,5%), hydraulique (4,3%), fioul (0,5%) énergies renouvelables (5,3% dont seulement 1,6% d’éolien alors que l’Allemagne est donnée en exemple car elle est en tête désormais en Europe pour l’éolien). L’accord passé entre le gouvernement allemand et les exploitants nucléaires prévoit une sortie différée du nucléaire en 2021 après 32 ans de fonctionnement des réacteurs (en réalité 33 ans pour ceux couplés au réseau en 1988) mais le gouvernement s’est engagé à ce que l’exploitation soit "sans entraves" ce qui en clair signifie ne pas être trop strict vis-à-vis du respect des normes de sûreté qui impliquerait des arrêts plus ou moins prolongés des réacteurs et serait coûteux pour les exploitants. Cette clause de l’accord peut être lourde de conséquences et semble être ignorée de ceux qui, chez nous, souhaitent une sortie du nucléaire "à l’allemande".

Retenons qu’en Allemagne plus de 50% de l’électricité est produite par les centrales thermiques à charbon pour une puissance installée de 52,5 GW et il est certain qu’elles ne vont pas être détruites mais modernisées ! En France au 31 décembre 2000 la puissance thermique classique installée totale était de 26,7 GW avec une part EDF de 17,6 GW (essentiellement charbon et fioul). Les turbines à gaz sont en augmentation dans le secteur privé mais leur contribution à la production électrique est encore faible. Et qu’a décidé EDF au sujet du thermique classique ? On le savait mais un compte-rendu intersyndical d’une réunion de la Commission nationale Equipement d’EDF du 6 juin 2001 le confirme, "pas de projet porteur pour l’avenir : préparer l’évolution du parc à l’horizon 2005/2010, c’est à dire sa disparition et sa casse". Voilà qui est clair. Par contre "Se développer à l’international (Asie, Moyen-Orient, Amérique latine)" (La Gazette Nucléaire 195/196, février 2002). Ainsi les techniques "charbon propre" mises au point en France seront exportées mais la nouvelle centrale à lit fluidisé circulant (LFC) qui devait être mise en service à [Gardanne->http://www.dissident-media.org/infonucleaire/lib_charb_sortie.html