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Italie : antimafia, la Commission d’enquête à l’épreuve de la relation programmatique

Publie le mardi 26 décembre 2006 par Open-Publishing

Forgione : "Bourgeoisie mafieuse dans la nouvelle carte criminelle"

de Gemma Contin traduit de l’italien par karl&rosa

Marché des bras, marché des corps, marché des organes. Les nouveaux créneaux du chiffre d’affaires de la mafia, des nouvelles mafias, qui vont s’ajouter au business de la drogue et de l’économie illégale, noire, souterraine de tout bord, dimension et latitude, sont ahurissants.

Le maître mot est "marché". Qui veut dire traite des clandestins et lois qui les maintiennent dans ces conditions, traite des femmes et normes ou manque de normes qui en permettent la réduction en esclavage, traite des mineurs, destinés au trafic d’organes, à la pornopédophilie, quand cela va bien à la mendicité organisée.

Sans oublier tout le reste : les écomafias et le vote d’échange, le racket et l’usure et le dîner copieux de la santé publique – nouvelle vache à traire – et privée, avec des conventions de longue durée et des acheminements précis.

Le chemin de la Nouvelle Antimafia commence ainsi : la commission d’enquête des deux Chambres, réinstallée par une loi ad hoc et le travail de son président, Francesco Forgione, député calabrais élu à Palerme sur les listes de Rifondazione comunista qui, avant de devenir député, a passé dix ans de sa vie à l’Assemblée régionale sicilienne en tant que membre du parlement régional et de l’Antimafia de l’île.

Des années caractérisées, après la fin du "printemps palermitain", par l’avènement de Toto’ Cuffaro et de l’hégémonie politique du centre droit. De cette expérience, le néo-président de la Commission Antimafia a écrit un livre au titre évocateur : "Amis comme auparavant", qui a servi de générique à la vidéo enquête "La mafia est blanche" sur les rapports entre le pouvoir politique et les affaires économiques liées à la santé : la "health connection" entre la région gouvernée par Cuffaro et la clinique de Bagheria [ville de la banlieue de Palerme, NdT] de Michele Ajello par où, dit-on, est passé Provenzano, avant de se faire opérer en Provence, en obtenant de la région même le remboursement pour les soins reçus à l’étranger.

Voila donc le « CV » de Forgione qui, hier, lors de la première réunion de la Commission à San Macuto [siège de la Commission Antimafia, à Rome, NdT], a présenté la relation programmatique, dense d’analyses et d’indications sur les orientations, les priorités et les zones d’intervention auxquelles les 50 parlementaires, 25 sénateurs et 25 députés de tous les groupes parlementaires, devront travailler.

Certes, l’équipe est très bariolée et elle comprend des personnages tels que Cirino Pomicino (Démocratie chrétienne) ou Carlo Vizzini (Forza Italia) et une poignée d’autres parlementaires sous enquête à plusieurs titres, déchaînant les réprimandes du nouveau Torquemada Marco Travaglio, qui a lancé hier ses foudres à cause de ces présences embarrassantes et auxquelles, selon Travaglio, ne se sont pas assez opposés Forgione et le Parlement qui les a choisis et placés, justement eux, justement dans cette commission d’enquête, dans le rôle délicat d’ "inquisiteurs " de la criminalité organisée.

« Dans la Commission Antimafia présidée par Gerardo Chiaromonte, entre 1988 et 1992, il y avait aussi des personnages « discutés » tels que Claudio Vitalone qui en était même vice-président. Et pourtant, justement cette Commission est à l’origine d’une grande partie de la législation antimafia actuelle – soutient un ex député qui ne veut pas être nommé et qui a fait partie de cette commission – en commençant par les normes d’application de la loi Rognoni-La Torre pour la confiscation des patrimoines mafieux. Comme on le voit, ce qui compte n’est pas qui en fait partie, mais ce qu’elle saura faire concrètement ».

Entre-temps, ce qu’elle devra faire est écrit noir sur blanc dans la relation du président Forgione : « Je pense que la commission bicamérale Antimafia doit traverser avec son travail le territoire du Mezzogiorno et du Pays pour essayer de repérer et de dénoncer, avec ses propres actes, avec rigueur analytique et institutionnelle, la nouvelle carte nationale de la présence mafieuse »… Je crois que cette Commission doit commencer justement par cette mission d’enquête et de lecture de ce qui s’est passé ces dernières années dans la réorganisation du pouvoir et des pouvoirs… et comment les mafias ont changé de nature, en se mesurant avec l’internationalisation de leurs activités criminelles et financières sans perdre le contrôle de leur territoire, de leur installation, de leur lien historique ».

Et peut-être pour la première fois est déboulonnée cette image mystificatrice et réductive des mafias qui coïncident avec un phénomène local, exclusivement méridional, à circonscrire dans une sorte de bantoustan Corleone, Scampia, Plati’, la Locride et dans les bandes de « picciotti » et de « clans rivaux » célébrées dans les livres de Puzo et par les films de Scorsese.

Non, la mafia est ici, parmi nous, en col blanc, veste de tweed, chaussures Tod’s, sac Vuitton, dans les compagnies de trading international, dans les holding financières, dans les chaînes d’hypermarchés. Elle a les mains sur les villes. Elle pénètre tous les domaines de notre vie, de notre quotidien. « Voila la capacité d’envahir, cette pénétration dans les plis de la société – lit-on dans la relation – qui devient un facteur conditionnant de la politique, de la société, de la liberté des individus.

C’est cette force économique qui crée des zones de consensus social, modifie le rapport entre la politique et les besoins, altère les règles de la démocratie et contribue à créer ce bloc social où cohabitent, en bas, cette plèbe vivant aux marges de l’actuel système économico social du Sud, dans les périphéries des grandes zones métropolitaines, dans les quartiers à risque de villes entières et, en haut, ce tissu interstitiel du pouvoir fait de classes dirigeantes, de bureaucrates, d’administrateurs, d’entrepreneurs que les derniers rapports de la Dia [Defense Intelligence Agency, NdT] et de la Dna [Direzione nazionale antimafia, NdT] définissent comme « bourgeoisie mafieuse ». Alea jacta est.

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