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THE BOSS OF IT ALL

Publie le vendredi 12 janvier 2007 par Open-Publishing

de Enrico Campofreda traduit de l’italien par karl&rosa

Les Grands Chefs vrais ou présumés peuvent dormir tranquilles, les gens les désirent. Parole de Lars Von Trier qui perçoit et raconte les besoins occultes et induits. S’il était difficile pour vous de résister à un film sans scénario, seulement le plateau et le jeu pur comme l’ont été "Dogville" et "Manderlay", le metteur en scène danois vous vient en aide. Il a confectionné une fiction sans se servir de stars à la Kidman ou à la Dallas Howard.

Une certaine méthode Dogme continue : aucune colonne sonore, des lumières non modifiées, même un ordinateur qui dirige la caméra. Encore du très bon jeu, cette fois de Jens Albinus (masque de Stan Laurel du Troisième Millénaire, déjà présent dans "Idiots") et thème psychologique sur manipulation, réalité et fiction mais aussi légèreté et divertissement avec le suspense des coups de théâtre.

Une trame qui fait toujours réfléchir, cette fois avec le désir explicite de jouer avec les habituels thèmes sérieux sans s’enfoncer dans l’obscurité du drame. Et sourire. Beaucoup. De tics, de manies, de bassesses, d’anxiétés, de paranoïas, de cette pourriture qui ne se cache pas seulement au Danemark, malgré ce qu’en pensent Shakespeare et l’entrepreneur islandais co-protagoniste de l’histoire.

L’histoire raconte comment le responsable d’une entreprise informatique danoise (Ravn) camoufle son rôle, en ne se montrant que comme un bon administrateur et en agitant le fantôme d’un Grand Chef sans visage. Le grand chef c’est lui mais il ne le révèle pas et il entretient pendant des années des rapports par correspondance avec ses salariés en essayant d’instiller en chacun d’eux une certaine idée du chef qui convient aux traits du subalterne, tandis que le bon alter ego qu’il incarne se consacre à les comprendre, les cajoler, en satisfaisant leurs différents besoins.
L’hypothèse de vente de l’entreprise à un rude entrepreneur islandais qui déteste les ‘ impérialistes danois ‘ bouleverse l’action de Ravn qui a besoin d’un chef en chair et en os à montrer à l’acheteur. Il engage pour cela un comédien à la retraite (Kristoffer) qui interprète ce personnage. Au début l’acteur hésite, il doit improviser et avec un canevas obscur, ensuite il y prend goût.

Même s’il manque d’air et de charisme et s’il n’a aucune compétence, les salariés, qui au début soupçonnent un bluff, croient petit à petit qu’il est vraiment le chef et qu’il se montre si improbable dans sa mise de manager pour les bouleverser et les tester davantage. La matière traitée par l’entreprise, indispensable dans l’économie globalisée d’aujourd’hui, est souvent insaisissable même pour ceux qui composent la chaîne de diffusion de cette « marchandise » particulière. Et il suffit au grand chef qui ne connaît rien à l’informatique, d’une phrase volée à un tableau, un terme de procédure, pour cacher son incompétence et la retourner même en sa faveur comme qui sait quelle mystérieuse capacité de compréhension. Laquelle met en crise ceux qui travaillent depuis une décennie dans le secteur, probablement avec une parcellisation du processus de travail. L’entreprise pourrait occuper des personnes qui ne s’occupent de rien, qui ne savent rien gouverner au delà d’une kyrielle de procédures, des êtres qui connaissent des détails mais pas l’ensemble, faibles, traités comme des enfants qu’on amène en excursion et qu’on prend dans les bras pour en vaincre les insécurités et le dépaysement.

Des personnes manipulables et manipulées auxquelles l’inexorabilité et la fermeture des rôles, la création de masques pré confectionnées font croire ce qu’on veut faire croire et qu’on veut croire (déjà dans Manderlay l’annonce était claire et inquiétante : tant d’esclaves veulent rester tels) parce que les côtés faibles de la nature humaine sont si difficilement réparables. Parce que la pourriture n’est pas seulement au Danemark et dans le Monde, mais en nous-mêmes.

Mise en scène : Lars Von Trier
Scénario : Lars Von Trier
Image : Automavision
Montage : MollyMarlene Stensgard
Avec : Jens Albinus, Benedikt Erlingsson, Iben Hjejle, Anders Hove, Jean-Marc Barr, Casper Christensen, Peter Gantzler
Production : Menfis Film, Slot Machine, Zentropa Production
Origine : Danemark, Suède
Durée : 99’